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« La force de l'amour paraît dans la souffrance. » - Pierre Corneille.

» Critique du manga Le Jeu du Chat et de la Souris par Maya* le
05 Août 2014

« Du Yaoi ? T’es bien mignonne mais ce n’est pas trop mon délire. »
« Ces trucs pour fujoshi avec des viols à tout bout de champ ? Non merci. »

Ces réactions sont malheureusement bien courantes lorsqu’on essaye de convaincre les gens de lire une œuvre Boy’s Love (BL), le type se traînant une réputation des moins brillantes avec les adaptations animées des séries de Shungiku Nakamura qui laisseraient presque à croire que le seul moyen de faire passer une romance homosexuelle à l’écran est que ce soit loufoque et/ou niais, et on ne remercie pas non plus les codes (seme viril et dominant prétendu hétéro, uke efféminé et pleurnicheur, sexe gratuitement violent…) qui doivent bien couvrir 80% du yaoi (on exclut le shonen-ai qui a ses propres codes, mais là n’est pas le sujet).

Et pourtant, une fois toutes les appréhensions et préjugés rangés au placard, « Le jeu du chat et de la souris » est le titre BL mythique qui arrive à être lu et apprécié même par les réticents au genre. Mizushiro Setona arrive à nous raconter une histoire d’amour entre deux personnes du même sexe avec la même aisance et le même talent avec lesquels elle nous raconterait n’importe quelle romance dans ses shojo, en jouant sur le nouvel élément de l’histoire qu’est la difficulté à assumer des sentiments tabous et condamnés par la société, sans en faire la réelle problématique du récit.

Les premières pages du premier volume peuvent sonner comme une trahison avec la mise en place précipitée de « la relation charnelle » entre les deux protagonistes, et pourtant il faut aller au-delà. L’intérêt de cette introduction abrupte étant dans la mise en place du contexte adulte avec des protagonistes qui ont la trentaine et qui sont dans le monde du travail, en abordant des thèmes rarement effleurés dans ce type de lecture, comme l’adultère, l’ennui en fin de vie de couple, l’acharnement à essayer de conserver ce qu’on a déjà, même si on n’y trouve plus son compte, par peur de perdre ce qui est acquis en plongeant dans l’incertitude.

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Je ne cherche pas à te faire changer de bord définitivement ou à te harceler toute ta vie. Un jour, tu seras vraiment amoureux. Tu te laisseras entraîner non plus par quelqu'un mais par tes propres sentiments. Ce sera la "femme de ta vie". Et quand elle se manifestera... je disparaîtrai sans demander mon reste.
Alors jusque-là, amuse-toi avec moi. C'est ennuyeux de rester seul, non ?

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Entre lâcheté et curiosité, on suit l’évolution de Kyoichi, de l’hétéro frivole qui n’arrive pas à dire « non » aux avances d’une femme, vers une bisexualité qui sera établie sur le tas. Là où Setona-sensei fait fort, c’est que le véritable dilemme pour Kyoichi n’est pas d’admettre ou accepter ses penchants sexuels mais de murir en tant qu’adulte et faire preuve de sérieux dans une relation où il s’investirait entièrement.
Alors qu’il nous est présenté comme quelqu’un se laissant porter et ne faisant preuve d’aucune volonté, il n’est pas ici question d’assumer être hétéro, gay ou bi, mais d’apprendre à se comporter de façon responsable en prenant les sentiments de l’autre en considération dans l’équation. Comment ne pas fuir face aux caprices et hésitations d’Imagase et faire preuve de fermeté et d’honnêteté envers ses sentiments.

Là où un BL classique et caricatural aurait fait de l’acceptation de sa sexualité la problématique centrale du récit, « Le jeu du chat et de la souris » ne traite pas la sexualité comme un fait immuable et figé. A un moment donné, Kyoichi est plus ou moins attiré par certaines personnes, par certaines expériences, se contentant de papillonner et de goûter à différentes fleurs. Il aurait pu avoir les mêmes préférences toute sa vie, mais ce ne fut pas le cas. Les préférences sexuelles tiennent aux rencontres qu'on fait, ce ne sont pas nos préférences sexuelles qui définissent les personnes qui nous attirent, mais plutôt le contraire, et Setona arrive à diluer subtilement cette leçon de vie dans son histoire. La rencontre de Kyoichi et Imagase signant non pas une remise en question identitaire ou sexuelle mais le début d’une nouvelle expérience et l’éclosion de sentiments amoureux.

L’atmosphère devient plus pesante lors du second volume, car alors même qu’on semblait se concentrer sur les doutes de Kyoichi lors du premier, on remarquait tout de même la fragilité d’Imagase et que ce dernier, n’évoluait pas. Il était inévitable que les deux arrivent à un tournant où malgré tous les efforts de Kyoichi, le couple connaîtrait sa plus grande crise.

Imagase, même en étant le plus entreprenant des deux, se comporte dès le départ en « underdog » qui obtient ce qu’il veut sur l’instant mais sans pour autant espérer une tournure sérieuse ou recevoir de la réciprocité envers ses sentiments à la fois douloureux et capricieux. Il est à l’évidence le plus indécis et le moins confiant, même s’il est des deux le plus à l’aise avec sa sexualité, ce contraste est d’ailleurs fort intéressant.
Imagase ne se considérant pas comme suffisamment à la hauteur pour être l’âme-sœur de Kyoichi et le séduisant dans le but d’être une issue de secours et non pas celui avec lequel ce dernier voudrait finir sa vie, sa situation nous met mal à l’aise, le côté « pathétique » des deux personnages étant très dérangeant mais à la fois poignant.

Le moins que l’on puisse dire est que ce manga est porté dignement par son casting. Deux personnes qui s’aiment mais sans qu'aucune des deux ne parvienne, sauf à quelques rares occasions, à faire passer à l'autre la force de ses sentiments. La conséquence en est une relation très fragile, et donc très touchante avec des moments de totale incompréhension de part et d'autre. On arrive à se mettre dans la peau et d'un personnage et de l'autre mais on n’arrive pas à trouver de compromis.

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Tu n'aimes jamais personne de toi-même, mais tu veux être aimé de tous et tu feins de te laisser faire. Tu te poses en victime et tu continues à attendre "quelqu'un qui t'aimera encore plus".

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Au final, je tire mon chapeau à Setona Mizushiro qui a réussi à raconter quelque chose de vraiment très réaliste. On se heurte à une relation complexe et douloureuse qui zigzague entre souffrance et passion. Le second volume, même s’il n’était à la base pas prévu et ne vaut son existence qu’au succès du premier (prévu pour être un oneshot), est celui qui classe ce BL comme un chef-d’œuvre avec une vue plongeante sur l’esprit humain servie par des dialogues exquis, une fresque de son égoïsme, immaturité et son indécision dans ses relations avec autrui, peinte aux couleurs des personnages dont les portraits reflètent les nôtres, à des degrés différents.

Pour l’anecdote, les titres japonais sont différents du titre sous lequel sont réunis les deux volumes dans l’édition française. Le titre du premier volume pourrait se traduire par « Les rêves de souris coincée(s) dans du fromage » et celui du second par « Une carpe sur une planche à découper saute deux fois ». Le premier pouvant évoquer Imagase coincé dans ses fantasmes et tentant désespérément d’obtenir le fromage tant désiré, alors que le second évoque les erreurs que ne cessent de répéter les personnages et leur longue agonie.

Le premier volume, même en abordant des thèmes assez percutants (l'adultère, la personnalité frivole de Kyoichi, l'obsession d'Imagase, la souffrance qui découle du sentiment amoureux, l'éclosion des sentiments de Kyoichi...) reste assez classique, contrairement au second où la patte de Setona-sensei se fait bien plus sentir. Elle y soulève des questions et met en place des situations sans proposer de solution ou de dénouement idéal.
Elle met en scène deux personnes qui s'aiment sans arriver à se l'exprimer, à se comprendre, un amour douloureux qui emporte dans le sillage de ses doutes leur bonheur mais également celui de leur entourage, notamment les personnes qu’ils fréquentent en quête de stabilité. Une stabilité qu’ils ont du mal à atteindre ensemble dans cette relation qu'ils ne cessent de détruire pour ensuite reconstruire.

L’avenir de cette relation fragile est aussi trouble et incertain que toute relation amoureuse IRL... où alors même que la souffrance est le maître sentiment des débuts et l’emporte sur l’amour entre les deux personnages, le récit tente tout au long de s’acheminer vers un juste milieu éphémère où les deux arriveraient à équilibrer leurs sentiments entre amour, passion et doutes, mais sans aucune garantie que l’équilibre ne sera pas aussitôt rompu.

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Comment veux-tu qu'une araignée et l'insecte pris dans son filet soient égaux ? Je suis un papillon de nuit qui s'est jeté de lui-même dans tes filets. Je rêve du jour où tu me croqueras. Mais toi, tu te contentes de me donner ton miel pour me garder en vie. Un jour un joli papillon se posera sur ton filet. Et tu le dégusteras juste sous mes yeux. Et quand j'aurai assisté à ce spectacle, je pourrais enfin me libérer.

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Avant de conclure cette critique, quelques mots à propos des graphismes, si vous en êtes à votre premier Mizushiro Setona, vous risquez d’être fortement perturbés par… les oreilles. Ces dernières apparaissant dans des plans ¾ où elles devraient être invisibles, c’est assez perturbant au départ mais on finit par y trouver du charme. Les dessins sont simples avec des expressions et mimiques véhiculant sobrement les sentiments des personnages.

Somme toute, « Le jeu du chat et de la souris » est la meilleure introduction au BL qui soit, même s’il n’est pas à mettre entre n’importe quelles mains au vu de son contenu « adulte » et je ne pense pas seulement aux scènes de sexe mais également au traitement de l’histoire qui peut être dérangeant. Ceci n’empêche pas que ce titre est une perle, un incontournable pour toute personne en âge de le lire et qui ne soit pas obtuse à la romance entre deux personnes du même sexe.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Maya*, inscrit depuis le 01/02/2012.
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