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Daisy : Lycéennes à Fukushima

Publié le 21/07/2014 par dans Manga - 2 commentaires

En terminale au lycée Wakaba dans le département de Fukushima, Fumi Kubo est restée cloîtrée chez elle un mois et demi après le séisme du 11 mars 2011. Trois amies l’accueillent avec joie à son retour au lycée : Moe, Ayaka et Mayu. Ensemble, elles forment un groupe de rock appelé « Daisy ». Soudées à jamais, elles décident dans l’euphorie d’une répétition de se réunir chaque année à la même date. Mais toutes les trois verront leur destinée changée durant cette terminale. Elles devront prendre de graves décisions pour leur avenir, des décisions inévitablement liées à la catastrophe du 11 mars.

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Le lecteur non averti aura l’impression de tenir entre les mains un shôjo on ne peut plus typique si l’éditeur français Akata n’avait pas invoqué en couverture un emblème nucléaire semblant se désagréger en une multitude de petites fleurs. Sur la forme, Daisy : Lycéennes à Fukushima est un pur shôjo dessiné par Reiko Momochi dans le magazine Dessert en 2012. Le trait de l’auteur et le découpage des planches ne trompent personne. Sur le fond, nous avons entre les mains un nouveau pamphlet dénonçant le désastre écologique et humain ainsi que l’insouciance des responsables du drame Fukushima. Mais pas seulement.

Plusieurs mangas ont déjà abordé le délicat sujet de Fukushima. Un one-shot intimiste de Keiko Ichiguchi, « Les cerisiers fleurissent malgré tout », est sorti chez Kana. Au Japon, certains titres font beaucoup de bruit. Le manga Oishinbo de Tetsu Kariya a dérangé le gouvernement en raison des symptômes qu’il décrit. Conséquence : un arrêt après 30 ans de publication. Un travailleur de Fukushima est devenu mangaka le temps de quelques pages pour montrer que la situation à l’intérieur des centrales atomiques n’est pas aussi désespérée que la presse le laisse entendre. L’œuvre, que plus d’un juge propagandiste, a été publiée dans le Morning.

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Ce qui frappe avant tout dans la lecture de Daisy : Lycéennes à Fukushima, c’est la description d’un lieu où le temps semble arrêté. Le paysage de Fukushima reste marqué à jamais par la catastrophe : les enfants ne jouent plus à l’extérieur, les gens craignent une pluie qui transporte des particules radioactives. Ils désertent petit à petit le département alors qu’il est désormais évident que la zone directement touchée par le tsunami, livrée aux pilleurs, envahie par les bêtes et ravagée par les intempéries, ne sera plus jamais habitable. Des organisations bénévoles s’occupent des réfugiés mais rencontrent d’épineux problèmes d’hygiène et de ravitaillement.  A Fukushima, on ne parle plus de développement mais de reconstruction et les jeunes doivent revoir leurs projets d’avenir. Certains ne peuvent plus suivre leur cursus, d’autres ont décidé d’arrêter.

Daisy : Lycéennes à Fukushima n’a pas pour ambition de nous baratiner avec des considérations scientifiques sur le désastre et ses conséquences mais s’intéresse à ceux qui vivent aujourd’hui dans le département de Fukushima, oubliés par des médias trop occupés à relayer les messages rassurants du gouvernement. L’auteur, Momochi Reiko, s’est inspirée d’un roman, « Pierrot », et de témoignages réels pour dessiner son histoire. Elle a le mérite d’avoir été sur le terrain pour comprendre la situation et rencontrer les victimes. On peut donc considérer les héroïnes de Daisy comme étant fictives mais étroitement liées aux angoisses et aux aspirations que l’auteur a découvertes chez les lycéennes de Fukushima.

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Le séisme du 11 mars a causé des fortunes diverses : certains se sont retrouvés sans abri du jour au lendemain, d’autres ont été épargnés. Si nos quatre héroïnes, Fumi, Moe, Ayaka et Mayu, font partie des chanceux premiers, elles restent directement touchées par le désastre. L’auberge des parents d’Ayaka est désertée, les rizières de la famille de Mayu ont été contaminées. Il n’en faut pas moins pour bouleverser l’avenir de ces jeunes filles balancées entre aspirations et obligations familiales. Ce triste dévouement les incite à faire le deuil d’une promotion avec leurs amis et d’un projet d’avenir pour suivre et soutenir une famille au bord de la rupture.

Le grand paradoxe de Fukushima est là : celles qui rêvaient autrefois de monter un jour vers Tokyo pour suivre des études universitaires ou pour travailler dans un grand magasin crient aujourd’hui leur attachement pour cette région frappée d’une catastrophe sans précédent. Celles qui voulaient partir doivent rester : pour reconstruire, pour ne pas sembler fuir, pour ne pas trahir leur entourage. Celles qui souhaitaient rester doivent partir. Et c’est l’occasion de dévoiler une autre facette du drame de Fukushima : ses habitants sont parfois perçus comme des pestiférés par des gens d’autres départements craignant la contamination. L’oeuvre nous livre malgré tout un message d’espoir et une vision fort optimiste du drame. Le séisme du 11 mars semble en effet ouvrir à nos héroïnes un chemin certes moins ambitieux que leurs rêves d’enfant mais plus fidèle à leurs sentiments et leurs aspirations.

daisy (4)Daisy : Lycéennes à Fukushimane ne s’embarrasse guère des codes du shôjo mais l’auteur ne néglige pas pour autant le côté cœur, sans  verser  dans l’eau de rose. Des liens se tissent autour du groupe. Un soupçon de romance s’invite entre Fumi et un jeune homme qui a tout lâché pour participer au nettoyage et à la reconstruction. Une romance douce et discrète qui rythme les événements et permet à notre héroïne de s’appuyer sur quelqu’un dans ses choix futurs. La vie de lycéenne continue malgré tout, avec ses joies et ses déceptions.

Plus qu’un shôjo, plus qu’un énième manifeste contre le gouvernement et le monstre nucléaire, ce titre est un message d’espoir, un éloge au fantastique élan de solidarité qui a suivi la catastrophe de Fukushima ainsi qu’au courage et au dévouement des sinistrés. Sans minimaliser bien sûr l’ampleur de l’événement : les jeunes porteront longtemps la croix de cet héritage nucléaire qui leur a déjà pris une grande partie de leur avenir.

Derrière un titre qui ne paie pas de mine, une oeuvre émouvante et incontournable, livrée par notre spécialiste en shôjo Akata dans une édition d’une qualité exemplaire, avec des postfaces de Karyn Poupée et Michel Prieur. A lire de toute urgence.

Disponible depuis le 3 juillet 2014 aux éditions Akata. Prix : 6,95€

2 commentaires

Merci pour cet article ! Je suis justement à la recherche de shôjo de qualité en ce moment =)

Une de mes meilleures lectures récentes. En fait j’avais déjà le 1er tome de dispo’ mais ton article, notamment le paragraphe sur « le paradoxe », à eu le mérite de me pousser à l’entamer. D’ailleurs, pour te dire, c’est même les yeux fermés qu’en même temps je passais commande pour le 2e tome. Bien m’en a pris ^^. Donc merci beaucoup Sirius. Enfin bravo pour cet article qui fait du bien à ce manga passé quelque peu inaperçu dans nos belles contrées d’AK.
Bonne continuation. :)

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