Avant-propos : Elle est déjà en 5,56ième
Si l’on peut reconnaître une chose à Luc Besson, outre le fait d’avoir donné une carrière à pas mal d’acteurs que j’aime bien dont Jean Reno ou Jason Statham, c’est de parfois trouver des idées fortes qui marquent le public. Avec Léon le professionnel, on retrouve la synthèse d’une quasi-romance pédophile (sorte de Lolita de l’illustre Nabokov mal compris, bien qu’on puisse argumenter que Besson est effectivement un nympholepte mais cela n’est pas l’objet de cette critique) avec celle du tueur solitaire froid mais qui petit à petit se découvre une humanité (qui évoque Le Samouraï). Le film a été un succès considérable.
Moins de 10 ans plus tard, dans les pages de Dengeki Daioh, la publication de Gunslinger Girl, par Yû Aida, commence. J’ai un rapport particulier avec ce manga et si je reconnais que ce n’est pas le meilleur manga du monde, c’est mon préféré, « mon œuvre du cœur ».
Je me dois de montrer mes cartes dès le départ car ce bagage a joué sur mon appréciation de Lycoris Recoil, d’autant plus que je me pense incapable de parler de LycoReco sans expliquer comment ma vision de ce genre d’histoire s’est façonnée.
Évidemment, je me doutais que je n’allais pas retrouver la mélancolie douce-amère de l’Agence de l’Aide Sociale en guerre contre des séparatistes italiens. Le sujet est sans doute trop sensible et le flirt avec le lolicon est, vous vous en doutez, pas exactement un truc avec lequel on sera tous à l'aise, si ce n’est à l’aise, pas immédiatement dégouté. Pour moi, cela fait partie du malaise profond que l’on essaye de nous faire ressentir, de ce décalage entre des souhaits bien simples (recevoir des cadeaux, de l’attention, pouvoir vivre et grandir normalement) avec des vies qui ne le sont pas (survivantes d’épreuves terribles comme des massacres, la réalisation d’un snuff movie ou des maladies et servir de porte-flingues à un gouvernement) ainsi qu’une réaffirmation constante que ce ne sont pas parce que ce sont les protagonistes que ce sont des héros. Ce sont des gamines qu’on a forcé dans un monde d’adulte pour faire le sale boulot, à qui on demande d’endosser des responsabilités et de porter des croix bien trop lourdes. Un parallèle avec les enfants soldats évidemment mais pas si loin que ça des idols, des enfants stars… bref, comme disait Sexion d’Assaut quand j’étais môme : un enfant avec des problèmes d’adultes.
La raison pour laquelle je mentionne tout ça est que je m’attends à ce qu’un sujet aussi grave que l’emploi d’enfants pour des assassinats soit traité non pas comme un simple archétype comme je sais pas moi, des magical girls. C’est en effet une thématique qui hélas fait écho à des méthodes mafieuses à Marseille où les clans et gangs se livrent parfois une guerre en sous-traitant à des gosses qui, désœuvrés et sans aucune réelle perspective, pour parfois quelques milliers d’euros sont prêts à descendre n’importe qui. Ces gamins tueurs, certains les surnomment les « étoiles filantes » mais je n’aime pas ce nom car en réalité c’est un sujet qui n’intéresse pas grand-monde, si ce n’est quelques journalistes pour remplir une soirée, contrairement aux étoiles que nous désirons tous, ne serait-ce que pour faire un vœu. Je m’égare mais ce que je veux vous faire comprendre est que j’exige plus qu’une banale exploitation de cette figure de la fiction.
Mais il n’est pas que question de gamines tueuses, c’est aussi la question de la place des services secrets dans nos sociétés et plus généralement de l’usage de la force dan des sociétés « pacifistes » : la paix relative dans laquelle nous vivons s’est construite non seulement par ceux dont les noms figurent sur les monuments aux morts mais aussi par des litres de sang versés pour raison d’Etat (je suis loin d’être un expert sur le sujet, mes maigres connaissances venant notamment de l’ouvrage Les tueurs de la République de Vincent Nouzille).
Cela étant dit, concernant l’objet de cette critique, LycoReco n’est pas un anime que j’ai vu pendant sa diffusion. Mais voir l’engouement qu’il a suscité fait que l’anime est resté dans un coin de ma tête, dans les trucs que je me devais de voir, ne serait-ce que pour ne pas mourir ignare. Sur le papier, ça devrait être ma came : des gamines qui tuent des gens, une relation forte entre les deux héroïnes avec des personnalités qui se contrastent, un titre avec une fleur dans le titre et qui plus est, une fleur à la signification forte puisque l’Amaryllis du Japon, Higanbana ou… bah oui, Lycoris Radiata (ah c’est marrant car…) est associée à la mort (d’où la fête d’Higan, qu’on pourrait rapprocher de la Toussaint).
Alors pourquoi diable je suis là à vouloir expliquer que je n’aime pas LycoReco ?
Le E dans Moe c’est pour Einsatzgruppen
LycoReco est un anime dont le ton me… surprend ? L’opening est presque enjouée, les couleurs chatoyantes, les héroïnes sont mignonnes comme le sont toutes les anime girls mais après tout, dans Evangelion aussi. Nan, le problème est que LycoReco ne veut PAS être sombre, malgré son thème qui l’est : on parle quand même d’une organisation paramilitaire secrète existante depuis l’ère Meiji employant des gamines orphelines comme tueuses. Bon déjà, ça veut dire qu’elles ont été utilisées pendant l’ère Showa (qui couvre notamment la Seconde Guerre Mondiale, vous savez au moment où le Japon est un empire colonial fasciste) mais aussi que Direct Attack (ou Assaut Direct en France, rien à voir avec Action Direct donc) est donc un outil bien intégré au sein de la société japonaise. Pourtant, ce n’est jamais vraiment abordé : oui, les antagonistes luttent contre DA, mais pas parce que c’est une organisation paramilitaire qui exécute sommairement des gens, qu’ils emploient des orphelines ou parce que le gouvernement s’en servirait pour buter des opposants : nan c’est pour « rétablir l’équilibre », des motivations qui se résument à « nous vivons dans une saucisse » et ça me rappelle que Patlabor 2 d’Oshii c’est cool, bien plus que cette série. Alors je sais, à la base le ton devait être vachement plus sombre, mais askip c’était plus d’actualité et que Gunslinger Girl est imbattable dans le domaine. Soit, si tu veux monsieur Shingo Adachi si j’en crois ce que je peux trouver, n’empêche que ça fait vraiment bizarre de voir une histoire qui ne semble pas vraiment avoir de problèmes avec ce système, ces méthodes, comme si parce que c’est cool on ne devrait pas avoir un regard un peu critique dessus. Alors oui, blablabla tu peux pas critiquer la violence si tu la rends cool, allez c’est bon moi aussi j’aime Gundam et Apocalypse Now, n’empêche que rendre cool un truc qui me rappelle les bataillons de la mort de dictatures d’Amérique Latine ou les horreurs coloniales, c’est vraiment pas un truc avec lequel je suis non seulement à l’aise mais même d’accord.
Tu n'es pas obligé de faire un anime déprimant ou militant. En revanche, des thèmes forts, graves, méritent d’être traités avec sérieux. On peut parler de viol, de pédophile, de crime de guerre dans l’art, c’est au moins mon avis, mais cela suppose un certain sérieux, de ne pas traiter comme « un sujet comme un autre ». Ce n'est pas comme parler de foot ou du club de musique du lycée. Le fait que de l’anime Takina et Chisato ont un bilan humain quasi-nul me laisse perplexe parce que cela est fait avec une facilité déconcertante : si tuer personne est possible, pourquoi tuer des gens en premier lieu ? La volonté de Chisato de ne pas tuer devrait justement être en permanence questionnée par l’histoire, en lui montrant que c’est davantage d’efforts (le prix des balles est évoqué mais c’est immédiatement résolu par un business plan de Takina…) ou je sais pas, en montrant que tirer dans la tête de quelqu’un avec des balles en caoutchouc ça reste extrêmement dangereux (cette fois c’est les forces de l’ordre et leur usage des LBD qui me viennent en tête, notamment la mort de Zineb Redouane, de Souheil El Khalfaoui et tous les autres morts ou blessés par des violences policières en manifestation), balles qui peuvent transpercer des portes de voiture. À la place, cela conduit juste à une situation où Chisato est non seulement capable d’esquiver des balles mais en plus vole systématiquement la vedette à Takina, dont on se demande bien quel est censé être son foutu rôle dans l’intrigue puisqu’elle ne sert que de faire-valoir alors que sa comparse se la joue John Wick Batman non létale. Et du coup, cette organisation paramilitaire, elle est pas si mauvaise que ça, si ? D’autant plus que leurs cibles, dans l’anime, ce sont des terroristes et des criminels, des cibles acceptables pour des éliminations parce qu’attentant à la sécurité publique ou de l’Etat. En se refusant des actions plus « grises » ou même carrément en refusant de montrer ses personnages éliminer des innocents, l’existence même de cette organisation secrète semble légitimée, nécessaire face au terrorisme…
Et je suis désolé mais c’est nauséabond en fait ? Pardon, vous pensez que la solution à l’insécurité, c’est plus d’armes et des protocoles très souples concernant l’usage de la force ? Ouais moi aussi j’aime l’Inspecteur Harry et l’Arme Fatale mais c’est pas des exemples à suivre, faudrait pas non plus déconner ! Un Jin-roh, un Psycho-Pass, merde, même un Bleach ose davantage montrer que ces institutions, des Kerboros aux Divisions, n’ont pas forcément des intérêts nobles dans leurs actions ! Et quand je commence à dire que Bleach est moins maladroit dans son propos, c’est pas seulement pour dire du bien des aventures du rouquin avec le plus gros schlass que j’ai jamais vu, c’est aussi pour dire que LycoReco me semble au mieux creux, au pire carrément fasciste.
Pourquoi est-ce aussi léger ? Pourquoi est-ce aussi chatoyant ? Pourquoi traite-t-on ces missions comme si c'était un match sportif ou un entraînement alors qu'on parle quand même de presser la détente contre quelqu'un ? Pourquoi est-ce qu'un flic est au courant que le gouvernement emploie des assassins mineures ? Pourquoi ces uniformes à la con alors qu'elles sont censées être discrètes et qu’on ne voit pas une seule lycéenne dans tout l’anime ? Pourquoi ces terroristes qui portent des déguisements aussi clownesques alors qu'ils font sauter des immeubles dans le plus grand des calmes ? D'ailleurs, pourquoi tout est aussi inconséquent ? Pourquoi toutes les Lycoris agissent comme des lycéennes alors que ce sont supposément des tueuses de sang-froid ? On est dans un anime de sport ou de musique ? Merde, Revue Starlight a une mise en scène plus dramatique ! Et pourquoi tout est montré comme si c'était un truc parfaitement normal alors que c'est absolument terrifiant ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi ?!
Je m’emporte mais j’ai essayé de lui donner une chance, en me disant que c’est peut-être juste « cool ». Mais même là, on ne retrouve ni l’hyperviolence d’un Kite ou le grand guignolesque d’un Mezzo Forte, ni le grand spectacle d’un Black Lagoon.
De même et bien que je sais que c’est paradoxal, mais je trouve la juxtaposition avec la tranche de vie dans le café d’autant plus étrange alors que le simple fait de repenser à Triella et ses ours en peluche me fait couler une larme mais justement : ces moments ne me font pas dire « quel monde horrible dans lequel elles vivent » mais plutôt « en vrai ça a l’air sympa comme café » et… bah je sais pas, j’ai l’impression qu’on essaye de me dire que nan en vrai c’est cool, regarde c’est basiquement des maids. Je vous passe l’épisode centré sur les sous-vêtements de Chisato parce que… ouais non, parlons justement de Takina et de Chisato.
All the things she said, all the things she said, running through my head, running through my head
J’vais être honnête avec toi lecteur, bien que je ne sois pas un grand amateur de yuri (à choisir je préfère les romances homosexuelles masculines, ça me parle davantage étant moi-même un homme), je ne suis pas opposé à ça. Bloom into You, c’est cool ! En vachement plus pudique (ou lâche…), Symphogear ça défonce ! Et moi-même j’aime bien ship des persos et écrire des fanfictions avec mes One True Pairings. Et pour moi, Chisato et Takino n’ont rien de lesbiennes. C’est du queerbaiting ? Je sais pas, parce que Miku et Hibiki, la seule raison pour laquelle elles sont pas mariées c’est qu’elles sont encore trop jeunes mais elles ont une relation forte et même si j’aurais aimé quelque-chose de plus explicite, au moins dans le fait que oui, nous sommes lesbiennes et nous pétons la gueule aux méchants, je trouve cela beaucoup moins racoleur et insultant que la « relation » entre Chisato et Takina que je trouve très… superficielle. Oui, elles bossent ensemble, l’une est en rouge, l’autre est en bleu mais elles n’ont que peu de moments ensembles qui suggèrent l’alchimie toute particulière qu’est celle de deux personnes qui s’aiment ou qu’on pourrait imaginer s’aimer. Que les gens les dessinent ensemble, c’est leur liberté. Nan moi ce qui me dérange, c’est que ça joue sur ce côté « et si elles étaient… » dans le merchandising ou le marketing alors que non, LycoReco n’a rien de yuri, de lesbien ou alors autant que Mission Impossible est un grand polycule ou que Grand Theft Auto 5 mets en scène un trouple gay.
Mais en plus de cela, on les présente comme un duo d’héroïnes mais c’est faux : Chisato est le personnage principal. L’histoire tourne autour d’elle et de son passé, qui est par ailleurs exploré, elle a la majorité des scènes d’actions, c’est sa vision des choses qui est consacrée par l’écriture, bref l’anime tourne autour d’elle. Takina est là pour faire contraste, elle est là pour être le sidekick noir du flic blanc (ou inversement selon les films), elle est là pour être la meuf froide qui porte des caleçons quand l’autre hurluberlu dit très haut et très forts qu’elle porte des culottes… vous avez compris. Chisato est pas inintéressante hein, elle est plutôt cool mais… bah, n’est-ce pas là une opportunité gâchée ? L’anime aurait pu davantage jouer sur les différences entre Takina et Chisato, quitte à parfois les opposer. Il n’y a aucune tension entre les deux et jamais Chisato n’est remise en question par qui que ce soit.
En fait, ce qui m’énerve le plus, c’est que leur relation est chiante. Même des couples mariés s’engueulent plus souvent et si effectivement elles s’aiment et tout… bah jouez sur ça nan ? Montrez-les faire chambres séparées, puis partager une chambre, puis un lit ? Ou je sais pas, montrer comment leurs personnalités respectives déteignent sur l’autre…
D’autant plus que nous avons un couple homosexuel dans la série, donc c’est même pas comme si le sujet était un tabou ! Et puis, la série est sortie dans les années 2020 et même si le mariage homosexuel n’a pas encore été légalisé, vous allez pas me faire croire que montrer des filles s’aimer serait plus problématique que les montrer dégommer des gredins ?
Lisse, un peu comme le crâne de Jean Reno
Fondamentalement, le problème de l’anime selon moi pourront être résumé de la sorte : c’est lisse, c’est fade, ça manque de sauce, d’épice, de quoique ce soit pour relever ça au-dessus d’une production correcte mais qui ne brille jamais. Des scènes sont bien animées et en termes de chorégraphie ça va… mais ça ressemble à ce que l’on peut voir dans le cinéma, ça ne va jamais au-delà du mimétisme. J’ose faire la blague en disant que c’est l’Arme Fatale avec des animes girls mais c’est ça. Ce n’est pas vraiment réaliste, pas vraiment « gritty » ni si fun que ça (les antagonistes sont chiants comme la pluie…) alors qu’il y a le potentiel de faire un anime qui n’est pas seulement divertissant.
LycoReco n’est jamais que divertissant. Ce n’est pas une mauvaise chose, ça a le mérite d’être moins insupportable à regarder qu’un Platinum End, un Higurashi Gou/Sotsu ou un saisonnier médiocre mais n’aspirons-nous pas à mieux que ça ? Plus haut que des intrigues poussives, plus loin que du queerbaiting, plus fort qu’un produit fade, qui ne suscite chez moi que de la frustration (et un peu d’indignation mais c’est la fougue de la jeunesse je suppose). C’est pour cela que je me refuse à considérer que LycoReco est un bon anime, même si cela s’approche de la mauvaise foi : je ne vois LycoReco que comme un produit, le résultat d’études de marché et de marketing qui n’a rien à dire, rien d’intéressant à proposer et qui doit son succès à… la chance ? Le fantôme d’Hirohito ? Que les gens réclament une réédition de Gunslinger Girl ? Des questions qui resteront à jamais sans réponse et qui se perdront dans l’inconscient collectif, comme les larmes sous la pluie ou la pisse de dauphins dans l’océan…