NEORANGA — Chérie, il y a un kaiju dans le jardin de la voisine

» Critique de l'anime Neoranga par Deluxe Fan le
21 Janvier 2018
Neoranga - Screenshot #1

Dans le vaste grenier de l’animation japonaise, certaines babioles semblent plus précieuses qu’elles en ont l’air, et ne révèlent leur véritable valeur qu’une fois dûment dépoussiérées. Le sujet du jour est Neoranga, série du studio Pierrot qui depuis vingt ans a réalisé le score extraordinaire de six spectateurs en comptant moi-même, le gars qui a fait les sous-titres anglais et un mec qui a laissé tombé à la moitié.

La première chose à faire lorsque l’on aborde un anime que personne n’a vu c’est de poser le contexte. Neoranga est une série télé de 1998, une année particulièrement importante dans l’histoire de l’animation. C’est à ce moment-là que l’industrie intègre le bouleversement provoqué par la diffusion de Neon Genesis Evangelion quelques années plus tôt, et que les studios s’éloignent de leur business habituel des feuilletons pour gosses afin de proposer des séries plus matures, mieux produites, à destination d’un public adulte et international. C’est l’année de Cowboy Bebop, Serial Experiments Lain, Card Captor Sakura, Trigun, Kare Kano, Gasaraki… Un cortège de séries cultes en face desquelles Neoranga n’avait strictement aucune chance. L’autre point important, c’est que Neoranga a été écrit par Shô Aikawa, un scénariste assez connu dont vous avez peut-être déjà entendu parler. On reviendra à lui plus tard, mais sa présence est essentielle pour comprendre ce qu’est exactement Neoranga et pourquoi cette série a été à ce point oubliée.

Neoranga - Screenshot #2Neoranga suit l’histoire des sœurs Shimabara, trois filles qui vivent seules dans une baraque sur les hauteurs du quartier de Musashino à l’ouest de Tokyo. L’aînée Minami est la responsable de la maison et bosse jour et nuit pour sustenter la famille. La deuxième, Ushio, est en dernière année de collège et a un caractère de garçon manqué. La cadette Yuuhi est quant à elle une sorte d’enfant surdouée et dispose d’une bourse pour fréquenter une école privée de bourgeois. Leur quotidien banal est bouleversé lorsqu’elles reçoivent la visite de Joel, un gamin qui prétend être le fils de Masaru, le grand frère de la famille qui a quitté la maison il y a bien des années. Les sœurs Shimabara suivent Joel sur l’île de Baro dont il est originaire et découvrent un incroyable secret ; Masaru a effectivement épousé une femme de Baro et est devenu roi de l’île. A ce titre il a réveillé Neo Ranga, le dieu de l’île, qui s’incarne dans un golem géant de plus de trente mètres de haut. Sauf que Masaru est depuis décédé et qu’il a transmis son titre de roi à ses sœurs au Japon. C’est ainsi que Ranga traverse l’océan pour rejoindre son souverain, provoquant l’arrivée du kaiju en plein Tokyo…

Neoranga - Screenshot #3S’en suit alors une séquence initiale de combat assez classique et fortement calquée sur Godzilla, qui est l’inspiration majeure de l’anime. Mais cela ne dure par longtemps. En effet, Ranga s’installe à Musashino et sa seule présence suffit à chambouler la vie des habitants du quartier. Certains voient en Ranga une menace, d’autres une opportunité. Les sœurs Shimabara elles-mêmes ont des vues différentes sur la manière d’utiliser sa puissance. Il ne faut pas non plus attendre pour voir le gouvernement japonais, l’armée, les yakuzas, les États-Unis et diverses sociétés secrètes tenter de prendre le contrôle de Ranga pour servir leurs propres intérêts dans un ouragan de complots et de machinations de 48 épisodes.

Si vous démarrez Neoranga en espérant voir des combats épiques entre kaijus, vous serez lourdement déçus parce que ce n’est pas du tout ce que propose la série. Ce qui intéresse le scénariste Shô Aikawa ce n’est pas de raconter une histoire de monstres géants, mais de dépeindre la société japonaise de la fin des années 90. La présence d’un monstre géant à Tokyo sert de catalyseur pour aborder tout un tas de sujets tels que l’éclatement de la bulle économique, la perversité des médias, les groupuscules d’extrême-droite, la révision des traités militaires américano-japonais… Des sujets sociaux et politiques qui rappellent la démarche d’une autre série de Shô Aikawa plus récente, Concrete Revolutio, qui elle aussi avait l’ambition de parler politique avec des super-héros et des magical-girls ; et qui elle aussi s’est complétement foirée auprès du public qui ne comprenait tout simplement pas ce qu’elle cherchait à raconter.

Neoranga - Screenshot #4De même si vous pensez que Neoranga est un anime austère et difficile à la manière d’un Gasaraki, vous serez là encore loin de la vérité. Malgré ses sujets sociaux et politiques, la série ne se prend absolument pas au sérieux et n’hésite pas à se moquer de son propre concept avec par exemple un épisode où Ranga se déguise en Santa Claus pour s’opposer au gouvernement japonais qui a fait passer une loi qui interdit aux gens de fêter Noël parce que c’est une fête capitaliste (???). La série montre également une fascination pour les nichons et les blagues de cul en général, n’hésitant jamais à montrer ses héroïnes dans le plus simple appareil pour le service du spectateur. Pas de quoi se scandaliser mais là encore ce décalage entre les sujets traités et le ton utilisé fait de Neoranga une série étrange à regarder, comme si l'anime n'assumait pas ses sujets adultes et cherchait constamment à faire retomber la tension de peur de paraître intellectualisante.

Un dernier élément crucial concernant Neoranga est le format de la série ; 48 épisodes de quinze minutes chacun. Depuis la nuit des temps on est habitué à ce que les épisodes de séries animées durent vingt-quatre minutes, c’est comme ça depuis toujours. Mais Neoranga ne fait rien comme tout le monde et propose ce format bizarre de quinze minutes qui a une incidence énorme sur la narration. Puisque les épisodes sont plus courts, le rythme de la série est accéléré et les scènes s’enchainent plus vite que d’habitude. Le script a tendance à changer de sujet très rapidement et à ne jamais s’appesantir sur de l’exposition, ce qui rend l’intrigue assez ardue à suivre. Les personnages sont les principales victimes de ce rythme effréné, leurs réactions sont souvent excessives et incohérentes car le script n’a pas le temps de les caractériser correctement. C’est particulièrement vrai pour les personnages secondaires, dont les motivations sont très vagues et qui semblent changer de camp à peu près à chaque épisode.

Neoranga - Screenshot #5Puisque l’on parle d’intrigue, celle-ci est tout à fait passionnante à suivre durant la première moitié de l’anime, lorsque l’on voit comment la présence de Ranga rend la vie des sœurs Shimabara de plus en plus compliquée jusqu’à les forcer à quitter leur vie d’insouciance. A partir de la seconde moitié les choses sont moins enthousiasmantes, la série a épuisé ses meilleures idées et est obligée d’en revenir à des formules éculées du genre monstre-de-la-semaine. Durant les dix derniers épisodes, l’anime change une nouvelle fois de registre pour devenir un énième plagiat de Evangelion, avec ce que cela implique de plot-twists et autres retournements de situation qui interviennent néanmoins trop tard et de manière trop précipitée pour sauver la série du naufrage ; et le scénario de se terminer sur un cliffhanger qui ne résout rien, un comble après cinquante épisodes.

Au niveau visuel il n’y a pas beaucoup à dire, on est dans la moyenne de l’époque ce qui est déjà bien vu à quel point la fin des années 90 constitue le sommet artistique et esthétique de l’animation japonaise, de mon point de vue tout du moins. Certes Neoranga se situe à des années-lumière de la qualité des meilleurs animes sortis en 98, mais la série fait preuve d’une remarquable constance compte tenu du nombre d’épisodes et profite d’une mise en scène variée qui fait que l’anime n’est jamais ennuyeux à regarder. Mention spéciale pour les épisodes 41 et 42, dont le style d’animation rompt brutalement avec le reste de la série pour se rapprocher d’un genre réaliste très agréable à l’œil. Malgré mes recherches je ne suis pas parvenu à retrouver exactement qui était responsable de ces épisodes en particulier, mais le style me fait penser à du Mitsuo Iso ou quelque chose comme ça.

Neoranga est une série surprenante et qui a des choses intéressantes à dire, mais qui est exécutée de manière trop indisciplinée et excentrique pour accomplir son ambition. J’ai eu du plaisir à suivre cet anime, dont certains segments sont de franches réussites, mais les incessantes ruptures de ton et le dernier quart complètement à l’ouest ont eu raison de ma sympathie. Il est donc tout à fait justifié que Neoranga soit passé inaperçu, preuve s’il en faut encore que la postérité est le meilleur filtre qui soit pour distinguer les animes qui comptent, et les autres.

Verdict :6/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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