HIDAMARI NO KI — Derrière l’arbre qui tombe, une forêt pousse

» Critique de l'anime Hidamari no Ki par Deluxe Fan le
17 Septembre 2018
Hidamari no Ki - Screenshot #1

Hidamari no Ki (L’Arbre au Soleil) est un manga en onze volumes écrit et illustré par Osamu Tezuka, qu’il publia entre 1981 et 1986 au crépuscule de sa carrière – l’auteur décèdera en effet quelques mois plus tard en 1989. Au sein de l’immense œuvre de Tezuka, ce manga tardif n’a jamais reçu autant d’attention populaire que d’autres franchises célèbres telles que Black Jack ou Le Roi Léo par exemple ; pourtant la plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’il s’agit d’une des pièces maîtresses de la bibliographie de Tezuka, son dernier chef-d’œuvre, son testament d’artiste.

Pour adapter un tel morceau en anime il ne fallait pas se tromper, et par chance c’est le studio Madhouse qui s’en est chargé en 2000, pendant la période dorée du studio qui enchaînait alors les réussites sur petit écran (Card Captor Sakura) comme au cinéma (Vampire Hunter D Bloodlust). Au poste de réalisateur on trouve le vénérable Gisaburo Sugii, qui officia aux côtés de Tezuka en tant que directeur de l’animation sur Astro Boy en 1963, le tout premier anime télévisé ; et qui a ensuite consacré les quarante années suivantes à se construire une des filmographies les plus impressionnantes de l’industrie. Et pour la voix du personnage principal on a Koichi Yamadera, alias Spike de Cowboy Bebop, un des doubleurs les plus célèbres et reconnus du milieu.

Hidamari no Ki - Screenshot #2Si je résume on a donc un des meilleurs mangas d’un des meilleurs auteurs, adapté par un des meilleurs studios d’animation durant sa meilleure période avec un des meilleurs réalisateurs et un des meilleurs comédiens de doublage. On ne peut pas faire meilleur, c’est comme si les dieux de l’Animation en personne s’étaient penchés sur le berceau de cette série et lui avaient confié la dure tâche d’être un des animes les plus intéressants de ces vingt dernières années. Tâche que Hidamari no Ki accomplit, sans boucan ni fracas, mais avec toute l’élégance qui ait un jour pu parer une série de dessin animé.

A partir de 1854 le Japon s’apprête à traverser un période d’intenses changements sociaux et politiques. Après trois siècles de stabilité sous l’ère Edo, le régime du shogunat montre des signes de faiblesse et de décadence – tel cet arbre majestueux qui trône au sommet de la colline, l’Etat est rongé de l’intérieur. L’arrivée dans les ports japonais de bateaux occidentaux est l’étincelle qui met le feu aux poudres, déchirant le pays entre diverses factions qui cherchent à renverser le pouvoir dans un chaos politique que les historiens appelleront le « bakumatsu ».

Au milieu de ce désordre vivent deux hommes aux parcours bien différents. Manjiro Ibuya est l’héritier d’une famille de la petite noblesse d’Edo, voué à servir le régime en tant que samurai. Néanmoins son talent exceptionnel à l’épée lui permet d’être repéré dans les plus prestigieuses écoles d’arts martiaux et le fait entrer dans un cercle où évoluent les esprits qui influeront sur l’époque.

Hidamari no Ki - Screenshot #3De son côté, Ryôan Tezuka est apprenti médecin auprès de son père, un des seuls praticiens de la cité. Découverte récemment, la médecine occidentale propose des techniques qui détonnent par rapport aux méthodes traditionnelles issue de la médecine chinoise et asiatique. Fervent partisan de ces nouvelles pratiques, Ryôan souhaite promouvoir la médecine occidentale en ouvrant la première clinique de vaccination d’Edo, qui devrait permettre de lutter contre les épidémies de vérole et de choléra qui déciment la population. Mais les tenants de la médecine traditionnelle, proches du shogunat, ne le voient pas d’un bon œil.

Malgré leurs différences de vues, Ibuya et Ryôan verront leurs existences se croiser, marchant tous les deux dans le courant de l’Histoire dont aucun d’entre eux ne peut espérer sortir la tête haute.

L’intérêt de cette série tient dans sa grande densité narrative. Hidamari no Ki est un récit historique, c'est également une histoire de la médecine au Japon et aussi une tranche de vie - au sens noble du terme, puisque l'on suivra le parcours de ces héros sur toute la décennie de cette période troublée. Chacun de ces aspects est passionnant et leur articulation dans la série forme son excellence.

Hidamari no Ki - Screenshot #4Le premier axe que l’on peut noter c’est évidemment l’aspect historique. Hidamari no Ki s’inscrit dans un genre connu, le jidaigeki, qui regroupe tous les types de récits historiques japonais indépendamment du registre. En l’espèce il s’agit de traiter le bakumatsu, une suite d’évènements fondamentaux qui marquent la transition entre le Japon féodal et le Japon moderne, un peu comme notre Révolution Française. Et le bakumatsu est tout aussi complexe et tortueux, avec des rebondissements et des intrigues passionnantes… Si on arrive à les suivre. Car cet aspect n’est pas nécessairement le mieux organisé dans la série, qui n’est pas un cours d’histoire et ne prétend à aucune forme de pédagogie. Du coup il n’est pas impossible de devoir regarder l’anime avec un onglet ouvert sur des pages Wikipédia pour comprendre de quoi il retourne, la série ne perdant pas une seconde à expliquer le rôle et les projets des différentes factions. Tout au mieux comprend-t-on que le cœur du problème réside dans l’ouverture du Japon aux pays étrangers, qui rompt avec plusieurs siècles d’isolationnisme et provoque la crise au sommet de l’État jusque dans la société civile ; crise qui débouchera finalement sur la chute du shogunat. Tous les personnages de la série seront de près ou de loin impliqués dans ces bouleversements historiques, quel que soit leur rang ; des hauts fonctionnaires aux simples paysans, des courtisanes de rue aux samurais de carrière, c’est toute la société japonaise qui est traversée par cette vague de changement et chaque individu sera forcé de choisir son camp.

Hidamari no Ki - Screenshot #5L’autre axe principal de la série est l’aspect thématique. Le sujet central de Hidamari no Ki est d’abord le récit de la découverte et du développement de la médecine occidentale au Japon, sur fond de crises sanitaires et de querelles de doctrine. C’est de cela dont Tezuka voulait parler, au point que le personnage de Ryôan est en réalité inspiré par l’arrière-grand-père de l’auteur qui a vécu à cette époque (Osamu Tezuka a lui-même étudié la médecine avant de se consacrer au manga et à l’animation). La série va dans les moindres détails, expliquant comment les apprentis médecins de l’époque se réunissaient pour traduire en japonais des livres d’anatomie importés des Pays-Bas ou d’Angleterre, comment ils négociaient avec les autorités pour emprunter les cadavres des condamnés à mort pour leurs travaux pratiques de dissection et surtout comment grâce à la technique encore balbutiante à l’époque de la vaccination, ils tentaient de lutter contre les épidémies de vérole et de choléra qui se répandaient dans les villes et tuaient les habitants par centaines. Un sujet pointu, inhabituel, mais que l’anime raconte avec un tel brio que l’on est forcément intéressé par la question. La série parvient à incarner les enjeux pour les rendre vivants, grâce au personnage de Ryôan dont on suit le parcours d’étudiant dilettante préférant courir les geishas plutôt que de se consacrer à son art, jusqu’à son accomplissement en tant que professionnel, rangé et père de famille, chargé d’assurer la prospérité et de développement de la médecine dans un Japon en proie au chaos. Ajoutons-y les intrigues menées par les médecins officiels, qui cherchent à contenir l’expansion de la médecine occidentale par tous les moyens, et vous avez une vraie histoire dans l’Histoire tout aussi passionnante et surprenante.

Hidamari no Ki - Screenshot #6Et cette idée de personnalisation des enjeux permet de dégager le troisième axe de la série qui est l’aspect dramatique. Ce qui élève Hidamari no Ki au-delà de la simple énonciation de faits et du travail de documentation vraisemblablement gigantesque de Tezuka sur le sujet historico-médical, c’est que les personnages sont tous intéressants et charismatiques, ils évoluent dans leurs domaines tout en restants fidèles à leur caractère. Ryôan progresse en tant que médecin et notable, mais il demeure souriant et optimiste face à l’adversité. Ibuya se retrouve impliqué dans les machinations politiques du Bakumastu, mais il reste un homme de principes, défendant un idéal de samurai noble et loyal. Malgré les horreurs de l’époque, malgré les très nombreux drames qui vont émailler la vie de ces hommes ils se tiennent toujours debout et cela les rend profondément attachants. D’autant que le scénario ne se gêne pas pour balancer tout ce qui est possible à leur figure ; meurtres, viols, assassinats, maladie, torture, guerre… On ne nous épargne rien et mieux vaut avoir le cœur bien accroché une fois entré dans la phase où la série n’hésite plus à se débarrasser de ses personnages de la manière la plus misérable et sale qui soit. Et pourtant l’anime n’est jamais mélodramatique ou geignard, jamais les personnages ne s’apitoient sur leur sort, ce ne sont que des hommes ordinaires vivant à une époque extraordinairement sombre et brutale.

Hidamari no Ki - Screenshot #7A ce sujet, la réalisation est également très sobre, ce qui ne l’empêche pas d’être réussie. En choisissant d’adapter le manga de la manière la plus fidèle possible, Madhouse retranscrit la qualité de l’œuvre dans toute sa pureté – un procédé que le studio reprendra quelques années plus tard avec Monster de Naoki Urasawa pour un résultat tout aussi qualitatif. Mention spéciale au chara-design iconique de Tezuka, c’est un vrai plaisir de voir des personnages avec des vraies gueules, et c’est tout aussi saisissant d’avoir ces têtes semi-cartoonesques confrontées à une histoire aussi noire et violente. Tout cela dans un environnement bucolique de Japon du XIXe siècle servi par des décors simples, attendus mais dépaysants.

On en arrive au dernier axe de la série, le plus compliqué à aborder, l’aspect idéologique. Lorsque Osamu Tezuka, le plus grand mangaka de tous les temps, a décidé de raconter cette histoire à la fin de sa vie, que cherchait-il à nous dire ? Que voulait-il nous transmettre ? Il est certain que l’auteur souhaitait placer la lumière sur ce sujet méconnu et pourtant crucial de l’arrivée de la médecine occidentale au Japon ; et à travers ce sujet parler de la lutte qu’ont mené les tenants de la connaissance face à l’obscurantisme. Après tout, Tezuka lui-même a importé l’animation d’Occident pour en faire une part de la culture japonaise, tout en contribuant à exporter le manga hors des frontières du Japon. Peut-être se reconnaissait-il dans le parcours de ses ancêtres qui voyaient l’étranger non pas comme un barbare mais comme la possibilité d’un échange fructueux. Au milieu de tout cela cependant se trouve le personnage de Ibuya, le soldat dont l’existence repose sur la guerre et sa loyauté indéfectible au régime, et qui incarne l’époque telle que l’auteur se la représente : pleine de noblesse, de panache et de courage, mais vouée à tomber face à la vague irrépressible de la modernité. Tezuka fait preuve de respect et de déférence vis-à-vis de l’Histoire de son pays, mais sans aucune nostalgie quelconque, bien au contraire à mon humble avis.

Une série telle que Hidamari no Ki échappe aux critères habituels de jugement des animes pour se rapprocher de ceux de la littérature voire de la publication scientifique. Sans jamais se soustraire aux devoirs de la dramaturgie, la série réalise un travail quasi-documentaire sur son sujet, et sans ignorer un contexte historique d’une grande complexité. Cela rend une œuvre unique et précieuse, d’une grande ambition culturelle et intellectuelle. Bien que le manga original ait été célébré et primé à l’époque, cette adaptation pourtant excellente est passée inaperçue et n’a même pas pu bénéficier de l’indulgence du public occidental, l’anime n’ayant jamais été traduit en raison justement du très haut niveau des dialogues. Ce manque a été réparé il y a peu grâce aux efforts d'une des dernières teams de fansub en activité, permettant à tous de découvrir l’ultime legs d’Osamu Tezuka à ses fans.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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