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Du Japon à la France : analyses et commentaires d’une Tokyoïte

Publié le 26/03/2008 par Scalix dans Culture - 3 commentaires

Il est indéniable que l’Occident et l’Orient contribuent, par leurs différences, à la richesse culturelle de notre bonne vieille planète. Mais qu’en est-il lorsque l’on passe d’un monde à l’autre ? Est-ce difficile ? Agréable ? Ou bien est-ce tout simplement sensiblement la même chose, malgré tout ce que l’on pourrait croire ?
Afin de répondre à nos interrogations, tout en restant proche de la japanimation et des mangas, Tomomi Suzuki,  ancienne tokyoïte pur sang installée depuis quelques années en France, a accepté de nous rencontrer. Mordue de One Piece, admiratrice cachée de Zoro (celui de One Piece, pas l’autre), elle s’exprime librement et sans pudeur sur son pays, comme sur la France, et nous offre un regard unique sur ces deux sociétés, en apparence antinomiques.

AK : Quelle était votre vision de l’Europe, et plus particulièrement de la France avant de vous y installer ? Avez-vous été agréablement surprise, ou bien déçue ?

TS : A vrai dire, je ne me suis jamais réellement intéressée à l’Europe, donc j’y suis arrivé sans à-priori. En revanche, j’avais une vision très positive de la France, comme beaucoup de japonais. D’après ce que l’on apprend au lycée, la France donne l’impression d’être un pays très distingué, très artistique. C’est aussi un pays culinaire, un pays de gourmands ! Il faut savoir qu’au Japon, le terme de « gourmand » est très positif. J’étais donc ravie de pouvoir m’y installer.

AK : Vivre dans un pays occidental comme la France a-t-il été difficile au début ?

TS : Non, au début c’était fantastique ! Tout était « frais », nouveau, et j’avais vraiment l’impression de me lancer dans une aventure excitante ! C’est une fois les premiers mois passés que c’est devenu plus délicat. Maintenant je dois m’insérer dans la société française, en tant que citoyenne, et c’est quelque chose de vraiment délicat je trouve.

AK
: Quelles différences marquantes avez-vous pu constater entre les français et les japonais ?

TS : D’après ce que j’ai pu constater, j’ai l’impression que les français passent plus de temps avec leur famille que les japonais. Dès qu’ils ont l’occasion de faire de grands repas familiaux, ils en profitent pour passer énormément de temps à table. Les japonais ne fonctionnent pas comme ça ; ils voient relativement peu leur famille.

AK
: Que pouvez-vous nous dire à propos de l’attitude des français les uns vis-à-vis des autres par rapport aux japonais ? Avez-vous constatez de nombreuses différences sur le plan social ?

TS : J’ai la chance d’avoir beaucoup voyagé dans ma vie. J’ai vécu au Canada, et j’ai rencontré et discuté avec de nombreuses personnes d’horizons variés. Après toutes ces expériences, j’ai trouvé que les français et les japonais n’étaient pas si différents que ça !

AK : Pourtant, à première vue, les cultures françaises et japonaises n’ont pas grand-chose à voir. Il doit tout de même y avoir des différences, non ?

TS : Une fois de plus, les japonais et les français sont deux pays « bon-vivants ». Les gens aiment bien manger, et en quantité ! La différence m’ayant le plus marqué entre ces deux pays est probablement l’intérêt que les français portent à la politique. Ils y pensent sérieusement et partent souvent dans des polémiques sans fin. Au Japon, plus personne ne s’intéresse à ce sujet ; c’est devenu « has been » et ennuyeux. Les jeunes s’en moquent complètement, tandis que les adultes ne remettent pratiquement jamais en cause les décisions des dirigeants.

AK : De nombreuses personnes voient le Japon comme un pays avec des codes sociaux extrêmement complexes, dans lesquels on parvient toujours à cacher une part de cruauté par une politesse presque exagérée. Tandis qu’en France, les gens sont presque trop honnêtes, et ont un franc-parler assez marqué. Qu’en est-il selon vous ?

TS : C’est vrai que les japonaise se respectent énormément entre eux. C’est une question d’éducation et de société j’imagine. Cela dit, on ne peut pas dire qu’ils ne disent jamais ce qu’ils pensent et qu’ils cachent leurs sentiments derrière une politesse exagérée. Généralement, ils disent toujours ce qu’ils pensent, du moment qu’ils ne courent pas le risque de froisser quelqu’un. Les relations sont plus masquées dans le milieu de l’entreprise, où personne ne se fait de cadeaux.
Concernant les français, ils sont parfois comme l’emblème de leur pays, de vrais coqs ! 

AK : Au-delà de votre expérience personnelle, il me semble que les japonais ont beaucoup de clichés concernant la France. Savez-vous lesquels ?

TS : Oui, c’est vrai. Du point de vue des japonais, la France reste pour beaucoup un pays très aristocrate, où les gens se réunissent autour de grands banquets et dansent tous ensemble. Quelque chose qui se rapproche de votre période monarchique je pense, avec énormément de luxe. Cela concerne surtout la génération de mes parents, surtout. Aujourd’hui, avec les progrès de l’information, tout cela se démystifie un peu. Cela dit, les japonais imaginent toujours les français comme de grands amants, mais aussi comme des gens extrêmement fiers et imbus de leur personne. Par exemple, les français refusent très souvent de parler anglais aux étrangers, même s’ils peuvent répondre ! C’est assez frustrant tout de même ! Ces visions lointaines sont tout de même assez exagérées, heureusement.

AK : C’est vrai, vous avez raisons. D’ailleurs beaucoup de français imaginent les japonais comme un peuple d’Otakus, mordus de jeux-vidéos, d’animes et de gadgets high-tech. Ce qui me mène à la question suivante : comment se développe le phénomène « Otaku » au Japon ? Et qu’en est-il des Hikikomoris* et des Freeters* ?

TS : Le phénomène Otaku est pratiquement intégré et accepté au Japon. La preuve parfaite est l’explosion fulgurante d’Akihabara, le quartier mangas de Tokyo. Auparavant, c’était un lieu qui n’était pas à la mode, et où seuls les fans d’animes se retrouvaient, mais maintenant c’est devenu l’une des zones les plus visitées de la ville. En d’autres termes, les Otakus sont parvenus à faire accepter leur statut par le reste de la population japonais. Cela peut sembler ridicule, mais c’est pourtant vrai : la série live Densha Otoko a largement aidé l’acceptation du phénomène Otaku.
Les Freeters ne sont plus seulement issus de problèmes personnels, comme au début du phénomène ; c’est désormais un sérieux problème d’économie et de société. Cela montre la difficulté des jeunes générations à s’adapter au marché du travail japonais.


Flickr

AK : Le Japon vous manque-t-il toujours ?

TS : Les Spa et les Onsen* me manquent énormément oui. En France, c’est considéré comme luxueux, alors qu’au Japon c’est un lieu de détente dans lequel des gens de toutes catégories sociales se retrouvent. Il faut aussi dire qu’en tant qu’ancienne tokyoïte, j’étais très habituée à vivre dans une ville qui ne dort jamais. Peu importe l’heure, il y avait toujours quelque chose à faire ! Les restaurants ne ferment pas, les salles de jeux non plus, sans parler des bars et des karaokés ! En France, même si je vis dans une grande ville, je n’ai pas retrouvé d’équivalent à cette activité incessante.

AK : Avez-vous une idée des motivations des gaijins qui s’installent définitivement au Japon ?

TS : Ca dépend vraiment des nationalités je pense. Mais pour les Occidentaux, et particulièrement les européens, le Japon est un pays riche et high-tech, possédant une culture qu’ils ne connaissent presque pas et qui leur semble magnifique. Pour moi, c’est en quelque sorte l’accomplissement d’un fantasme.

AK : Pourriez-vous vivre à nouveau au Japon, maintenant que vous avez expérimenté un style de vie occidental ?

TS
: Oui, sans le moindre problème. J’ai entendu dire que beaucoup de japonais ne voulaient plus retourner au Japon après s’être installé dans un autre pays, et notamment en France, mais depuis que je n’y vis plus, j’ai pris conscience de la richesse culturelle de mon pays natal, et je suis fière d’y être née.

AK : Je profite de votre culture manga pour vous poser quelques questions plus proches du thème d’Anime-Kun. Les mangakas puisent souvent leur inspiration dans la société japonaise, qu’ils observent pratiquement comme des sociologues, pour certains d’entre eux. Pensez-vous que les lecteurs occidentaux peuvent être touchés par ces thèmes autant que les japonais le sont ?

TS : Je pense qu’ils le sont oui. C’est un peu comme les films, après tout. On peut lire des mangas, et peu importe son horizon, on parvient quoiqu’il en soit à en saisir l’essence et l’intérêt. Du moins, c’est ce que je pense lorsque je vois le succès qu’ont les mangas dans des pays comme la France.

AK : C’est peut-être une étrange question, mais pourquoi, à votre avis, les shônens* sont-ils la plupart du temps les best-sellers ?

TS : Les shônens se rapportent au rêve, à l’imaginaire. Ils touchent à énormément de sujets, en passant par l’amour, l’amitié, la vengeance et la volonté d’être plus fort. Ce sont des thèmes qui touchent beaucoup de gens, et plus particulièrement les jeunes générations, qui sont les principaux consommateurs de ce genre.

AK : Parallèlement aux shônens, que pensez-vous de l’émancipation des scènes ecchis, dans les animes comme dans les mangas.

TS : Initialement, le fan-service était là pour faire vendre. C’était un argument poussant les spectateurs et les lecteurs à continuer d’acheter les volumes suivants. Ce qui est intéressant, c’est que les mangas ecchis pour homme étaient pratiquement sans scénario, contrairement aux mangas ecchis pour femmes, qui eux sont en lien avec des histoires d’amour initiatiques. Du coup, maintenant, les hommes commencent à lire de plus en plus de mangas ecchis pour femme !

AK : Qui sont, alors, les plus grands mangakas au Japon ? Y’en a-t-il d’anciens qui parviennent à rester à la mode ?

TS : Les plus connus sont incontestablement Takehiko Inoue, Ai Yazawa et Naoki Urasawa. Parmis les anciens, on retrouve bien entendu Akira Toriyama, qui a su rester à la mode ; mais aussi Monky Punch et Kazuo Umezu, qui sont des pilliers de l’animation japonaise et du manga.

AK : Au risque de finir sur une question on ne peut plus classique, savez-vous si, globalement, les japonais regardent autant d’animes qu’ils lisent de mangas ?

TS : Toutes les générations lisent des mangas. En revanche, les animes sont essentiellement pour les plus jeunes et aussi (surtout) pour les Otakus.

AK : Merci beaucoup d’avoir accepté cette interview, Suzuki-san !

TS : Tout le plaisir est pour moi, merci beaucoup !

3 commentaires

Article très intéressant, merci ^^
2 Kokaku le 27/02/2009
Intéressant d'avoir l'avis d'une jap

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