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L'héritage des loups

» Critique du manga Lone Wolf & Cub par Shizao le
08 Juillet 2016
Lone Wolf & Cub - Screenshot #1

La voie. Symbole d'une quête et accomplissement d'une vie. C'est ce que recherche le duo Lone Wolf & Cub. Deux assassins atypiques, c'est le moins que l'on puisse dire, puisqu'il s'agit d'un rônin et... de son fils de 3 ans.

Pour ce faire, Ôgami Ittô et son fils, Daigoro, vont devoir se forger une identité. Après la disparition de leur clan, il n'est plus question d'être l'exécuteur du shogun. Pour cela, les voilà engagés sur la voie du meifumadô. Un concept clair qui rejette leur humanité et leur code d'honneur mais non sans rigueur, puisqu'il s'agit de faire preuve d'une extrême discipline pour accomplir leur vengeance contre le clan Yagyû, pilier du gouvernement.

Sur fond d'intrigue politique, Lone Wolf & Cub, c'est le manga d'aventure avec un grand A. Père et fils accomplissent des assassinats pour 500 ryô et cela les amènera à sillonner le Japon pré-moderne. Chaque chapitre est l'occasion de (re)découvrir l'ère Edo et son contexte. Il est justement très important de le comprendre, ce contexte. Après la victoire de l'armée de Tokugawa lors de la bataille de Sekigahara, le nouveau shogun et ses forces n'ont cessé d'agrandir leur pouvoir et le Japon a petit à petit basculé dans une période de paix maintenue par une poigne de fer. Avec la fin de l'ère Sengoku, les samouraïs n'ont plus besoin de se battre sans relâche pour un seigneur, le pays est unifié. Le gouvernement Tokugawa, basé à Edo, tient en laisse les daimyô occupant les cinquante-neuf autres provinces japonaises. Obligation de passer un certain temps dans la capitale, espionnage, divers moyens sont employés pour garder le contrôle sur des seigneurs qui pourraient être tentés de reprendre le pouvoir.

Lone Wolf & Cub - Screenshot #2Tout cela a une grande importance dans le voyage d'Ittô et Daigoro. Les assassinats peuvent être liés directement aux nouvelles problématiques de cette période ou tout simplement à la vie de tous les jours dans ce Japon pré-moderne. Le statut de samouraï ne pouvait être dévalorisé malgré la paix et pour cela, les meilleurs guerriers ont prit le pouvoir politique. La révolte paysanne n'est jamais loin quand ce n'est pas une querelle entre nobles ou familles de samouraïs. Outre les paysans, les auteurs nous font découvrir les différents métiers exercés par le peuple et son évolution sociale. La déchéance de certains samouraïs, la genèse des yakuza, la dure mission des facteurs du shogun, la survie des pêcheurs, l'enfer vécu par les femmes... Lone Wolf & Cub est sur tous les fronts et le lecteur peut ainsi admirer les magnifiques paysages faits de montagnes, de forêts, de rivières et de mers en passant par quelques temples et rues étroites de grandes villes. Je m'attendais à de bons dessins mais je n'imaginais pas qu'au fil des tomes, on frôlerait le photo-réalisme dans un manga débuté en 1970.

L'écriture de Koike Kazuo est à la hauteur des dessins de Kojima Goseki. J'ai particulièrement apprécié la façon de s'exprimer d'honorables samouraïs, tout en métaphores, pour faire comprendre le fond de leur pensée, leur style de vie et la passion qui les anime sur le chemin qu'ils ont choisi. Le peuple n'est pas en reste, notamment à travers des chansons, auxquelles Daigoro sera particulièrement réceptif. Il est d'ailleurs le personnage qui m'a le plus marqué. 3 ans et ça a déjà plus de classe que ses ainés. Ce gosse est une aventure à lui tout seul. Il symbolise le dilemme terrible entre l'innocence d'un enfant et la rigueur nécessaire pour arriver à se transcender, accepter la réalité et suivre sa voie pour arriver à son objectif. Son regard reflète les maux de l'ère Edo : la trop grande importance de la classe guerrière, les combats sanglants des rônin ou autres yakuza pour la gloire et pire encore, la route éprouvante et jalonnée de cadavres sur laquelle il accompagne Ittô. Ces yeux en apparence insensibles s'illuminent au rythme de nouvelles rencontres, de la nature ou de la vue de son père avant de redevenir las devant les combats et de se réhabituer à la triste musique des lames.

Lone Wolf & Cub - Screenshot #3C'est d'autant plus tragique qu'à travers Ittô, nous avons un aperçu du futur de Daigoro. L'ancien bourreau est taciturne, déterminé, discipliné mais toujours humain. Le fait qu'il ait emmené son fils sur le chemin de la vengeance et qu'il l'utilise dans ses stratégies sera l'objet d'une problématique clé du manga. Comprendre Ittô c'est comprendre sa voie. Dépasser les sentiments humains pour mieux y revenir. Le meifumadô lui demande d'accepter son destin quoiqu'il arrive, y compris pour son fils. De quoi douter de l'amour d'un père, une ambigüité renforcée par l'amour du fils. La seule chose que j'aurais à reprocher à ce personnage, c'est ce panégyrique construit autour de lui qui donne une impression d'invincibilité constante.

Aborder Ittô renvoie irrémédiablement à l'honneur. Plus belle preuve d'amour que ce rônin, adepte d'une vie modeste, peut donner à son fils, en lui enseignant. La notion d'honneur permet aussi de comprendre le déroulement des combats dans le manga. Des politesses et un respect mutuel qui tranchent avec la violence des affrontements. L'honneur qui supplante la haine est symbole d'élévation, d'atteinte d'un stade supérieur pour n'importe quel combattant. Cet état d'esprit peut prendre diverses formes, il ne se manifeste pas de la même façon chez un samouraï ou un shinobi. L'honneur a d'autant plus d'importance dans l'ère Edo car il est un moyen de renouer avec le glorieux passé où l'on prouvait sur le champ de bataille. Les auteurs n'oublient pas de compléter ce principe en introduisant des personnages qui le bafouent ouvertement.

Lone Wolf & Cub - Screenshot #4Ces différentes formes se retrouvent avec le clan Yagyû. Accro au pouvoir, soucieux des apparences et jamais très loin de franchir les sacrosaintes lignes qui séparent le bushidô, le nindô et le commun des mortels. Si le périple des Ôgami est un reflet des milieux populaires, le quotidien des Yagyû nous emmène en terrains nobles et guerriers, où les machinations ne peuvent se faire sans préservation de l'apparence. La confiance du shogun est le nerf de la guerre qui se dispute tant en politique qu'au combat. Enfin, il est intéressant de noter que Retsudô, le chef de clan, est une représentation originale de Yagyû Jûbei. Reconnaissable au nom de famille, au fameux cache-oeil et aux liens avec les ninjas, Retsudô est tout de même différent de l'image populaire d'un Jûbei rebelle et bien souvent héros et non antagoniste.

Ce fut donc un plaisir de découvrir un pionnier du manga historique à travers une aventure épique riche en action et aux dialogues profonds et efficaces. Les péripéties d'un voyage, le développement psychologique et la montée en puissance de l'aspect contemplatif... voir Lone Wolf & Cub guerroyer a sans nul doute inspiré bon nombre d'auteurs. L'héritage laissé par les loups est un véritable monument du gekiga et de la bande-dessinée japonaise.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Shizao, inscrit depuis le 28/12/2014.
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