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Regards sur Kei Toume

Publié le 29/07/2009 par kuchiki byakuya dans Dossiers - 2 commentaires

Ayant découvert cette mangaka avec l’incontournable Les Lamentations de l’Agneau, c’est avec plaisir que j’ai décidé de continuer à lire ses oeuvres, avec Momonchi et Luno, puis The Sea where live the Sirens, mangas très courts. Son style faisant mouche à chaque lecture, c’est en me penchant sur Sing « Yesterday » for me que l’envie de lui consacrer un dossier m’est venue.

De l’amour au drame, en passant par la comédie, Kei Toume arrive à nous apporter du rêve à chaque page, dans un cadre tout à fait réaliste et proche du lecteur. Lire ses mangas, c’est effleurer le bonheur du bout des doigts.

Entre rêve et réalité

Son génie réside dans sa narration car elle est capable de transformer des scènes banales de la vie quotidienne en véritables histoires fantastiques. La frontière entre la réalité et le rêve est toujours très mince, jamais définie clairement, maintenant ainsi un peu d’interrogation, à l’image des Lamentations de l’Agneau où le mal de Chizuna est tantôt perçu comme une maladie, tantôt comme une malédiction. A aucun moment le lecteur n’a besoin de démêler le vrai du faux, la vérité du mensonge, la réalité de la fiction.

Il y a une dualité permanente : deux univers qui s’opposent, deux philosophies de la vie, deux points de vue, deux mentalités, deux êtres. De cette opposition, rappelant le Yin et le Yang, naît une ambiance mystérieuse, teintée de magie et de poésie mais surtout non conventionnelle, comme le montrent ses conclusions parfois étranges et rarement prévisibles. Alors que certains mangas pratiquent la même chose au départ, ils finissent immanquablement par basculer d’un côté ou de l’autre, tandis que Kei Toume parvient à garder ce flou intact d’une réalité alternée, presque mystique mais incroyablement prenante.

Une jeunesse en mal d’être

Vivant dans une société où l’individualisme est très limité et arrivée à un certain âge, cette jeunesse se sent perdue et anxieuse. Ces jeunes sont souvent en fin de lycée ou de leurs études, et donc à un moment crucial de leur existence. Ils se retrouvent confrontés à des choix qui les dépassent pour leur avenir. Ils sont complexes, presque asociaux de part leur questionnement et leur manière d’appréhender les événements. Cette idée est très présente dans Sing “Yesterday” for Me et The Sea where live the Sirens, dans lesquels le personnage principal masculin n’a aucune motivation à première vue mais a simplement peur d’avancer dans un monde qui l’effraie, incapable d’assumer des responsabilités, des devoirs, des obligations. Il fuit cette vie rangée et soumise à bon nombre de règles car il ne cherche qu’une chose: une liberté impossible à obtenir dans une société qui ne le permet pas vraiment. C’est une aide extérieur qui lui ouvre les yeux. Il est facile de se comparer à ces protagonistes, ce qui rend la lecture d’autant plus agréable et poignante. Dans Momonchi, il s’agit du personnage féminin qui refuse à sa manière, les obligations de sa famille. On peut interpréter son comportement par une sorte de révolte vis-à-vis de sa famille, et par extension, de la société. Ne pas faire ce que les autres attendent de nous mais bien faire ce qu’il nous plait.

Cette jeunesse torturée ne parvient que difficilement à se faire une place, en sacrifiant parfois une partie de ses rêves mais en gagnant en sérénité. D’obstacle en obstacle, elle trouve d’abord son chemin (parfois hors des sentiers battus) puis un but dans la vie. Est-elle nécessairement heureuse? Non car elle perd parfois plus qu’elle ne gagne ou se résigne finalement à une sorte de fatalité, qui leur convient, mais souvent temporairement. On le voit bien dans Hatsukanezumi no Jikan où des lycéens en fin de cycle cherchent à s’affirmer mais où beaucoup finissent par renoncer, contents du peu qu’ils possèdent. Cependant, ce compromis provisoire est une solution acceptable à ces difficultés, quitte à revenir sur ce choix plus tard. Il faut citer Rikuo qui incarne bien ce principe de vie. Il travaille dans une supérette, presque à mi-temps, parce qu’il peut à tout moment partir et regagner sa liberté, tout en n’étant pas exclu du système.

Dans chacun de ses mangas, Kei Toume cerne bien les différentes psychologies que les jeunes peuvent avoir, ainsi que leurs réactions. On sent nettement qu’ils peuvent à tout moment changer de vie car ils sont à l’affût de la moindre occasion. N’est-ce pas la même chose dans notre réalité ?

La solitude, un thème central

De nombreux thèmes sont abordés mais celui de la solitude est le plus fort et le plus récurrent. Les personnages principaux sont souvent (pour ne pas dire tout le temps) des solitaires, volontairement ou non, action qui n’est pas sans rapport sans rapport avec leur problème d’intégration dans la société. Ils se savent différents de ceux ayant un but et créent une bulle protectrice et isolante. Ne pas se lier aux autres est une façon de ne pas être blessé, déçu ou blesser son entourage mais ils connaissent également le prix à payer (et l’acceptent implicitement). Ce choix peut leur peser et créer un cercle vicieux dont il est dur de s’échapper alors.

Là encore, Les Lamentations de l’Agneau sort du lot car si Kazuna tente de s’isoler pour ne pas blesser ses amis, Chizuna s’isole parce qu’elle ne voit pas l’intérêt d’en avoir. Son  personnage froid, insensible à la vie banale d’un lycéen ordinaire, se complet dans son monde sordide, loin de tout et de tous, dicté par un désespoir grandissant. Elle ne retourne à une vie normale que pour ne pas laisser son frère partir et le préserver mais en aucun cas, ce n’est réellement pour elle qu’elle le fait. Elle a besoin de son univers car il lui permet de ne pas regretter ces choses qu’elle n’a pas pu avoir. Cette lucidité se retrouve uniquement chez les personnages féminins d’ailleurs, qui comprennent plus vite et bien mieux leur condition. Ce comportement n’a rien avoir avec une quelconque fuite, bien au contraire. Il est rationnel et logique, mûrement réfléchi mais terriblement injuste.

Le souvenir, maîtresse de la mélancolie

Kei Toume accorde une grande importance au passé et plus précisément aux souvenirs d’un bonheur enfui. Ce besoin de mémoire peut se matérialiser comme c’est le cas dans Fugurumakan Raihoki où les objets abandonnés sont nostalgiques d’une époque, d’un moment de leur “existence” et le manifestent à travers un photographe capable de voir leur histoire. De manière plus générale, chacun de ses personnages est envahi par un souvenir fort, souvent désagréable, qui influe beaucoup sur sa vie (Chizuna est accrochée aux souvenirs de son père, Haru à celui de l’image d’un mystérieux jeune homme, Kiriko à celui de sa vie en liberté).

Mais le passé est toujours accompagné par la mélancolie poétique. Ce n’est pas si étrange à première vue mais la façon dont la mangaka la retranscrit est saisissante car le lecteur a le sentiment que c’est de sa propre vie dont elle parle. Mélancolie certes mais mélancolie personnelle donc.  On ne peu s’empêcher d’y être sensible mais aussi de ressentir la même chose et de partager leurs peines et leurs souffrances car elle ne retranscrit que rarement par des mots mais plutôt par des images qui s’intègrent parfaitement au reste. Dans la lecture, il est impossible de les rater. Les personnages nous paraissent alors sous un autre aspect, plus intime, plus personnel, un peu comme des parent ou des amis, qui partageraient leur vie.

Un graphisme en perpétuelle évolution

Si les premières œuvres de Kei Toume était dessinés de manière assez maladroite, preuve flagrante des débuts de la mangaka dans le milieu de la bande dessinée nippone, on ne peut qu’être admiratif quant à l’évolution de son style tout au long de ses dernières années.
On le sait, Kei Toume est un auteur qui prend son temps, ses séries s’étalant sur plusieurs années. Si le rythme de parution peut rendre fou n’importe quel fan, il a au moins pour avantage de laisser à la dame le temps de travailler, de s’améliorer.

Prenons l’exemple le plus flagrant : Les Lamentations de l’Agneau (Hitsuji no Uta). La série débute en 1997 pour arriver à terme en 2003, ce qui laisse 6 ans à Toume pour s’améliorer. Le premier tome souffre encore des maladresses graphiques de l’auteur : visages déformés et peu expressifs, mains dessinées de façon maladroite, décors vides. Et pourtant. Si les premières pages sont clairement moyennes, on observe une grosse évolution graphique au sein du même tome ; il suffit de regarder les premières pages et basculer directement à la fin pour s’en rendre compte. Ce changement, en douceur, démontre le désir de la mangaka de s’améliorer, de faire passer des émotions, des messages, au travers de ses planches.
Et ça marche. Car ce qui fait l’une des plus grandes forces des lamentations, outre son scénario torturé, est la façon bluffante dont les personnages font passer des émotions aux lecteurs au travers de leurs expressions de visages, de leurs postures. Les tomes passent, les visages s’améliorent et le trait de l’auteur devient reconnaissable. Les mains, auparavant similaire à des paires de ciseaux froids, deviennent plus gracieuses, plus humaines. On regrettera par contre qu’au niveau des décors, il n’y ait pas de réelle évolution. Une fois le dernier tome fermé, on peut être sûr d’une chose : Kei Toume a trouvé son style, a su l’améliorer et le faire évoluer, et en fera bénéficier ses futures œuvres.

La première a en bénéficier sera Sing « Yesterday » for Me (SYFM). Démarré en 1999, la série démarre tout de suite avec un trait bien meilleure que son aînée, qui était toujours en court de publication à ce moment là. Pour ce manga, Kei Toume devait absolument s’améliorer graphiquement car la trame tournant autour des sentiments des protagonistes, les expressions faciales se devaient d’être réalistes, convaincantes. On peut dire que le travail de la mangaka aura porté ses fruits car ici aussi, c’est une réussite. S’étalant sur plus de 4 ans, SYFM reste la référence de l’auteur en ce qui concerne le réalisme visuel de ses personnages.
Mais le coup de grâce surgira un an après le premier volume de SYFM. Toume sort un manga complètement en couleur du nom de Fugumakan Raihoki. Et là, on peut dire que la mangaka est au sommet de son art. Des visages expressifs, véhiculant de purs émotions, le tout marié avec des couleurs pastels donnant autant plus de force au récit. Cette expérience couleur donnera lieu a un des plus beaux, voir le plus beau, manga de Toume. Une référence que l’on espère toujours voir débarqué en France.

On ne peut donc être qu’admiratif face à l’évolution graphique du travail de Kei Toume. Elle a réussi en quelques années, a trouvé son propre style, le rendre vivant et véhicule d’émotions, alors que cela ne semblait pas forcément évident quand on voit ses premières œuvres.

Conclusion

Partant de simples moments de la vie quotidienne, Kei Toume parvient toujours à en dresser un tableau touchant et triste que l’on observe comme une oeuvre d’art, délicieusement intime mais criante d’une certaine vérité de nos propres vies. La qualité s’explique par le temps qu’elle met à écrire un manga, comme Les Lamentations de l’Agneau qui ont nécessité 6 ans de travail ou encore Sing « Yesterday » for Me débuté en 1999, mais dont le résultat ne souffre d’aucun défaut (ou presque). Lire du Kei Toume, c’est lire un rêve qui n’existe que dans ses pages en noir et blanc.


Dossier rédigé par Kuchiki Byakuya, avec l’aide d’AngelMJ.

2 commentaires

1 allbrice le 04/08/2009
J'ai enfin pu prendre le temps de lire ce dossier. A part quelques erreurs d'inattention de part et d'autre, l'article est vraiment poignant je trouve. Je ne nierais pas que je me retrouve dans la description des thèmes abordés par cet auteur qui m'ont vraiment atteints. J'ai particulièrement apprécié ceux sur lesquelles elle énonce les a priori que la jeunesse ressentirait vis à vis des contraintes liées aux règles que la société nous soumet dans le monde du travail et le désir de satisfaire ses proches notamment la famille . En ce qui me concerne j'essaierai de me pencher avec le temps sur les œuvres de Kei Toume.
2 Dystopia le 15/01/2010
Voilà un magnifique portrait de Kei Toume,

J'ai été très touché par l'univers de cette mangaka à travers Les Lamentations de L'Agneau et Sing "Yesterday" For Me. Son style graphique colle à merveille avec ses thèmes, et merci d'avoir fait un article qui décrit si bien les oeuvres de Kei Toume.

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