Tout est calme, mais jamais entièrement silencieux. Si on dresse l'oreille on entend même le bruit que fait la neige en s'amoncelant.

» Critique de l'anime Mushishi par Maya* le
15 Juillet 2014
Mushishi - Screenshot #1

Et même si tout est silencieux aux alentours on entend encore les battements de son propre cœur.

Mushishi pourrait être décrit par cette simple citation. Calme sans être entièrement silencieux, éthéré comme l’amoncellement de la neige, d’une poétique éloquence laissant notre cœur et ses battements seuls juges.

Les « mushi » sont une forme de vie qui se situe quelque part entre les plantes, les animaux et les éléments. Même s’ils sont pour la plupart invisibles à l’œil humain, ils affectent l’espèce et interagissent avec son existence au quotidien. On suit la traversée de Ginko, un « mushishi » faisant partie de ceux capables de voir les mushi alors qu’il les étudie et apporte son aide aux gens affectés. La série étant de structure narrative épisodique, il est plutôt rare que les histoires se croisent entre elles et Ginko est le seul personnage qu’on retrouve tout au long.

La période historique durant laquelle se déroulent les événements de la série n’est pas spécifiée, pour ce que l’on sait, c’est quelque part entre l’époque Edo (1602-1868) et l’époque Meiji (1868-1912), ce qui laisse beaucoup de marge. Quant aux lieux, on suit les différents déplacements de Ginko dans un Japon rural, dans des petits villages isolés. Mushishi, c’est surtout des rencontres avec de simples villageois, menant pour la plupart une vie assez pauvre. Contrairement aux autres séries s’intéressant au Japon d’antan, on ne s’intéresse ni aux Samurai, ni à la haute société japonaise ni à un quelconque événement historique de ces temps-là.

Mushishi - Screenshot #2Le seul « élément » remettant en question l’époque étant la tenue vestimentaire de Ginko plutôt moderne, alors que le reste du casting porte exclusivement des habits japonais traditionnels. On pourrait justifier cela par le fait que Ginko soit un « étranger » qui parcourt différents endroits sans vraiment s’attacher aux traditions mais la vérité est que l’auteure de l’histoire, Yuki Urushibara n’a changé de direction qu’à la moitié du premier volume du support d’origine, elle avait dans l’idée que l’histoire se déroule à notre époque au départ, d’où le « look » de Ginko.

Chaque histoire aborde un nouveau type de mushi. Dans les premiers épisodes, les mushi se manifestent sous forme de « maladies » et Ginko tient le rôle du médecin, avec certains éléments qui inspireraient le récit horrifique, mais cette impression s’estompe avec le temps, alors qu’on avance dans la série, la nature des mushi se précise et on comprend petit à petit leur unicité et la grande variété de leurs caractéristiques. Les explications se font au fur et à mesure, subtilement, sans qu’on ait recours aux gros pavés de dialogues.

Mushishi - Screenshot #3Les mushi, même s’ils ne sont visibles que par une catégorie de personnes, font indéniablement partie de la nature et non pas de l’imagination, affectant leur entourage, de différentes manières, pas forcément malveillantes ou maladives. Si des mauvaises choses arrivent, ce n’est pas toujours dû à leur présence mais des fois à leur absence. Ils prennent différentes formes et significations, des fois ils représentent la nature et la terre sur laquelle nous vivons, l’énergie vitale qui est à l’origine de toute chose, et d’autres fois ils représentent des forces de la nature, comme les catastrophes naturelles.

Le thème souvent abordé dans les différentes histoires reste la mort et la perte d’un proche, avec les mushi servant de métaphore aux émotions et/ou comme manifestation de l’inconscient, de ce qui est enterré au fond de soi. Comme notamment l’épisode où un mushi « avale » la mémoire d’une femme sans nouvelles de son mari, ne lui laissant comme souvenirs que les choses auxquelles elle pense constamment ; malgré son absence, son époux continue d’exister dans sa « mémoire » chaque soir où elle dresse la table en lui servant sa part pour le dîner, alors même que d’autres pans de sa mémoire disparaissent, celui de son mari absent reste intact. De même que dans un autre épisode, l’isolation d’un enfant est illustrée par la neige et par son corps qui se glacerait.

Mushishi - Screenshot #4La nature étant l’élément autour duquel gravite l’histoire de Mushishi, on pourrait craindre l’éternel Homme VS Mère nature, avec une dualité entre le « bien » et le « mal » avec le vilain être humain qui passe son temps à casser de la forêt et à massacrer la beauté de la nature comme s’il n’avait que ça à faire. Dans Mushishi, le « conflit » n’est pas aussi noir ou blanc. Comme un autre des épisodes m’ayant marquée, on retrouve celui du mushi prenant la forme de l’enfant d’un couple pour survivre, il est peu aisé de prendre le camp des parents trompés ou du mushi qui ne tient pas le rôle du méchant, mais d’une espèce qui vit par parasitisme. Un peu comme une intoxication alimentaire que l’on choperait, on va lutter contre l’intrus avec des médicaments mais ça ne fait pas de nous des sauvages et ça ne fait pas du parasite le méchant pas beau à exterminer dans une guerre sacrée.

Chaque épisode nous raconte la rencontre de Ginko avec un nouveau village mais également une rencontre entre un humain et mushi. L’humain et le mushi sont tout simplement décrits comme des êtres vivants essayant de survivre au même endroit en même temps, et dont les chemins vont inévitablement se croiser, ils peuvent co-exister comme ça peut créer des conflits d’intérêts et un rejet.

Mushishi - Screenshot #5Outre la narration douce-amère et poétique, l’histoire est riche de sens cachés et messages subtilement disséminés, derrière cette ambiance mystique, s’offrent à nous différentes lectures des « problèmes » engendrés par les mushi ainsi que des « alternatives » que proposent Ginko, vu qu’on ne peut aisément parler de solutions. Les histoires ne souffrent pas de manichéisme, et les supposés monstres font tout simplement partie intégrante de la nature. Ce ne sont pas des êtres surnaturels ou le fruit d’une quelconque magie, mais ont toujours existé, au même titre que l’être humain, ils ne peuvent seulement pas être vus par lui, ou peut-être est-il juste aveugle et ne voit-il que ce qu’il veut bien voir.

Dans sa réalisation, Mushishi est une peinture de l’Homme, de sa perception du monde et de la réalité du monde qui se cache de son regard curieux. L’univers de Mushishi vous captive à votre premier contact par son sublime opening, happe votre attention et vous aurez du mal à vous en détourner.
Les histoires sont mises en valeur par cette réalisation maîtrisant et sublimant leur atmosphère.
A commencer par le graphisme avec des paysages mirifiques. Des forêts et montagnes, toute cette verdure s’étendant à l’infini, le détail apporté à la brume ou encore même aux gouttes de rosée sur les feuilles. Des villages enneigés et d’autres rouillés. L’éveil d’une rivière aux allures inoffensives hébergeant un secret dans ses eaux ou encore le sublime arc-en-ciel trompeur. Chaque épisode apportant un nouveau point de vue, une nouvelle fresque de la nature. On note également les couleurs pastels, entre le vert émeraude de la végétation et du regard de Ginko, la douceur du bleu de la mer, la pâleur du gris isolant les villages, le blanc immaculé de la neige et le rouge sombre d’un coucher de soleil, ainsi que les jeux de lumières avec le soleil traversant les feuillages des arbres, la flamme d’une bougie qui joue sur les murs d’une pièce sombre ou encore un feu embrasant la forêt par une nuit étoilée.
Chaque scène regorge de créativité, pas seulement dans les paysages mais également dans la conception des mushi prenant différentes formes, la plupart du temps celle d’insectes fluorescents aux couleurs variées et étincelantes, flottant dans l’air (on salue humblement la fluidité de l’animation qui participe grandement à sublimer cet effet), d’autres fois celle d’encre scellé dans du papier, d’une explosion de couleurs en arc-en-ciel, d’une rivière de gouttes de lumière ou encore de la rouille.

Mushishi - Screenshot #6L’habillage visuel remplissant dignement sa part du marché, le son n’est pas en reste et participe activement à l’ambiance, avec ces silences inhérents à la tranquillité de la nature, rompus uniquement par les chants des grillons, les bruits des insectes, des entrailles de la terre et du vent. Les quelques morceaux musicaux qu’on retrouve sont des mélodies oniriques jouées au piano.

Le personnage de Ginko est indéniablement le pivot de la série et l’un de ses éléments les plus marquants. Après tout, il est notre ancre dans cet univers et on suit son parcours. Il est impressionnant par sa sérénité et le savoir qu’il a acquis au cours de ses voyages et qu’il transmet aux autres. Alors qu’il est témoin de différentes tragédies, il reste pragmatique et rassurant, il inspire un sentiment de confiance, sans pour autant être stoïque ou infaillible, il reste très humain et s’investit auprès des personnes qu’il aide, même s’il n’a pas d’attaches et finit toujours par reprendre le chemin de l’aventure, avide de nouvelles connaissances, assoiffé de nouvelles expériences. Si Mushishi nous fait autant rêver, c’est peut-être parce que quelque part, la série nous offre à nous, pauvres âmes confinées dans nos zones de confort mais qui rêvons de prendre un sac à dos et tracer la route, la possibilité de rêver, voyager, défier la nature, faire de nouvelles rencontres, et parcourir ce vaste monde avec comme guide, le sarcastique et énigmatique Ginko, dignement doublé par Nakano Yuto.

Au final, même si ce titre ne parle pas à tout venant et son rythme plutôt lent et contemplatif lui vaut une réputation d’ « ennuyeux » au sein des détracteurs, il n’en reste pas moins un bijou de l’animation japonaise, comme je rêverai d’en voir plus souvent. C’est une ode à la beauté, qu’on retrouve dans la nature, mais également chez l’être humain, car Mushishi aborde la complexité de ce dernier, son avidité, sa curiosité, ses questionnements incessants, son évolution constante ainsi que son combat permanent pour la survie. Cette volonté de comprendre, découvrir, toucher, explorer l’inconnu. Apprendre de la nature, de la mort, de la vie, un savoir qui peut nous rassurer comme nous terrifier, un savoir que l’on partage et que l’on transmet, comme dans l’épisode d’une mer de pinceaux où la fille voue son existence à écrire ces textes à l’encre même du mushi scellé, où on n’arrive à déterminer qui est victime de l’autre, ou peut-être que dans une bataille sans issue, outre la co-existence, il ne reste plus que les mots à partager.

Une seconde saison étant en cours, c’est peut-être l’occasion pour vous de dévorer la première et rejoindre ensuite les rangs des groupies de Ginko et disciples de Mushishi. N’hésitez surtout pas à vous laisser séduire, vous ne le regretterez définitivement pas. Mushishi est comme une berceuse qu'il suffit d'écouter ne serait-ce qu’une seule fois pour qu’elle marque à jamais l’âme d’un enfant.

Verdict :10/10
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A propos de l'auteur

Maya*, inscrit depuis le 01/02/2012.
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