@Red Slaughterer :
J'avais hésité un temps sur cette dérive de ta terminologie, j'ai pris position et je me suis donc trompé. Cependant, que le propos porte sur la littérature ou sur l'animation, ma pensée et mon raisonnement se voient inchangés.
Il n'est justement à aucun moment le cas dans mon propos d'analyse les intentions de l'auteur. Je parlais de ce qu'étais une critique, comme un angle d'approche d'une œuvre. Finalement, ce que l'on sait de l'auteur est également un angle d'approche de l'œuvre, au même titre qu'une critique. Ce sont toutes ces sources secondaires qui entourent la source primaire.
Là où je souhaite revenir et prendre position ceci dit, c'est sur ton utilisation du verbe dire. Je ne crois pas qu'en art on puisse dire quelque chose. Si l'on dit quelque chose, c'est que l'on est dans le domaine du logos et de la raison. Le terme pourrait être éventuellement acceptable en littérature, étant donné que c'est l'art qui se joue le mieux du paradoxe entre le logos et le sous-entendu du langage. En dehors, cela me semble une erreur. Et je veux désormais arriver à ce qui fait les intentions de l'auteur, car finalement voilà plusieurs messages où il s'agit d'un thème central et jamais je ne me suis prêté à une définition sinon à un éclaircissement.
Pour moi, il ne convient pas de confondre les intentions de l'auteur avec un quelconque message. Le message que veut faire passer le créateur me semble bien plus proche de l'invention scolastique que de la réalité. Il me paraît au contraire d'avantage qu'un créateur exprime dans une œuvre. Et là, je garde bien à l'esprit l'étymologie du mot : il s'agit de presser hors de soi.
Cette précision étant faite, j'aimerais revenir sur ce que tu disais à propos du rapport entre le créateur et son œuvre. Je me situe évidemment dans la seconde possibilité que tu envisages : pour moi, le créateur est incapable de saisir toute la dimension de ce qu'il crée et le spectateur est incapable de saisir toute la dimension crée. C'est très explicable par de nombreux éléments, notamment des variations diachroniques, diatopiques, diaphasiques, etc. mais également par l'imprécision intrinsèque à la rencontre du spectateur avec l'œuvre.
Là où je voudrais cependant revenir, c'est lorsque tu dis que le lecteur n'existe pas pour l'auteur au moment de la création. Je suis en désaccord avec cette partie : à chaque fois qu'un créateur crée quelque chose, il a sans cesse en tête une figure d'autrui. Il ne faut pas oublier que le créateur est le premier spectateur. Et justement, comme le créateur est incapable de saisir tout à fait l'étendue de sa création, comme il existe un écart entre le projet et la création, cette distance agit comme un miroir et c'est exactement le même miroir que celui entre une œuvre et son spectateur. Je m'inspire dans cette vision beaucoup de la théorie de Sartre à ce sujet, tirée du tout début de son essai Qu'est-ce que la littérature ?, et je ne peux que t'encourager à aller lire les premières pages, Sartre étant bien meilleur pour expliquer ses propres théories que moi-même. Là où je peux apporter un complément à cette conception, c'est qu'il me apparaît d'une autre façon encore que le spectateur est sans cesse dans l'esprit du créateur : le créateur se fait artiste seulement au moment où il expose un projet ; il y a une constante dans l'art : il faut montrer, et pour montrer il faut supposer un spectateur. Cela implique donc que chaque créateur, d'une manière plus ou moins consciente, fantasme un spectateur et se fait du même coup spectateur lui-même de sa propre création.
C'est dans ce contexte-ci précisément que se justifie à mon goût l'idée de tension que je voulais dire. Cette idée de tension est finalement la résultante d'un point de vue structuraliste : étant donné que je considère que la somme des composantes d'un ensemble n'a pas la même valeur que l'ensemble lui-même et qu'il y faut intégrer le réseau de relations de ces composantes, il me semble important d'envisager la rencontre avec une œuvre au sein d'un réseau. C'est dans ce paradigme que la tension que je décris doit se comprendre.