Modest Heroes – L’oiseau prend (tout doucement) son envol

» Critique de l'anime Modest Heroes par Minuit le
26 Avril 2019

Pour la première fois en quinze ans, on a pris au sérieux l’annonce de la retraite de maître Miyazaki, qui répétait inlassablement depuis Princesse Mononoké qu’il arrêtait. C’était fin 2014 : le studio Ghibli décidait de refondre son équipe de production principale.

C’était l’occasion pour « Maro », Hiromasa Yonebayashi de son vrai nom, et surtout le producteur Yoshiaki Nishimura de créer un nouveau studio : le studio Ponoc. L’ambition affichée était assez simple : offrir aux anciens de Ghibli l’espace de liberté qu’ils n’avaient jamais vraiment eu. Après avoir produit un premier long-métrage assez inoffensif en 2017, le studio décide de produire un format assez inhabituel, surtout pour un studio qui voudrait se faire un nom : une compilation de court-métrages.

Modest Heroes est donc l’amalgame de trois courts différents, chacun d’une quinzaine de minutes, réalisés au sein du studio Ponoc par des équipes distinctes.

Le premier court, « Kanini & Kanino », réalisé par le bien connu Yonebayashi, raconte l’histoire de deux enfants minuscules, qui doivent apprendre à survivre, avec leur père, dans un petit cours d’eau qui n’est pas sans danger : les courants peuvent y être forts, et surtout, de gigantesques poissons rodent.

Le second court, intitulé « Life Ain't Gonna Lose », suit la vie quotidienne d’un petit garçon qui souffre d’une forte allergie : d’un côté, il a ses rêves d’enfant, de l’autre côté l’inquiétude de sa mère, presque étouffante. Si bien qu’il hésite à aller en sortie scolaire avec les autres enfants, de peur qu’il lui arrive quelque chose de fâcheux.

Enfin, le troisième est dernier court, « Invisible », se concentre autour d’un personnage à la caractéristique étonnante : il est invisible. Seulement voilà, personne ne le remarque. Et comme en plus, il manque de s’envoler au moindre coup de vent, sa vie devient rapidement un véritable enfer.

Le plus ghibliesque des trois courts est indéniablement le premier. Ce n’est pas une grande surprise : Yonebayashi a déjà réalisé deux longs métrages pour le studio (Arrietty - Le Petit Monde des Chapardeurs et Souvenirs de Marnie). Même si son imaginaire se distingue, notamment par une attention particulière aux mouvements de l’âme, il reste profondément lié à l’esthétique et la philosophie de Ghibli.

Ce qui est en revanche surprenant, c’est que son court est de très loin le moins bon des trois courts présentés. À vrai dire, il est même tout à fait médiocre : on dirait un mauvais court de fin d’études. Il ne manque certes pas de propositions intéressantes, mais elles échouent souvent à faire leurs preuves. Par exemple, les personnages ne parlent pas une langue intelligible pour nous. Mais d’un autre côté, la direction de l’animation n’exploite pas autant qu’il le faudrait le langage corporel, si bien que les personnages sont condamnés à des interactions très simples, presque primaires. Le spectateur se retrouve donc à chercher des correspondances entre des mots du vocabulaire des personnages et des mots existants. Et le problème, c’est que cela fonctionne mieux que de regarder ce qu’il se passe à l’écran.

L’autre grand échec de ce court, c’est son aspect technique. Les arrière-plans sont somptueux, totalement dans la lignée de Ghibli. Mais l’animation est beaucoup trop lisse — on voit trop l’apport digital — et surtout, tout une part du court a été réalisée en CGI, à commencer par l’eau, dont les remous sont entièrement générés par ordinateur, et qui jure avec le reste de la proposition. On ne parlera pas du poisson, le grand méchant du court qui, entièrement en 3D, est d’une laideur immonde. Lorsque l’on voit en plus combien son mouvement est limité, on se demande pourquoi un tel choix technique.

Le deuxième court est étonnant. On ne s’attend pas vraiment à ce genre de proposition au sein d’un studio qui se revendique dans la lignée de Ghibli. En fait, ce n’est pas un mal : c’est même vraiment très positif. Le court est réalisé par Yoshiyuki Momose, qui était déjà l’auteur de plusieurs courts, assez moyens, du studio Ghibli.

Si le sujet est surprenant, il n’en est pas moins traité avec précision et sensibilité. Le court met en avant la difficulté du système scolaire japonais à s’adapter aux particularités, une réalité qui prend de l’importance devant la recrudescence d’intolérances, d’allergies et de maladies diverses dès un jeune âge. Mais il convoque également beaucoup de clés sur la relation d’une mère à son fils : une mère qui a peur, mais qui sait qu’elle ne doit pas le montrer. Et un enfant pour qui le monde devient peuplé de dangers. Surtout que maintenant, il a compris ce que voulait dire le mot « mourir ».

L’usage de la 3D intrigue encore un peu — on se pose surtout beaucoup la question de son intérêt dans bien des scènes — mais le character design, d’un air curieusement européen, fonctionne bien pour le propos. Mais c’est l’intelligence de l’animation qui porte vraiment le court : en modulant les corps, elle dit les états avec une grande finesse, qui trahit une véritable connaissance à la fois du medium et de la nature humaine.

S’il on veut reprocher quelque chose à ce deuxième court, c’est sans doute une certaine forme de naïveté, mais qui tient principalement du fait que le public visé est un public d’enfants. On aurait apprécié une critique moins souterraine de la rigidité du système, de l’inadaptation de la société à ce type de particularités qui ne sont que doucement sous-entendues dans le court, et que seule la personne déjà connaisseuse de ces problèmes reconnaîtra : la difficulté à faire les courses, le coût que cela représente, la frilosité des responsables éducatifs, mais aussi la manie des industriels à faire des changements souterrains de composition dans leurs produits sans le notifier clairement à l’intention des personnes concernées.

Mais si je tenais à faire une critique sur ce triptyque, c’est avant tout pour parler du troisième court : « Invisible ». Réalisé par Akihiko Yamashita, animateur, directeur de l’animation et character designer absolument génial mais sans véritable expérience de la réalisation, on pouvait avoir sur le papier encore quelques craintes. Il n’en est rien. Car ce court est brillant de bout en bout.

En matière d’animation, c’est déjà une réussite immense. On a rarement vu une direction de l’animation aussi précise, aussi géniale. Les mouvements, les effets, l’emphase sont parfaits, justes. C’est aussi le seul des trois courts qui met en avant une vraie culture de l’animation traditionnelle, avec des séquences splendides et une qualité d’animation constante.

Mais ce n’est pas le seul atout de ce court-métrage. Au contraire. La sensibilité qui s’en dégage est une véritable surprise. On s’attend à une petite historiette fantastique façon Gogol, mais c’est un récit d’une mélancolie prenante qui se tisse peu à peu. Véritable réflexion sur la condition humaine et sur la vie en société, ce court est l’histoire d’un paria, d’un rejeté dont l’invisibilité n’est paradoxalement que la face la plus visible. Le personnage évolue sur un vieux scooter dans un monde sombre, aux airs post-apocalyptiques, façon science-fiction un peu sale et déprimée. Une vraie réussite, qui hisse sans difficulté ce court au niveau des meilleurs court-métrages de ces dernières années en animation japonaise.

En somme, faut-il regarder ces trois courts ? Peut-être. Je n’ai jamais beaucoup aimé le style de Yonebayashi — je n’avais jamais vraiment reconnu sa qualité de réalisateur, au contraire — et le court, tristement mauvais, qu’il signe dans ce triptyque montre bien que l’avenir du jeune studio Ponoc ne se trouve pas entre ses mains. Cependant, les deux autres courts sont étonnants, s’arrachent tranquillement à l’influence exclusive de Ghibli pour revendiquer peu à peu une identité propre et plaisante. On regardera en tout cas sans faute le dernier court, « Invisible », sorte d’hybride génial entre un film à la sauce 4°C et la rigueur de Ghibli. En attendant le premier long métrage de Yamashita, son réalisateur ; si jamais il arrive un jour.

Notes indépendantes des courts :

  • Kanini & Kanino : 3/10
  • Life Ain’t Gonna Loose : 7/10
  • Invisible : 9/10
Verdict :7/10
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A propos de l'auteur

Minuit, inscrit depuis le 23/09/2017.
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