Il faut tenter de vivre

» Critique de l'anime Le Vent se Lève par Alice Devil le
25 Janvier 2014
Le Vent se Lève - Screenshot #1

"Le vent se lève, il faut tenter de vivre". Comment comprendre ce vers de Paul Valéry? Jiro, personnage principal du dernier film de Miyazaki Le vent se lève ne le sait pas lui même. Il répète cette maxime, d'abord en français puis en japonais, incertain de son sens. Ce vers, pourtant, ne se contente pas d'être là au hasard. Rythmant cette ultime œuvre, elle en délivre le message et le sens, certainement l'un des plus adulte de tous les films de Miyazaki.

Et je ne dis pas ça à cause du cadre "réaliste". L'onirisme fait également partie du voyage, mettant en scène des avions fabuleux tout droit sortis de l'imaginaire de Porco Rosso, dont de nombreuses métaphores sont ici reprises. L'animation sublime ramène à la vie le Tokyo en ce début de XXème siècle, où tradition et modernité se mêlent au quotidien, tout comme dans Mon voisin Totoro: on passe de scènes urbaines fourmillant de vie à des cadres sylvestres enchanteurs, avec entre les deux l'Europe en hiver et les ateliers Mitsubishi où règne l'acier, "arrêtes" des futurs avions ou de leur cadavre. Aussi, pour tout ceux qui s'inquiétait du changement de ton pris par ce dernier film du réalisateur de Chihiro, la magie demeure omniprésente.

Le Vent se Lève - Screenshot #2Là où le film se démarque cependant, c'est par son silence. Jamais film de Miyazaki ne laissa autant de place à de tels moments vides, aucune musique de l'excellent Joe Hisaishi ne venant les combler. Pourquoi ce choix, qui risque d'ennuyer certains par la longueur de ces scènes contemplatives? En faisant bien attention, on remarquera que ces pauses soulignent parfois une ou deux lignes de dialogues, lourdes de sens. Derrière ces pauses se cachent en effet la dure réalité des faits. Miyazaki en habitué de la critique, nous joue ici un jeu subtil, reposant sur le non dit, mais toujours présent. Entre la méfiance des ingénieurs allemands, les rêves prémonitoires, la volonté des ingénieurs de modernisation à outrance du japon impérialiste et même l'intervention de la police politique, les guerres ne quittent jamais la toile de fond du récit, orage menaçant d'éclater à tout instant. Le vent se lève...

En jouant sur la connaissance tacite du spectateur des faits historiques, Miyazaki peut ainsi se permettre de laisser la critique dans l'implicite: là n'est pas le sujet de ce film. Le vent se lève, par sa magie et son onirisme, s'éloigne de la froide précision des faits réels pour explorer en profondeur la vie d'un homme, et même plus, d'un créateur. "Il est facile d'accuser les gens plusieurs dizaines d'années après les faits": cette phrase issue directement d'une interview du réalisateur démontre la relation complexe entretenu avec le "héros": d'ailleurs l'est il vraiment? Doux rêveur au milieu d'un siècle brutale, Jiro flâne dans le monde qui l'entoure, l'admire, et pourtant reste sourd à ses problèmes. Obsédé par la conception du futur chasseur zéro, il n'agit que quand les événements le frappent en plein fouet, comme lors du tremblement de terre du Kanto. À ces moments, il révèle une nature bienveillante mais naïve: ses camarades et amis rient de son aveuglement. Pour autant, devons nous le condamner? Aurions nous agis différemment à sa place? Rien n'est moins sûr....

Le Vent se Lève - Screenshot #3La véritable héroïne de ce film, c'est en vérité l'épouse de Jiro, Naoko. D'ailleurs, n'est ce pas elle qui dans un sourire malicieux prononce pour la première fois le vers de Valéry? Ce personnage marque la première relation amoureuse passionnelle des œuvres de Miyazaki: leur amour s'exprime pleinement, sans restriction, en dépit de toutes les nombreuses difficultés qui se dressent sur la route des deux jeunes époux. Elle vie au jour le jour son amour, sachant que ces jours sont comptés, mais pas seulement pour des raisons personnels. Contrairement à son mari, elle sait. Elle comprends que bientôt, la réalité rattrapera leur idylle, mais qu'importe! Sans cesse, elle apporte son soutien à Jiro, l'aide dans ses travaux, l'aime. Chaque seconde est le moyen de profiter de lui, de leur vie et de leur jeunesse qui déjà s'échappe sous les assauts d'une époque cruel et du temps. Et c'est là le message du film: Le vent se lève....il faut tenter de vivre.

Jiro ne le comprendra qu'à la toute fin, et trop tardivement. Absorbé pleinement par sa passion, il n'a pas forcément pris le temps de s'arrêter sur toutes les chances que la vie lui a offertes. Du sommet de la colline de sa créativité, il a oublié. Lorsque dans ses rêves, l'inventeur italien lui conseillait de profiter de ses années créatives avant qu'elle ne s'envole, c'est avant tout aux spectateurs qu'il s'adresse. Et vous, où sont passés ses années insouciantes, où, sans vous inquiétez de la réalité, vous possédiez encore la chance inespéré de vivre sans contraintes? Qu'importe le contexte: l'histoire de Jiro aurait pu se dérouler dans le Japon moderne, la réflexion resterait tout aussi pertinente. Miyazaki ne se limite pas à un jugement enfermé dans un contexte temporel, mais un constat général, une vérité que lui aime a du éprouvée maintenant que le voilà au seuil de la retraite. Il conclut ainsi une réflexion débutée il y a bien longtemps dans Mon voisin Totoro, celle de la jeunesse, dont chacun de ces films, sans aucune exception, décortiqua la féérie qui en émane. Le vent se lève en est certainement le plus adulte, non pas à cause du sujet traité, mais du message qui s'y cache derrière, un véritable hymne à la vie teinté de la mélancolie de celui qui a compris trop tard.

En allant voir ce Miyazaki, je n'ai pas cru qu'il s'agisse de l'ultime film de ce génial réalisateur: deux fois par le passé annonçait il déjà sa retraite. Mais après l'avoir vu, j'ai la conviction d'avoir bel et bien de vu l'ultime chef d'œuvre de ce géant de l'animation. Je l'admets: ce n'est certainement pas son meilleur film. Mais pour moi, Le vent se lève est le plus abouti, la conclusion et l'achèvement logique d'une œuvre colossale, qui restera dans nos mémoires. Je terminerai par une citation de Saint-Expupéry, un des auteurs préférés de Miyazaki, et qui résume selon moi pleinement le message du Vent se lève: " On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux."

Verdict :10/10
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A propos de l'auteur

Alice Devil, inscrit depuis le 23/10/2012.
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