WORLD TRIGGER — Shônen, ton univers impitoyable

» Critique de l'anime World Trigger (TV 1) par Deluxe Fan le
28 Décembre 2020
World Trigger (TV 1) - Screenshot #1

Le début de l’année 2021 sera riche en suites de séries à succès : Neverland saison 2, Dr. Stone saison 2, Beastars saison 2, Log Horizon saison 3, Shingeki no Kyojin saison 4… Un tas de suites très attendues et qui accapareront sans doute l’essentiel de la conversation. En ce qui me concerne néanmoins, il y a une suite que j’attends tout particulièrement et elle ne figure sans doute dans aucune de vos listes personnelles. L’occasion de revenir sur une licence promise à briller au sommet du shônen manga avant d’éclater en plein vol.

World Trigger est donc un manga de baston écrit et illustré par Daisuke Ashihara et prépublié à partir de 2013 dans le magazine Weekly Shônen Jump. A cette époque, le Jump est en pleine ébullition ; un des piliers du magazine est en train de se terminer et il faut vite chercher un successeur. World Trigger figurait en premier sur la liste, tout comme ses petits frères Hero Academia (2014) et Black Clover (2015). Le manga de Ashihara semblait en bonne voie pour prendre la place mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. La mauvaise santé de l’auteur l’oblige à prendre plusieurs pauses à partir de 2014, avant un énorme hiatus de deux ans entre 2016 et 2018 (!!) à la suite duquel le manga est transféré vers un autre magazine, le Jump Square, dont la publication mensuelle permet de mieux ménager l’auteur – dont les problèmes de santé n’ont pas disparu comme un témoigne un récent chapitre de 2020 qui a été publié sous forme de croquis car Ashihara était trop malade pour le terminer.

World Trigger (TV 1) - Screenshot #2Dans une industrie aussi compétitive que le shônen manga, où les éditeurs sont perpétuellement à la recherche du nouveau phénomène, on peut se demander comment un manga tel que World Trigger a pu revenir après un hiatus de deux ans au cours duquel plein d’autres mangas à succès lui ont piqué sa place (Kimetsu, Neverland, Dr Stone, Jujutsu…). Peut-être que les éditeurs du Jump sont conscients du potentiel de ce manga et veulent absolument continuer à le publier tant que l’auteur est capable de le dessiner. Preuve que quelqu’un voulait absolument faire de ce titre un nouveau pilier, une série d’animation a été produite dès 2014, un an à peine après le début de la publication. Et devine quoi, ben c’est de ça dont on va parler.

La ville de Mikado est au centre de toutes les attentions. C’est là que, quatre ans auparavant, des extra-terrestres appelés « Neighbors » sont apparus pour semer mort et destruction. Une organisation intitulée Border s’est installée à Mikado avec pour objectif de contenir l’invasion et combattre les aliens. Pour cela ils utilisent des armes appelées Trigger qui sont issues de la technologie des Neighbors.

World Trigger (TV 1) - Screenshot #3Osamu Mikumo est membre du Border, mais ses piètres talents de combat le condamnent à rester en bas de l’échelle. Jusqu’au jour où il rencontre Yuma Kuga, un humain doté de capacités exceptionnelles. En réalité Yuma vient du monde des Neighbors et est arrivé sur Terre dans un but pacifique. Ensemble, les deux garçons et leurs amis vont gravir les échelons du Border pour percer les secrets de l’univers…

L’organisation qui combat les monstres et que le personnage principal intègre à la suite d’un évènement plus ou moins dramatique et dont il va tenter de découvrir les secrets, c’est à peu près ce que racontent tous les mangas shônen depuis une dizaine d’années ; ce n’est donc pas ici que se trouve l’originalité de World Trigger. Ce qui distingue cette histoire des autres, c’est son sens du détail. Après tout le récit choisit de se placer dans le registre de la science-fiction, et cela l’oblige à une certaine forme de rigueur et de profondeur dans la mise en place de son univers. L’organigramme du Border, le fonctionnement des Triggers et leurs différentes options, le monde des Neighbors et ses tribulations politiques, tout cela est exposé avec un niveau de détail inhabituel. Les personnages sont extrêmement nombreux, le Border est divisé en de multiples factions aux idéologies divergentes, tout comme les Neighbors qui sont loin d’être une simple masse monolithique de méchants. Chaque élément narratif est proprement expliqué et contextualisé, ce n’est pas du tout le genre de série où les choses arrivent par hasard parce que l’auteur avait besoin que ça avance d’un coup. Un sens du détail approfondi, mais qui a un prix.

World Trigger (TV 1) - Screenshot #4En effet l’autre grande caractéristique de World Trigger c’est que c’est une histoire qui prend son temps. Normalement un manga de ce genre se doit d’aller le plus rapidement possible pour tenir le public et espérer continuer à être publié ; Ashihara il en a rien à faire de tout ça, il déroule son histoire à son rythme. Pour donner un ordre d’idée, dans Jujutsu Kaisen ou Kimetsu no Yaiba le méchant principal apparaît vers l’épisode 6, dans World Trigger il ne se montre pas avant l’épisode 20. Et ce n’est pas comme s’il ne se passait rien, c’est simplement que l’auteur prend le temps d’expliquer les moindres recoins de son histoire avant d’avancer, ce qui peut déstabiliser un public habitué à des rythmes beaucoup plus soutenus et des cliffhanger dans tous les sens.

Le ton général de la série joue également pour beaucoup, puisque World Trigger est quasiment dépourvu de drama ou d’angst. Certains disent parfois que le shônen manga se résume à des gamins qui crient et qui pleurent ; dans World Trigger c’est l’inverse, les personnages sont des gosses de quatorze ans mais ils se comportent comme des diplômés de Polytechnique en train de passer l’agrégation. Il n’y a pas de mélodrame ou de romance ou quoi que ce soit, le ton est très sec et l’auteur n’est manifestement pas intéressé par insuffler de l’émotion dans son récit. Vers la deuxième moitié de l’anime les personnages s’engagent dans une sorte de compétition interne au Border pour intégrer les rangs supérieurs de l’organisation. Il y a beaucoup de matches qui prennent place dans des espaces virtuels qui simulent des situations de combat. A un moment tu as un épisode ENTIER où tu suis le protagoniste qui étudie quelle simulation serait la plus adéquate contre les équipes adverses en fonction du match up. Dans le même esprit, chaque combat est commenté en direct par un agent du Border qui après le match fait un débrief pour évaluer les agents et noter leurs performances. On n’a pas l’impression de regarder un anime mais un stream commenté d’une LAN de League of Legends, on est presque plus proche du manga sportif que du manga de baston.

World Trigger (TV 1) - Screenshot #5Tout cela n’est pas aidé par la réalisation signée Toei Animation. Il faut comprendre que Toei est le studio d’animation le plus vieux et le plus expérimenté en matière d’adaptation de manga ; mais c’est aussi un studio aux méthodes de production « à l’ancienne ». Pour Toei, une adaptation doit avant tout être un dessin animé à passer aux enfants le samedi matin entre deux pages de publicité. L’important n’est pas la qualité, mais la quantité. Dans le cas de World Trigger on a donc droit à une série de 73 épisodes, ce qui est bien trop long pour le contenu réel de la série, avec une qualité d’animation que l’on qualifiera au mieux de « moyenne », en tout cas très loin des autres adaptations de shônen du moment qui brillent par leur production très léchée. On a même droit à un arc filler entre les épisodes 48 et 62, quelque chose que l’on pensait définitivement disparu dans les adaptations modernes. On sent à l’écran toutes les astuces de mise en scène pour gagner du temps et étirer la série au maximum, chaque scène semble durer quelques secondes de trop pour grappiller un peu de temps d’antenne. Si vous voulez une illustration de ce que je raconte allez voir la fin de l’épisode 27, vous allez tout de suite comprendre.

En revanche il y a un point de la série sur lequel il n’y a rien à dire c’est l’audio. Le vaste panel de personnages est servi par un casting de doublage trois étoiles (Yuuki Kaji, Yuichi Nakamura, Jun Fukuyama, Kana Hanazawa, Rie Kugimiya… que les plus grosses stars) et surtout la bande originale de Kenji Kawai est excellente, avec un thème principal épique qui donne l’ampleur nécessaire à ce récit de baston interplanétaire. C’est rare pour moi de remarquer les OST d’animes récents parce que franchement la musique d’anime en général c’est devenu tout pourri, mais quand c’est bon il faut le mentionner.

World Trigger est un shônen classique dans le fond mais atypique dans la forme. C’est l’habituel récit d’une bande d’ados qui se battent contre des forces qui les dépassent, mais ce n’est pas celui où ils l’emportent grâce au pouvoir de l’amour et de l’amitié. C’est une histoire basée sur la logique, la stratégie et la préparation. Une série de nerds, faite par des nerds pour nerds, le refuge idéal de nous autres les parias dans un monde où le shônen serait redevenu cool.

Verdict :8/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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