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L’histoire et ses fantasmes dans Le Chevalier d’Eon

Publié le 22/03/2008 par watanuki dans Dossiers - aucun commentaire

I – A la lisière d’une forêt de symboles…

Le générique de début du Chevalier d’Eon n’est pas particulièrement exceptionnel dans sa mise en scène ou dans son propos ; en revanche, les dernières images qu’il nous propose sont tout à fait intéressantes dans la mesure où elles reflètent un épisode très particulier qui sert de point culminant à la série : dans les dernières secondes de l’opening, on voit Lya de Beaumont debout de face tenant son épée devant le visage, dans une bâtisse évoquant fortement une aile du château de Versailles. Détail essentiel, tout le décor baigne dans les flammes, qui font trembler l’image, comme s’il y avait un lien entre la présence de Lya dans ce tableau et ces flammes destructrices. Le fait qu’elle tienne son épée droit devant elle lui donne la stature d’une représentante de la justice, tandis que les ailes qui ornent la garde de son épée sont comme assimilées à la personne de Lya, que l’on imagine dès lors comme une sorte d’ange, qu’il soit vengeur (symbole des flammes) ou tenant de la justice (symbole du drapeau français dans le ciel). Un déplacement inconscient s’opère dans notre interprétation : les ailes ne sont plus symboliques de l’épée, mais de sa propriétaire.

Alors, Lya se retourne lentement et le décor se modifie en conséquence : l’espace semble s’organiser autour d’elle, la voilà qui à présent nous tourne le dos et s’en va avec lenteur, sans se retourner, donnant l’impression qu’elle a achevé une mission. Le décor est quant à lui devenu tout autre : Lya avance dans un champ de ruines, métaphore de la Révolution française que l’on nous décrit comme une entreprise de destruction visant à mieux reconstruire par la suite. Ce champ de ruines n’est d’ailleurs plus entouré de flammes, il baigne dans une lumière bleue un peu irréelle, comme celle qui nimbe les plateaux de cinémas lorsque l’on tourne des scènes en nuit américaine. Dernier détail, Lya s’éloigne de nous, marchant droit vers l’horizon, dans lequel on aperçoit très visiblement les couleurs du drapeau français tombant telles des rayons de lumière aux travers des nuages. L’idée qui en découle est simple à voir, mais difficile à formuler : cette image évoque la fin de la série, elle évoque même l’après-Révolution, lorsque le pays se relève de ses décombres, matériellement affaibli (symbole de la ruine), mais moralement – et idéologiquement – plus fort que jamais (symbole du drapeau dans les nuages). Cette image, qui ne dure guère que quatre secondes, est un écho frappant et un peu simplifié de la scène de l’épisode 18 que nous allons commenter.

II – Une promenade dans un Versailles ésotérique et fantasmé

C’est à l’épisode 18 que Lya/Eon parvient enfin à l’abbaye de Medmenham, où Robespierre vient d’affronter Dashwood, son maître à penser, dans une lutte sanglante qui n’a pas tourné à son avantage. Dans ce contexte, Lya (car c’est d’elle désormais que nous parlerons) pénètre au cœur de la salle et se trouve face à Dashwood. L’affrontement à ce moment prend une tournure ésotérique : la lutte entre les deux protagonistes est mentale, ce sont après tout des maîtres dans le maniement des psaumes. Le cadre se modifie donc en conséquence, pour devenir le lieu symbolique de l’affrontement entre Dashwood et Lya.

La première chose qui frappe est la splendeur de la scène nouvelle : les coloristes ont fourni un travail exceptionnel, preuve que cette scène est un moment-clé de la série. Lya se retrouve dans le jardin de Versailles, parfaitement reconnaissable et extrêmement bien rendu, mais certains détails ne sont pas à leur place, et c’est de là que découle toute l’étrangeté de la séquence : les effets de mise en scène, tout d’abord, viennent insister sur l’aspect irréel de ce passage, les points de vue sont obliques, on ne parvient pas à trouver un point d’équilibre dans cet endroit, et c’est alors que l’on s’aperçoit que le lieu est comme flottant dans l’espace, arraché à notre réalité et dérivant dans le cosmos, effet extrêmement bien rendu découlant de la suppression pure et simple de la ligne d’horizon. Effectivement, si l’on observe bien les images, on voit très bien les bâtiments et les jardins qui se découpent sur un fond cosmique de voie lactée et d’étoiles scintillantes, comme si au-delà des jardins il n’y avait rien d’autre que le vide.

Ensuite, on éprouve un nouveau malaise, qui résulte de ce que l’on pourrait appeler la présence/absence des figurants. Tantôt le jardin est peuplé, et l’on voit des gens évoluer au milieu d’un parterre de fleurs tellement colorées que l’on en retire l’impression qu’il s’agit d’un rêve, et tantôt le jardin est absolument désert, les figurants ayant disparu de manière fantomatique dans un mouvement de champ / contre-champ parfaitement maîtrisé.

Pour faire le lien entre ces deux plans, le metteur en scène a inséré un gros plan sur le visage de Lya, et l’effet est significatif, puisqu’il nous montre que l’héroïne, confrontée à l’illusion de la vie, n’a pas été dupe. Dès lors, le décor se vide non seulement des figurants, mais il perd toutes ses couleurs féeriques pour conserver une dominante de blanc et de bleu foncé (deux couleurs du drapeau tricolore) : Dashwood se manifeste alors.

A chaque moment-clé de cette séquence, on retrouve Lya en plan moyen, dont la silhouette se découpe toute seule sur fond de cosmos ; seule une vasque énorme est là pour nous prouver que nous ne sommes pas en train de dériver dans l’espace. Cette vasque est à mettre directement en lien avec la stature de Lya : la blancheur éclatante des façades, de la vasque, répondent à sa tenue blanche et à son teint pâle. Cette couleur évoque le rêve, et associée au bleu foncé du cosmos, on en retire l’impression d’un calme surnaturel. C’est précisément l’expression permettant aussi de décrire l’attitude de Lya tout le long de cette séquence : mutique, elle conserve un visage totalement inexpressif, et un regard à la fois perdu dans le vague et menaçant, évoquant une sorte de déesse en dormance ; cette impression que l’on a d’être confronté à une sorte de divinité endormie ou au bord de l’éveil se vérifie dans le plan où la vasque apparaît dans tous ses détails. On peut alors observer un visage gravé dans l’albâtre qui irradie, emblème pour ainsi dire du roi-soleil.

Ce symbole n’est pas placé là au hasard ; tout comme dans le générique, le symbole est là pour donner une présence quasi-divine à Lya, pour la transformer en représentante d’un ordre voulu par Dieu, et duquel elle tire tout son rayonnement. Une dernière question demeure : pourquoi ce cadre-là pour s’affronter ? Tout simplement parce qu’il est le symbole de la France d’avant la Révolution : une France où le roi est tout puissant, et où tout marche pour ainsi dire à angle droit.

III – du symbole prophétique à l’hallucination visionnaire

A ce moment précis le décor bascule : l’intrusion d’un troisième protagoniste dans le décor modifie la représentation du fantasme. Lya, tout comme dans le générique, se retrouve plongée dans des flammes qui ne la blessent pas, ses cheveux se soulèvent, elle gagne encore en majesté et évoque plus que jamais une sorte de divinité de la vengeance, entre les Erinyes et Méduse, dont elle semble avoir les cheveux.

Ce mur de flammes marque l’entrée en scène de Robespierre, mais avant de le voir apparaître lui, c’est le symbole qu’on nous montre, comme déposé de façon absurde dans un cadre anachronique : la guillotine se dresse au milieu du jardin de Versailles, marquant la superposition de deux univers, celui de la monarchie absolue, et celui qui suit directement la destruction de cette même monarchie. Le symbole est très fort, la lame de l’appareil est déjà ensanglantée, et cette apparition brutale nous prend tellement de court que l’on n’a pas vraiment le temps de se dire qu’il va de soi qu’elle serve à introduire Robespierre dans le décor.

Ce dernier semble plus puissant que jamais, fantomatique, il rayonne lui aussi d’une lueur surnaturelle. Sous son emprise tout change, Dashwood se trouve coupé du décor qu’il avait installé, et est obligé d’errer dans un monde virtuel dont Maximilien Robespierre trace les contours. C’est un monde rocailleux et monochrome, et la monotonie de son paysage n’a d’équivalent que son aspect dévasté.

La caméra se déplace en longs travellings, tandis que l’image de Dashwood cadrée au niveau de la poitrine apparaît en transparence. Cette mise en scène donne un aspect onirique, ou plutôt visionnaire à la scène : aux portes de la mort, Dashwood se voit ainsi révéler intégralement la vision du monde selon Maximilien. D’abord effaré, il trébuche, implore, puis semble petit à petit comprendre et se résigner. Au fur et à mesure qu’il avance (métaphore visuelle qui nous laisse aussi entendre qu’il se rapproche de sa propre fin), il semble accepter ce changement, et se soumettre à l’idée que la Révolution est nécessaire pour la France.

Tout ce processus psychologique s’accompagne d’une lente transformation du décor. Jusqu’alors baigné dans des teintes rouges évoquant les centaines de morts que fera la Révolution, le décor prend de nouvelles couleurs : le rouge s’estompe petit à petit, symbole du temps qui répare tout, tandis que le blanc, puis le bleu prennent la relève.

Tout le décor se met ainsi à évoquer le drapeau français, et l’on finit par retrouver l’image si frappante du générique de début : des rais de lumière perçant les nuages et évoquant le drapeau tricolore.

Dashwood est alors happé par les couleurs, et dans cet espace de flash évoquant les réminiscences et hallucinations que l’on a avant de mourir, il aperçoit Maximilien transfiguré, transformé en une figure iconique androgyne, dont les traits sont particulièrement pâles et épurés, et les cheveux d’un blond achevant de donner l’impression au spectateur qu’il est, à l’image de Lya, une sorte d’ange venu sur terre pour accomplir la volonté de Dieu… C’est alors que, dans un retour subit à la réalité, Dashwood s’aperçoit qu’il a été transpercé par l’épée de Lya.

En fin de compte, Lya et Maximilien ne partagent pas le même espace : la première semble rattachée malgré elle à Versailles, tandis que Maximilien devient l’homme des ruines, le destructeur nécessaire à toute entreprise de reconstruction. Mais Lya, en fin de compte, quel est son statut ? A mi-chemin entre les idéaux de Robespierre et l’obéissance à Louis XV, elle est un personnage ambigu qui n’aura pas non plus le droit d’assister au grand changement, celle-ci disparaissant à la fin de la série pour permettre à Eon de prendre le relai, tout comme Robin prendra la relai de Maximilien en lui volant son nom… A un monde ancien succède un monde nouveau, et les héros d’hier sont alors obligés de tirer leur révérence pour céder la place aux héros de demain.

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