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Des mains qui hurlent leurs sentiments

Publié le 18/02/2009 par SucreDeLune dans Graphisme - 6 commentaires

L’esthétique de Kiriko Nananan, toute en applats noirs, blancs, gris, lui permet d’évoquer des histoires sensibles sans pour autant verser dans le mélodrame. Ainsi, dans son oeuvre Blue, elle cadre au plus prêt de ses héroïnes, et évoque une histoire d’amour avec pudeur et retenue. Très peu de texte, un style très épuré : les mimiques corporelles avouent ce que les personnages ne peuvent dire, et ce ballet sensuel est mené à chaque moment clé du récit par des jeux de mains intimistes.

La rencontre

Blue p29

Le premier moment intense se révèle lorsque Kayako et Masami viennent admirer la mer ensemble. La seconde est amoureuse de la première, mais ne le lui a jamais avoué. C’est une scène silencieuse, brève, où les deux filles partagent l’intimité de cette contemplation. Masami propose un bonbon à Kayako : c’est la première fois dans le manga où il y a une interaction entre les deux, menées par les mains. Ainsi, les deux premières cases révèlent les mains de Masami sur l’emballage, c’est elle qui a l’initiative dans cette scène, de la même façon que c’est elle qui finit plus tard par avouer son amour à Kayako. La case suivant permet à l’auteur de réunir les deux jeunes filles, dont les regards ne se croisaient jamais que par hasard ; puisqu’elles ne se parlent pas, ce sont leurs mains qui les réunissent. Mais si c’est une relation très intime, de par la pureté de la case (seulement les mains sur un fonc blanc, et chacune possède presque un caractère sacré, comme si l’une bénissait l’autre, dans un rapport angélique), elle n’en reste pas moins empreinte de pudeur : elles ne se touchent pas.

Le viol

Blue p48

Le second moment fort se situe après que Masami ait appris un peu du passé de Kayako. Désireuse de se rapprocher d’elle, de la comprendre, mais aussi de fuir des sentiments qu’elle-même ne comprend pas, elle accepte de suivre dans un lovehotel un jeune homme rencontré par hasard. Cette scène est particulièrement violente, non à cause de la relation sexuelle représentée, qui est juste suggérée, mais à cause de l’absence d’émotions de Masami. Celle ci se laisse faire par l’homme ; il ne la viole pas, elle ne proteste ni ne regrette son geste à aucun moment, mais elle-même est complètement absente de cette relation. On ne voit plus le visage de l’autre, c’est lui comme ça pourrait être un autre. Cette absence est soulignée par l’absence d’échange entre les mains des adolescents: sur aucune case ne sont présentes celles de Masami, tandis que Kiriko Nananan dessine des gros plans sur celles de l’autre, pendant qu’il lui fait l’amour. Ce n’est pas un viol, mais Masami n’est plus qu’une poupée vide de sentiments sous lui : ce sont ses mains à lui qui la déshabillent, lui saisissent le visage le temps d’un baiser.

L’aveu

Blue p73

Le jeu de mains entre Masami et Kayako reprend lorsque Masami avoue enfin ses sentiments. Néanmoins, son « je t’aime » paraît presqu’obscène, car c’est le premier cri du coeur qu’elle laisse échapper. L’intimité reprend ses droits dès les cases suivantes. Kayako est près de Masami, les deux sont silencieuses, et leurs mains se touchent, seul contact qu’elles se permettent après s’être embrassées. Il y a comme une distance gênée entre leurs visages, crée par le baiser ; mais leur relation est désormais sentimentale, leurs doigts qui se frôlent en témoignent. Enfin, Kiriko Nananan renforce ce sentiment d’intimité absolu en utilisant un paysage pour la dernière case de cette scène : c’est la mer qu’elles observaient ensemble, mais maintenant, les deux adolescentes en sont absentes, réfugiées dans leur amour, isolées de tout (et surtout du lecteur).

L’érotisme

Blue p94-95

Le lecteur partage à nouveau cette intimité lors de la nuit suivante, que Masami passe chez Kayako. Pas de scène d’amour entre les deux jeunes filles mise en scène par l’auteur, mais plutôt la douceur d’un instant qu’elles partagent. Une fois de plus, leurs mains l’expriment, et on observe l’intensité de leur relation lorsque leurs doigts se resserrent progressivement :

Le rejet

Blue p149

Les mains jouent toujours un rôle majeur dans la suite de la relation ; lorsque Masami se sent trahie par Kayako, elle la rejette, mais pas avec des mots :  d’abord, Kayako pose sa main sur Masami, alors que d’habitude c’est Masami qui recherche la présence de Kayako. Ensuite, Masami se dégage. Puis elle la repousse. On retrouve le même système de case qui se focalise uniquement sur les mains (cf première image), les mêmes positions ouvertes. Mais là, elles s’opposent, l’une renie l’autre.

L’adieu

Blue p227

La scène finale reste la plus poignante : il s’agit de la fin, et c’est la solitude de Masami qui part seule pour ses études. La main posée sur la vitre renforce cette solitude, et remplace les larmes qui ne coulent pas.

6 commentaires

1 AngelMJ le 18/02/2009
Une très belle analyse de ces différentes planches. J'avoue avoir une affection toute particulière pour la troisième planche "L'aveu". Très belle, très intime, très pudique.

Merci Sucre :)
2 topachook le 19/02/2009
Trés agrèable à lire l'article de Sucre ... merci

Mais bon pour le viol ... s'en est pas un (comme tu le dis toi même dans ton texte) ... c'est plutôt un abandon de soi

En tout cas ça parraît trés beau
3 SucreDeLune le 19/02/2009
Effectivement, topa, ce n'est pas réellement un viol, mais ce titre me semblait judicieux pour illustrer une planche où... elle se viole elle même en s'abandonnant. Je n'ai pas osé l'écrire, mais c'est exactement ce que cette image me donne comme impression. Donc même si dans mon commentaire je n'ai pas osé l'écrire, je l'ai mis dans le titre^^.

Merci pour vos commentaires tous les deux^^ !
4 SucreDeLune le 22/02/2009
Après relecture par le staff, nous nous sommes aperçus que je n'avais pas mentionné le titre de l'oeuvre que j'étudie. Il s'agit de Blue, one shot de Kiriko Nananan. C'est maintenant précisé en introduction. Avec mes excuses pour cette erreur.
C'est absolument intolérable !

=}
Analyse intéressante, sur un sujet atypique. Le traitement des mains, dans le manga, est souvent bâclé, précisément parce que c'est quelque chose de très difficile à faire intelligemment, et aussi parce que les mains touchent à l'intimité de l'être. Comme AngelMJ, je suis séduit par la planche "L'aveu", très graphique, photographique même.

Un style de dessin d'une grande pudeur, peut-être même trop pudique pour traiter frontalement le sujet délicat de l'homosexualité.

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