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L’adolescence à travers Lain

Publié le 12/01/2009 par emilie dans Dossiers - 8 commentaires

L’encre a beaucoup coulé sur la série serial experiments lain. Les théories sur son identité, sa naissance, ses créateurs, etc… sont légions sur la toile. Il reste cependant d’autres points intéressants dans cette série qui sont moins abordés, notamment le fait que Lain illustre un état à la fois captivant et délicat  : l’adolescence.

I- De la chenille à la chrysalide – Séparation d’avec les parents –

Bien que Lain ait déjà 14 ans au début de la série, elle est encore une enfant et se comporte comme telle. Sa chambre est pauvre en décoration et n’abrite quasiment que des peluches. On la voit s’y mouvoir emmitouflée dans son pyjama en forme d’ours en peluche qui lui sert de refuge face au monde extérieur, parfois aussi munie de chaussons à l’effigie d’ours eux aussi. La situation est la même à l’école, Lain vit en décalage par rapport à ses camarades : ses amies sortent le soir et s’habillent de façon féminine alors que cela importe peu à Lain qui ne prête pas attention à ses vêtements. Ceci est bien illustré au moment où elle trouve une lettre dans son casier, alors que Julie et Reika la lui piquent et ouvrent la lettre en croyant que c’est une lettre d’amour : Lain ne réagit pas du tout, ça l’indiffère. Enfant dans sa tête, elle ne se rend pas compte que les deux filles empiètent de manière irrespectueuse sur sa vie privée.

Puis un fait bien réel va venir chambouler l’univers de Lain : le suicide de Chisa, une camarade d’école. Avec cet incident elle va s’intéresser au Wired et cela va marquer son entrée dans l’adolescence. Il faut dire que depuis la fin du 20ème siècle, la transition vers l’adolescence ne se fait plus sans s’intéresser aux nouvelles technologies et Lain n’y coupe pas, d’ailleurs, elle représente bien ce passage. Cette découverte du Wired a pour conséquence de la faire s’intéresser à son Navi (ordinateur), elle se rend compte que le sien est fait pour les enfants et elle ne s’en satisfait pas. Afin de rattraper son retard par rapport à ses camarades, elle en demande un plus performant à son père, cela marque le premier pas vers son envie de grandir, d’évoluer.
Comme une réaction en chaîne, c’est en s’ouvrant au monde et en découvrant ses propres capacités que Lain commence alors à se défaire de ses repères enfantins : ses parents-imagos de l’enfance1, son père surtout.

Pendant l’enfance, les parents sont idéalisés. Au départ pour Lain, son père possède une énorme connaissance en informatique, pour elle, il est la référence. Mais elle va se rendre compte que son père est un être humain au même titre qu’elle, c’est à ce moment là que s’opère la séparation avec l’image idéalisée des parents que l’on se fait lorsque l’on est enfant, c’est une phase de rejet des parents. Pour Lain, cela commence à l’arrivée du livreur qui amène son nouveau Navi, et qui possède beaucoup de connaissances en informatique : ce ne serait donc pas un domaine si obscur et compliqué? Le choc survient un peu plus tard quand Lain demande à son père ce qu’est la « Psychée » et qu’il ne sait pas quoi lui répondre. Elle soulignera ce choc par la phrase « je croyais que tu saurais » : on sent alors que pour elle, l’image qu’elle s’était faite de son père s’effondre. Lors de cette scène on remarque qu’il y a une distance physique entre le père et la fille, Lain doit tendre son bras vers son père pour lui montrer la « Psychée ». On peut tout à fait voir dans cette situation l’illustration de la séparation et la distance qui se créent souvent entre les parents et les adolescents. Après cette distance, arrive l’incompréhension de part et d’autre de cette relation. Pour Lain et son père, elle se met en place à partir du Layer 04, pendant l’une de leurs discussions. Alors que son père la met en garde vis-à-vis du Wired, Lain le déconsidère : « tu te trompes », elle sourit et rit à ses remarques comme pour lui dire « tu ne comprends rien ». L’incompréhension qui règne entre eux atteint son paroxysme dans le layer 06, son père frappe à la porte de la chambre de sa fille avant d’entrer alors qu’il ne l’avait jamais fait jusque là, tandis que Lain ne l’entend pas, ou même l’ignore. Désormais, elle ne considère plus son père, comme beaucoup d’adolescents déprécient leurs parents à cet âge parce que ces derniers ne les comprennent pas. On remarque encore cet état de fait alors que Lain rentre un soir chez elle après une sortie avec ses amies, elle passe devant le salon familial où sont sa mère et sa sœur. Elle ne prendra même pas la peine de leur dire qu’elle est rentrée, elle passe devant sans un regard et va directement dans sa chambre.

Ce processus de rejet est quasiment obligatoire à l’adolescence, il faut que l’individu se sépare de ses parents-imagos de l’enfance et les considère tels qu’ils sont vraiment. Tout cela pour pouvoir s’affirmer ensuite lui-même en tant qu’adulte.

 

II- De la chrysalide au papillon – La recherche de son identité –

Ce rejet des parents-imagos de l’enfance, plus ou moins nuancé selon les cas, s’accompagne fréquemment d’un tournant important dans la vie de l’adolescent : l’entrée dans un groupe. Le groupe permet de pallier le sentiment de solitude qui se ressent pendant ce rejet. Lain va rentrer dans un groupe déjà formé de trois autres filles. Avec elles, elle va sortir en discothèque, lieu a priori réservé aux jeunes adultes, elle entre dans un autre univers que celui qu’elle connait. L’affirmation de son caractère commence peu à peu grâce à sa présence au sein d’un groupe et est complètement sublimée grâce au Wired. Ce point se remarque dès le début. Alors que son nouveau Navi, plus puissant, est installé, Lain doit s’enregistrer en tant qu’utilisateur ; à ce moment là elle porte toujours son pyjama-ours la protégeant, mais pour s’enregistrer elle va retirer sa capuche, premier symptôme de son envie de grandir. Peu à peu elle finira par délaisser son pyjama pour revêtir une nuisette blanche ou juste un pull. Elle devient par cela plus féminine, elle passe du stade asexué de l’enfant au stade sexué de l’adolescente. Pour sortir avec ses amies elle va se maquiller, porter des boucles d’oreilles ou avoir des jupes plus courtes qu’à son habitude. Et son état sexué sera totalement accepté lorsqu’elle aura droit à son premier baiser avec la langue grâce à Taro.

Autre point de l’adolescence, on sait, grâce à une interview d’Abe Yoshitoshi et de Ueda Yasuyuki , que la coupe asymétrique de Lain met en évidence son déséquilibre intérieur. Ce déséquilibre est l’image de son changement d’enfant à adulte en passant par l’adolescence qui bouleverse son univers et ses habitudes. Mais aussi le déséquilibre face à cette deuxième Lain dont on lui parle sans cesse depuis le début de la série. Elle est l’exemple d’un trouble pathologique caractéristique de l’adolescence : le dédoublement de personnalité2.

On saura au bout du compte que ces deux Lain n’en forment qu’une, mais elles sont les images de deux types d’évolution à l’adolescence. La première que nous connaissons depuis le début a une personnalité timide et renfermée, elle va commencer à s’ouvrir aux gens grâce à son intégration à un groupe de filles. Cela ne se fait pas sans mal, d’ailleurs Lain refuse poliment la première invitation d’Alice à aller au Cyberia. Cette scène met en évidence le manque de confiance en soi de l’héroïne, on voit dans ses yeux l’inquiétude de perdre sa nouvelle amie à cause de ce refus. Puis sa personnalité s’affirme de plus en plus grâce au Wired, cet univers où elle possède une force qu’elle ne croit pas avoir dans le monde réel. Tandis que la deuxième Lain possède l’attitude rebelle, que ce soit dans son langage vulgaire ou l’originalité de ses vêtements. Son agressivité et son attitude sont la représentation de l’opposition des adolescents dans les rapports au pouvoir. Ces deux facettes, bien que semblant être opposées se retrouve chez les adolescents, souvent l’une à la suite de l’autre.

Sa confrontation à une partie de sa personnalité qu’elle ne reconnait pas, va renforcer le déséquilibre intérieur de Lain. Ses parents ne l’aidant pas non plus à s’affirmer, elle va partir en quête de son identité afin de calmer cette inquiétude intérieure. Comme beaucoup d’adolescents, elle se pose les questions « qui je suis? », « d’où je viens? » et « quel est mon but? ». Dans cette recherche elle va alors se demander où sont posées les frontières du réel, de la vérité. Outre les réponses scientifiques, les adolescents se tournent parfois vers la religion qui leur donne un « créateur extérieur ». Comme Lain, beaucoup rejettent cette vision par la suite, d’une part parce qu’elle ne comble pas toutes les questions, d’autre part parce qu’être créé par une entité quelque peu vague ne leur semble pas logique.
Lain va finalement se confronter à son autre « moi ». Mais comme elle ne la reconnaît pas, elle tente alors de la tuer, vu que de son point de vue, elles ne sont pas liées. C’est là, en voyant qu’elle ne peut pas la tuer, qu’elle se rend compte que cette « autre Lain » est une partie d’elle et elle n’a pas d’autre choix pour aller de l’avant que se reconnaitre, s’accepter et s’assumer. Elle illustre cette acceptation par ses phrases : « Lain est Lain » et « je suis moi, il n’existe pas d’autre Lain ».
La quête de l’identité atteint alors un cap lorsque l’adolescent intègre aussi les autres à son monde, qu’il se rend compte qu’il est tel qu’il est et que les autres ne le verront pas comme lui se connaît et qu’il fait avec. Lain le met à jour en disant « Les gens n’ont de substance que dans la mémoire des autres. C’est pour ça qu’il y avait plusieurs moi. Je ne suis pas différente, j’étais simplement dans l’esprit de beaucoup de gens ».

Tant que l’on s’accepte soi tel que l’on se connait, que l’on prend conscience du regard des autres, de son vécu, de ce que l’on vit, de ce que l’on fait et de ce que l’on veut devenir, on s’est finalement trouvé.
Lain nous dira : « Ma mémoire n’est pas seulement le passé, elle peut être le présent et le futur ».

 

 

1 ou « Imagos parentales » : parents imaginés par l’enfant tels des parents de conte de fée, image rassurante des parents de l’enfance.

2 Ne pas confondre le dédoublement de personnalité avec les schizophrénies. Les schizophrénies peuvent se matérialiser par une altération de la perception de la réalité ou des dysfonctionnements sociaux et comportementaux entre autres. Tandis que le dédoublement de personnalité est une coexistence chez le même individu d’un comportement normal, conscient et adapté au milieu qui l’entoure et d’un comportement anormal lié à l’inconscient, automatique et inadapté.

8 commentaires

1 SucreDeLune le 12/01/2009
D'habitude, je n'aime pas trop les études sur le rapport d'une oeuvre visuelle à l'adolescence (cf toutes celles qu'on a eu sur Dragon Ball).

Néanmoins, là, je suis bluffée o_o, car à chaque remarque que tu as faite, je pensais en même temps "ah oui, tiens, c'est vrai ça..."

Je suis entièrement convaincue par ton article, les exemples que tu as pris sont incroyablement pertinents et m'ont faite découvrir Lain sous un oeil nouveau. D'ailleurs, ça m'a même donnée envie de revoir cette série xD.

Merci pour cette très bonne lecture !!!
Juste pour revenir ta définition des imagos parentaux qui n'est pas exacte.

L'imago est quelque chose d'inconscient, et les imagos parentaux sont une représentation imaginaire inconsciente quelconque des parents. Pas forcément lié à une "image" de conte de fée ou à une idéalisation hein, ça peut être tout le contraire.
L'imago parentale n'est pas un reflet du réel (même un peu déformé), par exemple l'imago d'un père très puissant et terrible peut très bien correspondre à un père totalement effacé voir absent dans la réalité.

Elles ne sont donc pas obligatoirement rassurantes non plus.
3 emilie le 12/01/2009
@Citation
les imagos parentaux sont une représentation imaginaire inconsciente quelconque des parents.

là on est d'accord vu que ce sont des parents imaginés par l'enfant.

@Citation
Pas forcément lié à une "image" de conte de fée ou à une idéalisation

Mon expression "conte de fée" est du rapide je le conçois, cela n'empêche que l'enfant idéalise quand même ses parents, pas forcément dans tous les domaines mais il imagine toujours ses parents être "plus". Cela ne s'applique pas non plus toujours aux deux parents, mais l'enfant se crée une sorte de "cocon" qui, pour lui, est rassurant. Bien sûr il ne faut pas prendre tout ce que je dis au sens universel, ça reste du général et ne s'applique donc pas à tous les individus.

@Citation
L'imago parentale n'est pas un reflet du réel

là aussi on est d'accord, vu que ça correspond au domaine de l'imaginaire de l'enfant. Et que cet imago s'écroule normalement pendant l'adolescence.

En tout cas ça me permet de revoir la définition, les autres points de vue apportent toujours quelque chose.
4 Cheesus le 14/01/2009
Merci pour cette analyse méticuleuse qui expose au grand jour le traitement original et pertinent de la construction de l'identité à l'adolescence dans Serial Experiments Lain. Ce thème est habituellement abordé au premier degré ou par des clichés ; cette série a le mérite de le faire en toute subtilité.
5 El Nounourso le 15/01/2009
Lain est une série complexe voire "prise de tête", du coup on oublie trop souvent la beauté et la justesse du portrait d'ado qu'elle brosse. Ca fait de bien de laisser tomber les théories fumeuses pour se concentrer sur cet aspect.

Merci =)
Un aspect que j'avais survolé lors de mes visionnages de la série, qui sont ici très bien décris et qui vont a l'essentielle.

Merci pour cette approche constructive et intéressante ;)
7 963220 le 12/02/2009
j aime bien ce manga
8 KenshiMindy le 20/02/2009
Bonne illustration de ce phénomène qu'est l'adolescence. Les personnes de l'age de l'héroine peuvent vraiment s'y retrouver

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