Le truc c'est que l'école ou la valeur travail ne sont pas vraiment des vecteurs d'ascension sociale mais plutôt d'inégalités et de souffrance, physique ou mentale. Je pense que ces dernières années, ça a été assez démontré que l'école française est une
machine à reproduire les inégalités. Y a même pas besoin de se taper tout le rapport pour comprendre rapidement de quoi il s'agit. Ne serait-ce que l'envoi de débutants dans les ZEP, la réussite des enfants de cadre par rapport aux enfants d'ouvriers, les enseignements dispensés...
Sans compter que l'école véhicule l'idée de culture légitime. Les lectures par exemple, celles des grands classiques. On peut te faire comprendre que si ça t'intéresse pas, bah t'es pas une lumière ou t'es pas fais pour des études littéraires tu comprends. La logique de compétition que véhicule l'école va de pair avec celle de la société inégalitaire à laquelle elle prépare. Et tu crois qu'il suffit de se donner à fond ? Certainement pas. On part pas tous sur la même ligne de départ.
Quant à la passion dans le travail, tous les emplois ne se valent pas. Le sportif professionnel, bien souvent il fait quelque chose qui l'intéresse. Quand ça l'intéresse moins, il a souvent l'argent nécessaire pour s'adonner à ses autres passions. Excuse le télévendeur du coin d'en avoir rien à cirer de vendre des tickets de loterie en devant utiliser des arguments foireux. J'aimerais bien savoir comment tu pourrais te passionner pour ça. Comment tu pourrais te passionner quand t'es caissier, femme de ménage ou livreur de pizza ? On pourrait dire la même chose de certains métiers de la communication ou de la vente. Le maitre mot dans ce genre de filière, c'est l'efficacité. Faut que ça marche sur le plan comptable. Déjà que c'est pas le genre de métier dont on rêve à la base, y a cette logique financière qui n'est pas vraiment compatible avec la passion. La passion c'est irrationnel, mais ça découle aussi, je pense, d'une liberté dont on a pleinement conscience pour pouvoir s'investir sans concession dans une activité. Encore une fois, je serais curieux de savoir combien il y a de passionnés chez ceux qui font du consulting 35h par semaine + heures supp'.
L'approche par le vécu comporte tellement d'erreurs. Il faut déjà commencer par regarder ce qu'il se passe globalement. Evidemment ça n'explique pas tout, je prétends pas savoir comment tourne la société, mais l'approche globale passe avant l'approche individuelle, sans pour autant rejeter celle-ci je dirais. Parce que ce que tu dis là, je trouve que c'est assez naïf finalement :
Je trouve ça normal que quand on est moins bon ou moins investi que son voisin, que ce soit dans le travail ou les études, ce soit lui qui nous passe devant ; et je le considère pas comme un enfoiré sans éthique pour autant, j'estime qu'il mérite au minimum du respect pour avoir fait ce que je ne veux pas ou ne suis pas capable de faire.
Mais c'est pas pour autant que je suis pour les dérives que subissent certains employés, ça fait pas de moi un monstre qui rêve de l'esclavagisme des travailleurs. Mais le fait qu'on puisse pas envisager l'un sans l'autre (la valorisation de ceux qui travaillent bien allant forcément avec l'exploitation de tous les autres), est sûrement le plus dramatique dans cette histoire.
Accepter la logique de compétition et se dire contre les dérives, c'est un peu ce raisonnement du juste milieu qui n'existe pas. Dans tous les pays libéraux, adeptes de la compétition, y a des dérives et des injustices. L'un ne va pas sans l'autre oui, parce que l'appât du gain est un mal réel de notre société qui pousse les actionnaires à en demander toujours plus. Les inégalités économiques et sociales ne grandissent pas depuis des années parce qu'en ce moment les actionnaires et politiciens sont particulièrement avides. C'est le fruit d'une continuité, d'une façon de penser le monde avec des vainqueurs et des vaincus. Et là c'est pas du sport, le vaincu rentre pas forcément à la maison. C'est bien ça le problème de ce genre de vision : la rationalité, le juste milieu. Y a rien de tout ça en vrai. C'est de la pure idéologie et ça repose sur l'idée totalement irrationnelle que l'homme est au service de l'économie, pas l'inverse. Pourtant, l'économie n'est pas une science dure et n'est pas une entité vivante qui a soumis l'homme.
C'est le même constat avec ce studio de jeu vidéo. Il faut produire le jeu "dans les meilleurs délais", pour encaisser. Les employés deviennent une variable pour mieux servir les intérêts économiques. Il y aurait une soi-disant noblesse à ne pas compter ses heures pour servir des intérêts économiques. Si il s'agissait vraiment d'un ensemble de passionnés bien heureux de pouvoir bosser sans compter pour leur passion, ce studio ne tiendrait pas ces propos là sur les syndicats. Encore une fois, ça n'est pas un conflit entre ceux qui veulent se reposer et les passionnés, mais un rapport de force entre les vainqueurs de la société qui veulent maintenir leur avantage et les perdants qui sont soit résignés, soit en ont assez de perdre leur vie à la gagner.