
Depuis mes premières années à découvrir la japanimation, j'ai souhaité regarder Akage no An de 1979. Et comment ne pas le vouloir ? Cette série fait partie des Sekai Meisaku Gekijou (SMG), une catégorie d’animes que j’affectionne particulièrement, elle adapte une belle oeuvre de littérature occidentale ‘‘Anne... la maison aux pignons verts’’ de Lucy Maud Montgomery (1908), et est considéré comme un classique du réalisateur Isao Takahata. Pour tout dire, c’est Akage no An qui m’a principalement incité à me plonger dans les anciens animes. Cette quasi obsession a entraîné une attente démesurée envers cette production, mais la joie de voir mes espoirs se concrétiser en une magnifique expérience n’en a été que plus grande.
Akage no An nous raconte la jeunesse d’une orpheline, Anne Shirley, recueillie par la famille Cuthbert. De sa onzième à dix-septième année, nous suivons l’éducation et l'épanouissement de la jeune fille, au sein de la communauté insulaire (fictive) d'Avonlea, située sur l’île canadienne de Prince-Edouard (aka PEI).
Anne Shirley se révèle rapidement être la pièce maîtresse de l’oeuvre. Elle lui donne vie grâce à une personnalité très... particulière. Pour les habitués de protagonistes angéliques ou kawaii, l’oeuvre de Montgomery pourra détonner quelque peu, car bien qu’adorable avec le temps, je ne pourrais qualifier la jeune Anne que comme effroyablement humaine à en souffrir. Pipelette, colérique, se laissant aller à ses rêveries frivoles, chouinant et s’emportant en grandiloquences par mimétismes de ses lectures romantiques, Anne nous montre une héroïne espiègle, attachante, mais pleine de défauts, justifiés par un passé traumatique.
Cependant, Takahata arrive ici à retranscrire avec une justesse rare le ton de l’oeuvre originale, qui joue de ces défauts pour créer un récit d’apprentissage de moeurs particulièrement charmant, où l’on peut profiter de toute la candeur d’Anne autant que s’amuser devant ses égarements puérils. Le style sobre du réalisateur se prête parfaitement à l’exercice, et en plus d'adapter fidèlement les scènes et dialogues du roman, Takahata va s’efforcer de renforcer cette orientation narrative; par des petits ajouts originaux mais aussi un chara-design imparfait pour la jeune Anne, ainsi qu’une performance vocale, venue d’Eiko Yamada (une doubleuse récurrente des SMG), intense mais pas spécialement plaisante à l'oreille. Par ailleurs, l’imagination de celle que j’aime surnommer ‘Souzou-san’ transparaît avec réussite dans cette adaptation, grâce à des prémices de ‘réalisme magique’ que l’on retrouvera régulièrement dans les œuvres plus tardives de Takahata.
L’éducation est l'un des thèmes principaux dans Akage no Anne, mais peu moralisant je vous rassure. De nombreux personnages vont accompagner l’héroïne sur son chemin de la vie : ses amies, enseignants, autres figures notoires du village, et bien sûr ses ‘parents adoptifs’ : Matthew et Marilla. Cette dernière en particulier attirera sans difficulté la sympathie du spectateur adulte de par les difficultés qu’elle va rencontrer à guider Anne vers une conduite plus orthodoxe, et je me lasserai jamais de ses moues face aux excentricités de sa protégée. Plus que jamais, ce SMG se profile comme une série familiale qui peut être appréciée par tous les âges.
Concernant son genre, Akage no An a la particularité, selon moi, d’être le premier anime tranches de vie véritablement moderne. L’attention portée au quotidien, le rythme lent et le contenu mondain, les longs plans de paysage, et le passage du temps, étaient déjà des éléments présents dans des séries plus anciennes comme Heidi, mais ils se trouvent ici bien mieux mis en avant. De manière générale, Akage no An se déroule comme une galerie de moments dans l’adolescence de la protagoniste: parfois tristes, parfois heureux, parfois importants, parfois plus anodins... mais tous essentiels pour dresser un tableau complet du parcours d'Anne.
En outre, il convient de souligner que cet anime se définit aussi comme une comédie. Difficile de ne pas regarder avec un sourire suspendu les maniérismes étranges d’Anne et son sens de la théâtralité, ou la gravité avec laquelle les enfants de son âge, et de cette époque, confrontent des situations frivoles. Il y a dans cette oeuvre un léger anti-romantisme truculent, qui se complaît à observer des âmes innocentes se laisser aller à leurs fantaisies sentimentales absurdes.
Au-delà de son humour et de son aspect tranches de vie qui font d’Akage no An une excellente série, celle-ci obtient véritablement ses lettres de noblesse grâce à son aspect progressif. Les années passant, nous pouvons voir Anne évoluer, en corps comme en esprit. La série change alors de ton, sa légèreté prend du recul avec la maturation de Miss Shirley alors que son regard tourné vers l'horizon n’enfante plus de pensées mélodramatiques, mais se perd dans le futur infini des possibles, ce dans une sentimentalité plus contemplative. Le récit dans sa dernière partie devient un peu plus traditionnel, et perd un peu de son charme unique, mais gagne une introspection nouvelle qui sied à sa conclusion fort mémorable.
On appréciera dans cette série le sens du détail de Takahata, qui cherche à l'embellir dans tous ses aspects. Les musiques tirent bénéfice de cette attention particulière. Tout d'abord, par le biais de deux compositeurs différents, Kurodo Mori et Akira Miyoshi, qui apportent une bande-son soignée, bien qu'assez limitée. De plus, Takahata a aussi profité de la collaboration de la conteuse/poétesse Eriko Kishida (déjà présente pour Heidi et Inu no Flanders), en tant que parolière, pour la création d'une poignée de chansons thématiques qui accompagnent certaines scènes emblématiques. Il est rare de trouver des bonnes bandes originales pour les animes des années 70 mais j'ai trouvé celle-ci plutôt mémorable.
Akage no An impressionne également dans le département des visuels : impossible de se lasser des paysages de l’Ile-Prince-Edouard; ses tons rouges typiques, le détail de ses décors intérieurs ou de sa nature foisonnante. Tout aussi admirable dans les mouvements de ses personnages, c’est avec grand plaisir que nous passons notre temps à sonder leurs expressions variées. Malheureusement, la qualité impressionnante des débuts de série s’estompe après une quinzaine d’épisodes et se détériore même fameusement jusqu’à l’épisode 20 (et l’épisode 39) où l’on voit se multiplier images fixes, réutilisations de scènes antérieures via flashbacks, animation minimaliste et même quelques 'in-between' visiblement manquants, avant de retrouver ses marques par la suite. Seul les arrières-plans, sous l’égide du directeur artistique Masahiro Ioka (Heidi, Perrine Monogatari), continueront de montrer sans faille toute la beauté de l’île canadienne à travers les saisons dans une joie cyclique immaculée.
La production d’animes sous la supervision de Takahata mène une fois de plus à une entreprise quasi catastrophique avec Akage no An. Avant même sa diffusion, les préparatifs sont perturbés puisque beaucoup de personnes impliquées dans le projet travaillaient également sur Mirai Shounen Conan jusqu’en novembre 1978 alors que le nouveau SMG devait commencer dès le début de l’année suivante. Par la suite, de multiples départs vont davantage compliquer le planning, comme celui de Yoshiyuki Tomino qui se lançait alors dans la création de Gundam, et celui de Hayao Miyazaki qui malgré (ou à cause de) ses nombreuses collaborations avec son ami, dont ce troisième SMG ensemble, décide de quitter définitivement Akage no Anne après 15 épisodes, pour s'atteler à la réalisation de Lupin III : Le château de Cagliostro. Takahata devra alors compter sur des solutions bancales, et surtout l’abnégation d’autres artistes, dont Michiyo Sakurai (une régulière des SMG/Ghibli) et surtout notre cher Yoshifumi Kondo qui va se révéler être un véritable pilier, en tant que concepteur des personnages ainsi que chef animateur, malgré de lourds problèmes de santé, tant ce projet lui tenait à cœur.
Même si l’on pourra regretter voir ces problèmes de coulisse entacher l’excellence globale de la série, Akage no Anne n'en demeure pas moins un anime unique qui m'a beaucoup touché. Je pourrais facilement me perdre en superlatif pour ce bijou; ce mélange formidable de poésie, de gaieté, de compassion et d'élégance. Depuis que j'ai commencé mes pérégrinations dans les anciens animes, c'est certainement le premier à s'aligner complètement à mes goûts. Comment alors pourrais-je le qualifier autrement que comme un chef-d'oeuvre?