Critique de l'anime Rainbow - Nisha Rokubô no Shichinin

» par sugawara le
23 Août 2012
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Crypto Youth Literature ?

La vie d’un groupe d’adolescents dans les années 1950 enfermés dans un centre pénitentiaire… Comment ne pas attendre tant de choses d’un tel pitch, quand on sait qu’il a inspiré l’une des plus grandes œuvres de la littérature japonaise (Le Ramier ou encore Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, de Oé Kenzaburô) ? Imaginons un instant qu’Oé, au lieu de couvrir ses feuilles de caractères si complexes que la plupart de ses lecteurs doivent se munir d’un dictionnaire (et de gagner incidemment le prix Nobel se faisant) ait rejoint un studio d’anime pour y adapter ses œuvres de jeunesse (et pourquoi pas : ils - [url]http://www.anime-kun.net/animes/fiche-aoi-bungaku-series-3548.html[/url] - ont bien osé adapter –n’importe comment, cela va sans dire – Sôseki ou Dazai, alors…). On aurait vraisemblablement eu droit à un anime des plus sombres, poisseux, un mélange d’Evangelion pour le symbolisme omniprésent et incompréhensible, de Lain pour l’ambiance pesante et malsaine, mâtiné de hentai (contrairement aux autres exemples, je n’ai bien sûr aucune référence précise qui me vienne en tête: je suis un type sérieux, moi) dans la droite ligne de l’érotisme grotesque de Oé, avec sans doute pincée de Gantz ou de Berserk pour la violence graphique et un zeste de Miyazaki, pour les quelques rayons de poésie qui percent de temps à autre les ténèbres.

Alors, Rainbow est-il vraiment la crypto adaptation d’œuvres majeures de la junbungaku d’après-guerre ?

Comme on pouvait s’y attendre, pas vraiment, et donc, oui, comme vous le soupçonniez, cette introduction n’était qu’un subterfuge pour étaler ma culture (que ne suis-je diabolique).

Ce n’est d’ailleurs pas forcément plus mal, puisqu’on échappera au moins à l’un de ces animes boursouflés de prétention artistique qui masquent leur inanité derrière leur pseudo-réflexion (toute référence au studio Shaft est bien évidemment totalement fortuite).

En fait, Rainbow, c’est un peu comme si Les misérables rencontraient le Club des cinq, un croisement entre Nakagami Kenji et TTGL, Dostoïevski et Fairy Tail.

Un Japon dévasté

L’histoire prend place dans le Japon de l’immédiat après-guerre, une période relativement ignorée de l’histoire Japonaise. Alors que, ces temps-ci, les animes font la part belle au Japon conquérant, et bientôt prospère, du Jimmu et de l’Izanagi Boom –Showa Monogatari, la Colline aux Coquelicot, Saka Michi no Apollon – Rainbow parle du lendemain de la défaite. Une période plus sombre, où non seulement le Japon fut placé de facto sous occupation américaine, mais où, rendu exsangue par trois ans de guerre totale, dévasté par les bombardements, submergé par l’afflux migratoire des colons rapatriés, il était passé d’une des premières puissance mondiale à ce qu’on commençait à appeler un pays du Tiers-Monde (dont le Japon fit formellement partie les premières années).

Un monde de misère, de ressentiment, et de découragement, où l’on était bien loin d’imaginer que le miracle économique était au coin de la rue.

Or Rainbow ne fait pas qu’aborder une période méconnue de l’histoire japonaise, il le fait bien. Non seulement, visuellement, un soin particulier a été apporté aux environnements d’époque, mais Rainbow ne fait également pas l’impasse sur quelques un des thèmes clefs de l’époque : complexité des rapports avec l’occupant américain, marché noir, prostitution, hibakusha (victimes de l’atome, survivants des bombardements atomiques affectés par les radiations), déferlement de la morphine issue des surplus stocks de l’armée américaine… Souvent laborieusement, mais toujours avec souci du réalisme, Rainbow consacre ses arcs à l’un ou l’autre grand enjeu de société.

C’est un mérite rare, quand on sait que la plupart des animes « historiques » finissent par complétement abandonner cet aspect au bout de quelques épisodes, et pourraient finalement se passer n’importe où.

Une narration ambitieuse, mais confuse

A trop vouloir en dire, il en résulte malheureusement une narration souvent alourdie par sa double structure linéaire/thématique.

Je m’explique : d’un côté, l’anime suit un scénario plutôt classique, qui emploie les vieux ressorts traditionnels. Le personnage principal doit rejoindre une personne qui lui est chère, et tentera donc par tous les moyens de s’évader. Ce faisant, il lui arrivera quelques tracasseries, et il devra les surmonter grâce à l’aide de ses amis. Dans un sens, c’est un peu comme les deux premières saisons de Prison Break en plus simple et les tatouages en moins.

Mais, dans le même temps, comme on l’a vu, Rainbow ne veut pas simplement se servir de l’époque en comme toile de fond, et superpose au récit une structure en « arcs » de durées variables, chacun mettant en lumière un aspect particulier de la société d’après-guerre.

Pris individuellement, ces deux formats ont l’air assez simples, mais le mélange n’est pas des plus heureux. Souvent, on l’impression que les personnages empruntent des détours inutiles (comme si un scénariste sadique avait posé des panneaux de déviations à toutes les intersections du scénario), simplement pour que le staff puisse cocher une case dans son cahier des charges sur le Japon des années 1950. Souvent, alors que les protagonistes se retrouvent embarqués dans une énième péripétie aussi suspecte que soudaine, qui les attendait comme par hasard au coin de la rue, on finit par se poser la question « mais qu’étaient-ils venus faire dans cette galère ».

Enfin, pour intéressant que soit ce parti pris réaliste, il n’est bien sûr pas parfait. Il y a un certain nombre d’approximations, d’exagérations et, de manière assez surprenante, d’omissions. Des concepts, jetés un peu au hasard pour voir si les spectateurs mordent, puis abandonnés en cours de route. Par exemple, j’ai beaucoup regretté de ne pas voir la référence aux forces d’autodéfense (Jieitai, à l’époque en train de se constituer, sous l’œil vigilant des Etats-Unis, sur les ruines de l’armée impériale) explorée plus en profondeur…

"Monde de merde"

S’il y a bien une raison pour laquelle le réalisme de Rainbow a été remarqué par la critique, ce n’est pas tant son acuité historique, que sa violence graphique. Avant chaque opening, un avertissement du studio se défend de toute violence gratuite et s’en explique : « nous pensons que cela est nécessaire pour comprendre les circonstances de l’époque ». En effet, Rainbow n’a rien à voir avec la violence complaisante et involontairement comique d’un deadman wonderland ou, plus ancien (mais tout aussi ridicule), d’un basilisk. Certes, la crudité de l’animé est sans doute là pour attirer le chaland, mais Rainbow a bien quelque chose à vendre.

En revanche, le reproche s’applique tout à fait au scénario : ce n’est pas la traduction graphique de l’intrigue qui est exagérément brutale, c’est l’anime dans son ensemble qui force le trait jusqu’à parfois flirter avec la caricature.

Car nos héros ne sont pas simplement des adolescents en mauvaise posture, livrés à eux-mêmes dans un monde exsangue. Non, il semblerait bien que le monde entier veut leur mort. Un peu plus, et on finirait par croire à un de ces jeux-vidéo, où tout, y compris et surtout la mascotte toute kawaii dont vous ne vous méfiez pas, n’existe que pour vous étriper. Ainsi croiseront-ils régulièrement des sociopathes sanguinaires de toutes sortes, dont le seul but dans la vie semble être de martyriser des adolescents.

A la longue, cela finit par devenir un peu ennuyant, surtout quand cela met en danger la crédibilité de l’intrigue. Par exemple, est-il vraiment logique que tel personnage secondaire prenne des risques absolument inconsidérés simplement pour nuire aux héros, qu’il n’a pourtant quasiment jamais rencontré ?

Seuls contre tous

J’avais commencé cette critique en évoquant le croisement improbable entre le club des cinq et Les Misérables. On a abondamment évoqué l’univers mature et pesant, à présent, il est donc temps de s’intéresser aux personnages, dans la plus pure tradition du Nakama version TTGL.

Avant d’aller plus avant, on pourra certes m’objecter que cela était bien voulu par les réalisateurs, que loin d’être une maladresse, c’est un parti pris esthétique intentionnel, que je cherche vraiment la petite bête, que je ne suis qu’un sale type qui mérite la lapidation (oui, parfois, je suis un peu parano).

Comme le suggère en effet le titre, et l’explique la jolie chanson (je suis comme ça, moi, un type sensible. Et sinon, j’aime bien feuilleter ma collection complète de Ah My Godess ! en mangeant de la glace et en écoutant du AKB48) de l’opening, c’est la rencontre de l’obscurité de l’adversité et de l’amitié des héros qui forme cet arc-en-ciel, même au cœur des ténèbres. Soit, admettons. Je ne critique pas forcément le concept en soi –d’ailleurs, ça a très bien fonctionné pour un anime comme Cowboy Bebop –mais son exagération. En un mot, c’est too much. Alors que l’anime ne nous épargne aucune description de la noirceur de l’époque, on croirait les protagonistes tous droits sortis de la bande à Kamina. Ce n’est plus un arc-en-ciel dans les ténèbres d’une prison, c’est un projecteur de 20 000 Watts.

Meian (1), vraiment ?

Les défauts de ce manichéisme (le nakama, seul contre tous dans ce monde si cruel) ne résident pas que dans son exagération : l’un des principaux problèmes est qu’il prive les personnages de tout intérêt. On se retrouve avec des incarnations des pires clichés du shônen : le petit gars malin, la grosse brute qui cache un cœur d’or, le penseur (et ses indispensables lunettes qui accrochent la lumière, et qu’il remonte avec l’index sur son nez, comme Gendô d’Evangelion), le jeune à la beauté innocente, fragile et envoutante, l'« angry young man » à fleur de peau et casse-cou etc… et bien sûr, tout ce beau monde fédéré par un leader mature, taciturne dont on sent qu’un lourd passé l’accable et qu’un futur tragique l’attend. C’est bien simple, s’il avait été un peu plus fashion-victim, j’aurais juré apercevoir Squall (ou Cloud, ou Noctis : complétez les blancs en fonction de vos affinités).

Malheureusement, alors que l’anime prenait soin de dépeindre un monde tout en teintes de gris –même si elles tiraient un peu trop sur le noir par moment –, les personnages sont dépourvus de la moindre complexité. Ils sont monolithiques : une fois entrés dans un archétype –ce qui ne prend guère que le premier épisode –, ils en resteront prisonniers. Il y a bien des épisodes de character development, assez artificiels, mais on a du mal à y croire, et ils valent bien plus de par les thèmes sociétaux qu’ils abordent que par leurs efforts poussifs pour instiller une personnalité à leur protagoniste. Et, identiques à tant de personnages passés et futurs de la japanimation –« qui se sont déjà produits et se produiront à nouveau », comme disent mes amis Cylons –les jeunes détenus finissent immanquablement par ne plus inspirer que l’ennui.

(1) (Clair-Obscur en Japonais, également le nom d’une œuvre célèbre de Sôseki)

Une rédemption esthétique ?

Si la qualité scénaristique de Rainbow ne s’impose pas comme une évidence, il est néanmoins un mérite incontestable de l’œuvre qu’il nous faut mentionner : c’est beau.

Graphiquement, Madhouse a mis les petits plats dans les grands sur leur 31 dans leurs habits du dimanche. Le chara-design, plus mature qu’à l’accoutumée, est résolument original et s’intègre parfaitement à l’univers, tandis qu’un véritable travail sur les couleurs (et ceux qui ont lu mon article sur Tegami Bachi connaissent l’étendue pathologique de mon obsession pour le sujet) confère aux paysages une beauté particulière.

Conclusion : pas un désastre, mais une déception quand même

Finalement, 13 épisodes plus tard, que reste-t-il des promesses ambitieuses du projet de Madhouse ? Mentionnons tout d’abord à sa décharge que des qualités indéniables subsistent : dans un monde de l’animation que l’originalité déserte un peu plus chaque année, Rainbow parvient à se différencier. Explorant sans concessions une période méconnue, ou en tous cas rarement évoquée dans ce média, de l’histoire japonaise et servi par une réalisation graphique et musicale impeccable, Rainbow ne déshonore pas. Malheureusement s’enfermant également dans un manichéisme à la limite de la caricature, qui va parfois jusqu’à affecter la cohérence du scénario lui-même, il ne parvient à convaincre non plus. Et la narration, ambitieuse mais souvent trop lourde, ne viendra pas non plus à la rescousse de ce qui a déjà l’air d’une semi-déception.

Si je devais le juger objectivement, Rainbow mériterait sans doute un 7/10, une note moyenne. Mais ce n’est pas simplement un anime que l’on pourrait qualifier, comme le font les anglo-saxons, de « good, but not stellar ». Certes, la saison, qui avait le mérite d’être courte, se laisse suivre sans déplaisir, et constitue un divertissement convenable. Mais on en sort tout de même avec une vague impression de gâchis en pensant à ce qu’aurait pu accomplir une série plus subtile reprenant le même thème. Et, comme je suis revanchard, et que je ne plaisante pas en matière d’espoirs déçus (un type sensible, je vous dis : j’en ai le cœur brisé), ça mérite une pénalité.

Verdict :6/10
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A propos de l'auteur

sugawara, inscrit depuis le 02/06/2010.
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