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» Critique de l'anime Blood Blockade Battlefront par Alice Devil le
15 Octobre 2015
Blood Blockade Battlefront - Screenshot #1

Jerusalem's Lot, anciennement connue sous le nom de New York, le lieu où tout est possible, où le surnaturel vous attends à chaque coin de rue, où des aliens, créatures inimaginables et même divinités oubliées coexistent avec l'humanité dans cette ville de l'étrange. Trois ans après le grand effondrement des barrières entre les mondes en ce point précis, la cohabitation demeurent difficile avec d'un côté certains humains qui ne voient dans ces nouveaux voisins qu'une source de profit ou de pouvoirs, et de l'autre des monstres qui s'amusent de la faiblesses des hommes à leur dépends. Dans un tel chaos se dresse cependant un ultime rempart, l'association Libra, composée d'individus tout aussi improbables et louches que la réalité dans laquelle ils vivent. On y croise aussi bien des hommes-poissons, des loups-garous camouflés, des chasseurs de vampires excentriques, ou même des glandeurs hédonistes, mais tous partagent un seul et même but: veilliez à l'équilibre de Jerusalem's Lot.

Vous sentez déjà venir les batailles dantesques à grand coups d'effets de manche? Et bien détrompez vous, car Nightow nous délivre ce que je considère désormais comme l'anime le plus intelligemment construit de 2015 et même de ces dernières années.

Produit au printemps 2015 par l'excellentissime Studio Bones (Full Metal Alchemist, Rahxephon et Space Dandy entre autres) et conclu voilà à peine quelque semaine par un épisode final de plus de 40 minutes, Kekkai Sensen est véritablement une série atypique de par sa progression: son concept de base nous suggère en effet une histoire centrée sur l'action et l'aventure avec des combats à foison, alors qu'au final, la seule véritable confrontation à laquelle nous avons droit est celle de principe moraux et de thématiques philosophiques, entrecoupée de scènes comiques. On reconnait là le style du mangaka Yasuhiro Nightow, auteur de la série, qui déjà dans sa précédente œuvre Trigun avait enrobé toute sa réflexion derrière une épaisse couche d'humour et de castagne à un tel point que l'on venait parfois à perdre de vue la profondeur de l'intrigue. Ce n'est pas le cas ici où les idées à fleur de peaux sont incontournables et forment la pierre angulaire du récit au point où l'action elle même parfois se tient en retrait comme dans le tout dernier épisode par exemple. Aussi, amateur de baston pure, vous êtes prévenus.

Blood Blockade Battlefront - Screenshot #2Le concept de base n'est en vérité qu'un prétexte pour une débauche visuelle d'images toutes les plus farfelues les unes que les autres, opérant une métamorphose de New York telle que vous ne l'avez jamais vu. Englobée en permanence dans une léger brouillard, la ville se peuple de monstres au design ahurissant, allant de l'alien champignon à la voiture/transporteur tantôt arachnéïde et squelette, dans un enchevêtrement d'autoroutes et d'immeubles parfois effondrés, en ruines, ou même à l'envers! La logique dans Jerusalem's Lot disparait totalement au profit de l'étrangeté la plus absolue. Studio Bones fait ici un travail fabuleux avec ces décors si riches: le moindre plan regorge tellement de vie qu'un arrêt image par image serait nécessaire pour pouvoir tout apprécier à sa juste valeur. Et la réalisatrice, Rie Matsumoto (principalement connue pour l'anime Kyousougiga ), ne nous facilite pas la tâche avec sa direction nerveuse et effrénée: les scènes s'enchainent à un rythme endiablé tout en dosant subtilement la vitesse et la contemplation pour que le spectateur ne se sente pas perdue et suive l'action, mais force est de constater qu'entre les visuelles et le point de vue de la ""caméra"" qui se renverse en permanence, on se retrouve plonger dans un tourbillon vertigineux qui nous fait croire sans aucune peine que tout est bel et bien possible dans Jerusalem's Lot.

Blood Blockade Battlefront - Screenshot #3Dans un tel contexte, où toutes les créatures les plus inimaginables se croisent, c'est en vérité une confrontation des principes qui s'opèrent. En effet, alien ou humain n'ont pas de véritables différences ici, et sont au plus à voir comme autant d'expressions de la diversité humaine incarnés dans des formes extrêmes et percutantes. Non, là où le concept brille vraiment, c'est bel et bien dans sa manière de mélanger tous les plans: le grand effondrement qui brisa les barrières des dimensions a aussi réuni en un seul lieu toutes les religions et mythologies, deux entités chères à Nightow. Et les adversaires de Libra, l'organisation qui de par sa diversité incarne l'humanité dans toute sa gloire et ses défauts, ne sont d'autres qu'une multitudes d'entités innommables reposant au pied d'un arbre semblable à celui de la mythologie nordique, ou alors les mystérieux "treize rois", êtres aussi cruel que malicieux dont le nombre et l'association à des vices n'a rien au hasard. Comme dans Trigun, les combats ici se doublent d'une symbolique, et l'enjeu finit d'ailleurs par bien souvent dépassé la question de qui gagne ou perds, à l'instar de l'épisode 3 où le chef de Libra en personne s'engage dans une partie d'échec interminables et au règles indicibles où le but n'est nullement de l'emporter, mais de tenir. C'est ainsi que ce dégage le premier thème majeur et fil rouge de la série: celui de la supériorité de la volonté sur le véritable pouvoir inatteignable. La recherche de ce dernier, qu'importe la raison conduit le plus souvent à la folie ou au désespoir, voire à la mort. Dans une telle optique, il nous revient de survivre du mieux que nous pouvons, en résistant à la tentation à l'aide des gens qui nous entourent et nous complète, à la manière de cette équipe de relatifs bras-cassés qu'est Libra mais qui tous ensemble surmonte les obstacles en travers de la route et vont de l'avant, qu'importe si leur combat et despéré ou perdu d'avance: il y a une différence après tout entre être surpassé et être vaincu.

Blood Blockade Battlefront - Screenshot #4Et c'est là qu'intervient l'histoire principale de la série ainsi que son personnage principal. En effet, jusque là, nous n'avons abordé que la couche externe de la réflexion de l'anime: c'est vous dire si ce dernier est riche en interprétations et en détail! D'ailleurs, je vous rassure, je ne les traiterai pas tous, où sinon cette critique deviendrait un véritable roman fleuve plus qu'elle ne l'est déjà. Pour en revenir à notre héros, répondant au doux nom de Leonardo Watch, se retrouve mêlé à cette histoire d'ailleurs par pur hasard: son seul crime fut d'être, lui et sa sœur Michella , au mauvais endroit au mauvais moment. Venu avec sa famille dans l'espoir que la bizarrerie de Jerusalem's Lot puisse guérir l'handicap de sa sœur (en gros à la recherche d'un pouvoir...), Leo et celle ci n'ont obtenu rien d'autre que de rencontrer une mystérieuse déité qui non content de tuer leur parents, rends Michella aveugle pour pouvoir conférer à Leo qui n'avait rien demander des yeux surhumain, capable de voir tous les plans de la réalité et même au delà! Désormais rongé par le remord, il part en quête de Libra (qu'il trouve là encore accidentellement) pour pouvoir résoudre son problème et réparer le mal qui a été fait (en gros, il part à la recherche d'encore plus de pouvoirs....avec les implications que ça entraine).

Blood Blockade Battlefront - Screenshot #5Au cours de son périple néanmoins, Leo, au contact des membres de Libra (dont certains, pour rappel, soit loin d'être très glorieux), va petit à petit se détourner de sa quête digne d'un héros de shonen cherchant à devenir plus fort et à dépasser ses faiblesses. En effet, chaque personnage dans cette série possède sa propre technique de combat qui au delà du côté esthétique que cela donne aux quelques combats émaillants la série, offre encore une fois un aperçu de la diversité humaine: l'un à travers la discipline et la rigueur parviendra ainsi à déchaine la puissance des vents, alors qu'un autre par des procédés bien moins noble (pour rester polie, on va appeler ça du désir amoureux mais avec l'amour en moins) commandera rien de moins que la puissance des flammes! Tout le monde possède ainsi sa propre force unique et inimitable qui tient de notre personnalité et donc de nos défauts. La détermination que Leo recherche en rejoignant Libra, il l'a possède déjà en lui: ce n'est qu'avec le contact d'autrui que sa prise de conscience de cette dernière s'accélère et qu'il apprends à la maitriser, devenant à son tour un élément unique dans Libra. Dès lors, sa quête du pouvoir s'achève aussi promptement qu'elle a débuté, car devenant inutile, voire dangereuse: rechercher plus que nous n'avons déjà reviendrait à aller au delà de sa nature, au delà de son humanité, une chose qui conduirait petit à petit à la destruction de son être comme le démontre les exemples de ce guerrier maitrisant à la fois la flamme et le vent mais dont le physique difforme ne le distingue plus des divinités indicibles qu'il combat, ou du tragique duo White et Black, un frère et une sœur qui en jurant de se protéger mutuellement, ont pris des décisions partant de bonnes intentions mais aux conséquences tragiques.

Blood Blockade Battlefront - Screenshot #6On pourrait rétorquer qu'un tel message fait presque preuve de mièvrerie: croire en sa force intérieure pourrait en effet paraitre tout droit sorti d'un conte revisité à la sauce Disney, mais Kekkai Sensen se détache de cette morale classique de par ses implications mises à l'écran par l'anime. Accepter sa propre force unique, c'est aussi comme je le disais en reconnaitre les limites, et accepter ainsi ne pas pouvoir changer les torts qui nous ont été infligés ou que nous avons causé. Dans le cas de Leo, cela impliquerait ni plus ni moins que de renoncer à retrouver la vue de sa sœur, à renoncer à ce retour à un passé certes imparfait mais meilleur où il vivait avec elle en harmonie et non dans le chaos frénétique de Jerusalem's Lot en compagnie d'une bande d'excentriques. Je le rappelle, mais la volonté de Libra ne sert qu'à faire continuer une lutte millénaire, pas à la remporter. Au fond, n'est ce pas cela d'être humain? Survivre dans un monde que nous ne maitrisons pas avec nos propres forces, arriver à tourner la page de ce que nous avons perdu, accepter notre faiblesse à ne pouvoir changer les choses et découvrir que malgré la disparition de ce qui nous était précieux, le monde continue toujours de tourner et d'apporter son nouveau lot de loufoqueries, de rires et de nouvelles rencontres avec qui nous vivrons d'autres choses qui elles aussi disparaitront un jour. Ainsi, nous continuons, et cela malgré notre impuissance, malgré cette connaissance intime que nous serons pas des héros, que nous ne laisserons certainement pas d'empreintes durables dans le temps, et que les questions que nous nous posons demeurerons sans réponse: après tout, c'est cela d'être humain, c'est cela d'être normal, voire banal, et il n'y a aucune honte en cela, chaque vie humaine ayant comme dit plus haut sa force/personnalité singulière et unique qui même dans sa brièveté, constitue un tout avec ceux qui nous sont proches, ces autres individus ordinaires que nous appelons amis ou famille.

Pour une série se déroulant dans le cadre surnaturel de Jerusalem's Lot où tout est possible, je ne m'attendais pas à ce que Nightow, vibrant humaniste, nous délivre ainsi une ode à la banalité des plus poignantes et des plus touchantes. Je pourrais encore parler de cette série pendant des heures tant sa richesse condensée en seulement 12 épisodes et si vaste. Je n'ai par exemple, même pas eu le temps l'emploi absolument prodigieux de la musique classique dans l'anime, ou encore d'autres thèmes égrenés dans la série sur la nature même du mal (car oui, c'est aussi présent). Mais je pense que vous avez compris: Kekkai Sensen est non seulement l'une des plus belles séries que l'animation peut nous offrir en ce moment, mais elle mélange avec brio la beauté des décors avec l'intelligence de la réflexion pour nous délivrer une œuvre totale à regarder d'urgence. La série n'est pas pour tout le monde, je l'admet, et la barrière de la langue est un véritable obstacle à sa diffusion puisque la lecture des sous-titre casse le rythme de l'anime et le déséquilibre. Mais à la place d'un divertissement grand public, on se retrouve en présence d'une série d'une rare intelligence. Alors pour un minimum d'effort et attention, prenez le temps de regarder cet anime et croyez moi: vous passerez en l'espace de 12 épisodes du rire aux larmes, de l'excitation à la contemplation et à la réflexion. Après tout, tout est possible dans Jerusalem's Lot!

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Alice Devil, inscrit depuis le 23/10/2012.
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