EUPHONIUM — La mélodie du regret

» Critique de l'anime Sound! Euphonium - Chikai no Finale par Deluxe Fan le
16 Juillet 2022
Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #1

Suite aux récentes annonces de Kyoto Animation sur le futur de la franchise Euphonium, notamment la sortie d’OAV en 2023 et une ultime série télé en 2024, le moment est choisi pour revenir sur cette licence qui a déjà marqué le public au point de figurer dans les animes de la décennie d’Anime-Kun.

Hibike Euphonium est au départ une série de romans écrits par Ayano Takeda et publiés entre 2013 et 2019, que KyoAni a commencé à adapter en 2016. Il y eut deux saisons de la série télé, deux films récapitulatifs, des épisodes spéciaux, le long-métrage spin-off Liz et l’Oiseau Bleu, et ce film Chikai no Finale, qui fait suite à la deuxième saison et constitue pour le moment le point le plus avancé dans la chronologie de l’histoire. Le présent commentaire s’intéresse à la franchise dans son ensemble.

Le récit suit le parcours de Kumiko Ômae, qui débute sa scolarité au lycée Kitauji de Kyoto, avec l’objectif de prendre un « nouveau départ » après une fin de collège difficile. En effet, Kumiko pratique la musique depuis qu’elle est petite et faisait partie de la fanfare du collège, et a même participé à des compétitions locales. Elle n’est cependant pas parvenue à accomplir grand-chose, et a quitté ses anciens camarades en mauvais termes.

Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #2Le lycée Kitauji dispose lui aussi d’un ensemble à vent, mais depuis plusieurs années les performances sont médiocres. Kumiko décide néanmoins de rejoindre le club, et se fait rapidement de nouvelles amies. Elle retrouve également Reina Kôsaka, une trompettiste de génie qu’elle avait connue au collège.

Mais le grand bouleversement pour Kumiko ainsi que les autres membres de la fanfare, c’est l’arrivée du nouveau professeur de musique Noboru Taki. Compétent, strict et passionné, il ambitionne de former la fanfare du lycée Kitauji pour concourir au niveau national. Pour Kumiko, il est temps de reprendre en main son instrument de prédilection, l’euphonium…

Les deux saisons de la série racontent la première année de Kumiko au lycée, et le parcours de la fanfare ainsi que ses membres. Les films Chikai no Finale et Liz et l’Oiseau Bleu se situent alors que Kumiko est en deuxième année, tandis que la troisième saison à venir relatera l’année de terminale de Kumiko pour conclure le cycle.

Pour parler de cette saga, et des raisons pour lesquelles elle a autant marqué ceux qui l’on vue, je dégagerais trois angles principaux. Le premier c’est la manière avec laquelle la série parle du groupe en tant que personnage principal. Certes le scénario est raconté du point de vue de Kumiko et ses plus proches amies mais ce que l’anime raconte c’est surtout la manière avec le groupe avance, ses dynamiques internes et sa progression. Le principe même de l’orchestre c’est l’harmonie, les différentes partitions qui se joignent pour former la musique ; et il suffit d’un élément qui détonne pour ruiner la symphonie. En vérité ce que cherche à raconter Euphonium aurait pu être placé dans n’importe quel type de groupe, une équipe de sport par exemple, mais le choix de s’intéresser à la vie d’un orchestre est doublement pertinent dans cette idée de mettre en scène le groupe, l’ensemble, et d’étudier comment les individualités fortes vont l’orienter dans l’une ou l’autre direction.

Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #3La première de ces individualités est celle du professeur, Taki-sensei, qui va pousser les élèves vers toujours plus de travail et de performance. Ses motivations personnelles sont explorées au cours de la série, et malgré sa forte ambition et son caractère strict, il dégage aussi une certaine aura de bienveillance qui pousse les membres à se dépasser (le doubleur Takahiko Sakurai, habitué des rôles de méchant, est ici dans un contre-emploi remarquable). C’est probablement un des meilleurs personnages de prof que j’ai vu dans un anime japonais, qui n’est pas peu dire vu le nombre d’anime se déroulant dans le milieu scolaire. L’autre individualité est celle de Reina, la trompettiste géniale qui se sert de l’orchestre comme tremplin vers son propre rêve de carrière, jusqu’au moment où son talent va entrer en conflit avec les règles établies au sein du groupe et créer un des premiers gros points de tension. La dernière individualité est évidemment celle de Kumiko, qui est différente des autres puisqu’elle n’a pas d’ambition personnelle au-delà de, justement, maintenir la cohésion du groupe - ce qui va l’amener à plus ou moins de mêler des affaires personnelles de tout le monde, et à prendre de plus en plus de responsabilités au sein du club jusqu’à une ultime promotion à la fin du film.

Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #4L’autre angle de cette série, et le plus important de loin, c’est le travail sur l'écoulement du temps. La totalité de la série est centrée autour de cette thématique ; le temps qui passe, le temps à venir, le temps perdu. Dès le début de la série, on explique à Kumiko que « trois ans ça passe vite » et on pose un compte à rebours sur la tête de notre héroïne. Si elle veut accomplir quelque chose avec la fanfare, elle ne doit pas perdre un instant, et cela vaut pour tous les autres personnages. Chaque opportunité qui n’est pas saisie est perdue à jamais. A vrai dire, il est assez fréquent dans les séries de ce genre d’aborder cette question du temps compté, mais je trouve que Euphonium est particulièrement anxiogène à cet égard ; l’idée d’avancer vers l’avenir est presque toujours mis en scène de manière négative. Les élèves les plus âgés qui sont contraints à quitter la fanfare pour se consacrer à leurs études, ceux qui pour une raison ou pour une autre ne peuvent pas participer aux compétitions et qui dont perdent définitivement des opportunités de montrer leur progrès, ceux qui se retrouvent forcés de réfléchir à leur futur quand bien même ils n’ont pas vraiment d’idée sur ce qu’ils veulent faire de leur vie. L’effet marche à fond puisque chaque compétition à laquelle participe la fanfare est un moment solennel, une opportunité rarissime de valider le travail accompli qui ne se présente en tout et pour tout que trois fois dans la vie. Néanmoins il se dégage de Euphonium une puissante mélancolie, c’est une série qui parle de jeunes qui se donnent à fond pour leurs rêves, mais en filigrane ce dont la série parle vraiment c’est la naissance du regret.

Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #5L’anime est réalisé chez KyoAni par le réalisateur Tatsuya Ishihara, pilier du studio qui y travaille depuis vingt ans, depuis Haruhi Suzumiya (2006) jusqu’à Chûnibyo (2012) en passant par Clannad (2007) et évidemment Nichijou (2011). Pour être honnête je ne suis pas le mieux placé pour délivrer un commentaire technique abouti sur le studio, que j’ai arrêté de suivre il y a une dizaine d’années, mais ce que je peux dire c’est que le « style KyoAni » c’est d’abord et surtout une méthode de production. C’est un studio qui a pour particularité de gérer tout le processus créatif en interne, et limite la sous-traitance au maximum. Isolé géographiquement des autres studios japonais par sa localisation à Kyoto (là où la plupart des gros studios opèrent dans la région de Tokyo), c’est une structure qui cultive ses propres idiosyncrasies, garde le contrôle sur ses processus de création, forme ses propres artistes et promeut une culture d’entreprise saine et respectueuse de ses employés, en comparaison des usines à animes qui sont obligées de recruter des animateurs sur Twitter parce qu’il n’y a plus assez de professionnels prêts à supporter les conditions de travail exécrables de l’industrie.

Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #6KyoAni a toutefois subi quelques coups durs ces derniers temps. Sur les quatre réalisateurs historiquement les plus réputés de la maison (Ishihara, Takemoto, Yamada et Ishidate), deux ne sont plus là ; Yasuhiro Takemoto est décédé avec d’autres animateurs dans le terrible incendie criminel de 2019, tandis que Naoko Yamada a quitté le studio juste après la sortie de Liz et l’Oiseau Bleu. On ne peut qu’espérer que la relève est en marche et que de nouveau talents émergeront pour poursuivre cette démarche hautement utile dans une industrie qui privilégie clairement la quantité à la qualité.

C’est cela qui m’amène vers le troisième angle de Euphonium, la particularité de sa mise en scène, c’est le sens du détail. Quand je me souviens des animes qui m’ont fait adorer KyoAni il y a dix ans, les trucs comme Hyouka et Nichijou, ce sont des animes certes extrêmement aboutis techniquement mais également très stylisés, très anime, faits par des fans d’animation pour des fans d’animation. Pareil pour des séries telles que K-On qui infusent le plus de style et de performance technique dans des histoires triviales, parce que l’animation en elle-même est un aboutissement.

Sound! Euphonium - Chikai no Finale - Screenshot #7Euphonium propose une démarche radicalement différente. L’animation vient souligner la profondeur des émotions des personnages, ce regret naissant dont on parlait plus haut. Le character-design est très précis, l’animation est moins dans la mimique gratuite et plus dans la précision du musicien dédié à son art. Les gestes sont clairs, les attitudes nettes, toutes les ressources du studio ont été mobilisées pour retranscrire la dextérité des personnages. Le fait que la totalité des instruments de musique aient été dessinés à la main, et animés comme tels, est un accomplissement qui restera dans les annales du média.

Ce sens du détail se retrouve dans la mise en scène. En l’absence de stylisation excessive, l’anime se retourne vers des méthodes de storytelling plus classiques, par les jeux de caméra et de cadrage. Dans Euphonium les intrigues se développent par un regard en biais, un plan qui s’étend une demi-seconde de plus que nécessaire ou au contraire un contre-champ qui en dit plus que ce qu’il n’y paraît. C’est une série qui demande une attention constante du spectateur, qui ne doit pas perdre une miette de l’anime de la même manière que les personnages doivent consacrer chaque seconde de leur temps imparti à accomplir leur objectif.

Pour être honnête, le film Chikai no Finale est un peu en dessous du niveau des deux séries ; ces dernières racontaient la première année de Kumiko sur deux cours tandis que ce film relate la deuxième année en une heure et demie à peine. Forcément il y a de la contraction, et certaines des intrigues impliquant les nouveaux personnages sont rapidement survolées. De plus, beaucoup des dilemmes personnels de Kumiko, Reina et les autres ont été assez largement traités dans la série ce qui laisse le film avec moins de carburant pour tenir la route ; ce qui explique peut-être le choix de raconter cette partie de l’histoire sous forme de film plutôt que d’en faire une série. Cependant, je suis assez confiant que la saison 3 qui est prévue en 2024 et qui devrait clôturer le récit sera particulièrement forte.

Euphonium est un exemple parfait de ce que l’on appelle le « seishun drama », ce récit de l’adolescence et de ses tourments, abordé sans excès ni voyeurisme, restant toujours dans un degré d’émotion soutenue et une tension sourde comme une note qui serait tenue au-delà du raisonnable. C’est une série que je trouve aussi très angoissante et qui laisse sur un malaise existentiel, ce n’est pas le genre de production que je serais capable d’encaisser en haute quantité. Toutefois si vous ne l’avez pas encore vue, je vous recommande très fortement cette saga qui démontre toute la puissance émotionnelle de l’animation japonaise, pas de manière brutale et écrasante comme un coup de canon, mais avec l’élégance du violoncelliste qui caresse élégamment la corde sensible. 8,5/10

Verdict :8/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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