Gundam F91, c’est la tentative de Sunrise de relancer la franchise Gundam après la conclusion des évènements de l’Universal Century. En effet, les premiers animes Gundam à partir de 1978 se situaient dans une timeline précise et se suivaient les uns les autres, gravitant autour du conflit entre la Fédération et Zeon. Ce conflit trouvant sa résolution dans le film Char Contre-attaque de 1989, l’UC n’avait pas vocation à continuer.
Mais Yoshiyuki Tomino n’était pas enclin à laisser tomber cet univers et forma le projet de réaliser une série télé se situant sur la même timeline mais trente plus tard et avec des personnages et des intrigues sans rapport avec celles des premières séries. Alors que plus d’une douzaine d’épisodes avaient déjà été écrits et attendaient simplement le feu vert de Sunrise pour être produits, le projet capota et le Tomino se retrouva avec tous ses scripts devenus inutiles. Lui vint alors l’idée de condenser son histoire en un grand film de deux heures. Sorti en 1991, il portera logiquement le titre Gundam Formula 91. Du coup, le projet ayant eu pour but de lancer une nouvelle saga, il est théoriquement possible de voir ce film sans rien connaître ou presque à Gundam. Je dis bien en théorie car dans les faits, mieux vaut ne pas se lancer dans ce film de toute façon.
Nous sommes donc en UC0123, alors que les colonies spatiales continuent de prospérer autour de la Terre. Sur l’une d’entre elles, Frontier IV, le personnage principal Seabook Arno vit tranquille avec sa famille et sa copine Cecily Fairchild. Bien évidemment tout bascule avec l’attaque de la colonie par un mouvement terroriste, le Crossbone Vanguard.
Toute ressemblance avec les évènements déclencheurs du tout premier Gundam avec Amuro Ray serait tout sauf fortuite, mais c’est là que le film commence à surprendre dans le bon sens. Au lieu d’embarquer tout de go dans un robot géant surpuissant qui traînait là, Seabook et ses camarades tentent de faire leur chemin au sein d’une colonie en pleine destruction et où la population paniquée et prise entre les feux des belligérants. Les scènes de panique et de chaos qui constituent la séquence d’ouverture de F91 sont parmi les plus réussies que j’ai pu voir dans le genre. Même après, l’anime réussit son coup en montrant cette bande de jeunes, voire de gamins, tenter de s’en sortir en piquant un vieux tank pour forcer le passage vers les refuges et les vaisseaux de survie. Ce début était parfait, c’était Gundam à la sauce Akira.
Les choses sérieuses commencent lorsque Cecily est enlevée par le Crossbone Vanguard et découvre qu’elle est en réalité l’héritière de leur famille dirigeante, les Ronah. Elle est accueillie par son père, Dark Char Vador, qui souhaite faire d’elle l’héritière de leur future "Babylone Cosmique". On sent là que Tomino a vu Star Wars, et ce n’est pas pour déplaire.
Seabook est quant à lui parvenu à fuir la colonie et embarque avec ses amis sur un vaisseau de la Fédération. A l’intérieur se trouve un prototype de Mobile Suit, le Gundam F91, construit par la propre mère de Seabook. Et c’est bien sûr à lui de le piloter, sans savoir que parmi les ennemis qu’il s’apprête à affronter se trouve sa petite amie…
A partir de là, nous en sommes à une heure de film, le Gundam n’a pratiquement pas été montré, et le scénario abandonne tout espoir de raconter une histoire un tant soit peu lisible. Après une première moitié quasiment sans faute, Tomino se rend compte qu’il devra accélérer le rythme pour terminer son histoire en moins de deux heures. Les séquences s’enchaînent alors un peu n’importe comment, des personnages changent de camp et/ou se font tuer gratuitement, et le conflit qui a entre-temps perdu tout son intérêt s’oriente laborieusement vers un climax qui aura la seule qualité d’être extrêmement bien mis en scène.
La volonté de raconter le contenu d’une saga prévue sur vingt, quarante ou cinquante épisodes en moins de deux heures aboutit ainsi à une bouillie cinématographique qui, si elle avait été épurée de toutes ses sous-intrigues, aurait presque pu donner un vrai long-métrage. Tomino est un coutumier du fait, pratiquement tout ce qu’il a fait dans sa carrière est passé par la case compilation (Gundam, Zeta, Ideon…) avec des fortunes diverses. En l’espèce, le fait qu’il n’y ait jamais eu de série F91 pour combler les trous dans le scénario fait que le film, qui enchaîne des séquences individuellement réussies, ne fonctionne pas dans l’ensemble.
C’est d’autant plus rageant que la réalisation délivre, même si l’animation se trouve coincée quelque part entre les années 80 et 90. Si on considère F91 comme un long métrage, il ne tient pas la route face à d’autres films sortis vers la même période. Si on le considère en revanche comme une série compilée, c’est plutôt du bon travail. A vrai dire, si Tomino avait obtenu de faire de ce F91 une série de quatre ou cinq OAV d’une heure chacun, on aurait peut-être tenu là un anime de robots parmi les des plus aboutis de cette période. Une réécriture de l’Universal Century avec sa dimension épique, et une couche de modernité avec l’incorporation des problèmes familiaux dans le parcours des deux héros. Il aurait pu aussi saisir l'occasion de faire un vrai film en supprimant les trop nombreux personnages secondaires pour recentrer l'intrigue sur les héros et rendre l'ensemble plus digeste et intéressant. Bref il y avait plein de façons de faire mieux que ce qu'il a fait, et c'est ça qui est rageant parce que, encore une fois, certaines scènes valaient le coup.
Dommage pour lui, car le film rencontrera un accueil mitigé au Japon qui condamnera F91 à l’oubli, et obligera Tomino à se rabattre vers le manga (Crossbone Gundam) pour raconter ce qui lui restait à raconter. Reste la légende d’un film ayant frôlé le génie pendant trente minutes, se sera maintenu au niveau trente minutes et se sera effondré l’heure suivante. Une moitié de film réussie, ça donne une moitié de note accordée.