Le nouveau Ponyo, en Ray Tracing

» Critique de l'anime Les Enfants du Temps par Afloplouf le
03 Juin 2020
Les Enfants du Temps - Screenshot #1

Comment vit-on après le succès ? C'est devenu un cliché téléramesque d'attendre parler du nouveau MIYAZAKI à la sortie de chaque film d'animation japonais. Et, sur le plan du succès aussi bien domestique qu’international, celui qui s'en est approché le plus c'est Makoto SHINKAI avec Your Name. Shinkai avait fait du chemin depuis l'autre image d'Epinal de celui qui réalise seul sur son ordinateur son court métrage et on ne pouvait déjà plus parler d'un auteur de niche mais avec Your Name il est entré dans une toute autre dimension.

Bien sûr après un tel succès, on cite facilement la pression des producteurs ou diffuseurs comme la Toho pour réitérer ce carton en salles. Mais j'imagine aussi très bien la pression qu'un réalisateur-auteur comme SHINKAI peut se mettre à lui même. Qu'est-ce qui s'est passé pour que cette fois cette histoire a-t-elle pu toucher un si large public ? On y reviendra car c'est particulièrement vrai avec lui mais les ingrédients sont toujours les mêmes donc quelle recette a pu donner ce genre de résultat ? Si l'analyse critique des qualités d'une œuvre sont difficiles pour tout le monde, je pense que ça l'est d'autant plus pour ses créateurs. A en devenir fou.

Les Enfants du Temps - Screenshot #2Je vais vous donner le secret le plus public de SHINKAI : les synopsis de ces films sont interchangeables. Dans un univers teinté régulièrement d'élements SF et/ou de fantastique, on suit les amours adolescentes impossibles d'un garçon et d'une fille séparés par "le destin", faute d'un meilleur mot. Il fait parfois l'impasse sur les éléments du film de genre mais c'est toujours le même fil conducteur. Ses détracteurs moquent d'ailleurs cette répétition de schéma. Mais ses fans, moi inclus, en redemandent toujours avec délice.

Mais cette fois j'ai eu le sentiment de subir cette trame.

Là où Your Name a une écriture telle un cercle qui colle au thème, Les Enfants du Temps ont une narration beaucoup plus décousue. Si je veux être sympa, je dirai que là aussi ça colle au thème : une histoire échevelée pour des ados fugueurs. Sauf que je n'achète pas à plus d'un titre. Déjà, même si ça fait écho, ça reste une écriture éparpillée. Et surtout l'écho est plutôt faible car la vie de ses ados fugueurs, en tout cas ce qui en est montré à l'écran, n'a pas grand chose de chaotique. Et de là vient un double péché originel. D'abord les personnages n'ont pas vraiment d'autres caractéristiques que celle d'avoir fugué. Ils sont attachants mais j'ai plus l'impression d'un habillage à la va-vite sur des personnages fonctions. Et on ne peut donc pas fondamentalement avoir de l'empathie pour des personnages qui ne donnent pas vraiment l'impression de galérer. Il y a comme une sorte de pudeur qui n'a pas sa place.

Les Enfants du Temps - Screenshot #3Et au delà de l'impact délétère sur le scénario et les personnages, le message est assez catastrophique. SHINKAI a eu le courage de s'attaquer à un sujet casse-gueule et il s'est viandé dans les grandes largeurs. Et je ne peux pas m'empêcher de faire la comparaison avec Tokyo Godfathers qui, sur les mêmes prémices, s'en tire bien mieux. On voit la beauté dans la crasse certes mais le film ne nous épargne rien sur la dureté du monde des SDFs. Si l'histoire a beaucoup de péripéties, le rythme est presque chronométré tout en s'accordant les pauses nécessaires. On voit comment les personnages en sont arrivés là et l'empathie du spectateur est pleine. Satoshi KON était sorti de sa zone de confort et n'avait pas hésité à rendre mal à l'aise le spectateur. SHINKAI est resté lui au milieu du gué. Et je vais même me la jouer Famille de France : il y a quelque chose de vicié dans ce ressort mal exploité. Ce film sera vu par beaucoup d'ados - commercialement le film reste un gros succès quoique plus modeste que Your Name - et je ne voudrais pas qu'ils retiennent que la fugue est facile, voire cool.

Malheureusement mes reproches ne s'arrêtent pas là. Je n'ai pas de problème avec l'astuce fantastique du film. Une fille qui peut chasser la pluie et appeler le soleil ? Banco, j'achète. D'autant plus que le contrat est respecté de bout en bout. Mais il y a une scène qui me gêne. A un moment les journalistes rencontrent un vieux prêtre. Il se moque d'un revers quand les journalistes parlent des conditions météo de façon historiques qui s'aggravent ces dernières temps : "Mais c'est parce qu'on mesure depuis à peine un siècle, dans le temps, c'était courant." Je crois que mes voisins ont entendu mon râle d'exaspération. Qu'on soit clair, je ne dis pas que SHINKAI est climato-sceptique. Mais tu ne peux pas traiter ce sujet par dessus la jambe. D'autant plus quand tu as dans ta filmographie des films de SF, voire de Hard Science, qui ont lancé ta carrière et quand dans Your Name, tu as réussi à montrer ce lien entre tradition religieuse et modernité technologique. Pas ça, Makoto, pas aujourd'hui, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait.

Les Enfants du Temps - Screenshot #4Et ça me fait mal d'écrire ça car ce film est par ailleurs un aboutissement technique. Comix Wave a toujours cette qualité picturale des décors qui font mentir ceux qui médisent sur la technologie numérique. TAMURA a remplacé avec brio ANDO à l'animation/chara-design. Et si on rajoute la maitrise des effets météo - que ce soit la pluie ou les rayons lumineux - on a un monde crépusculaire magnifique et des personnages vivants qui s'y battent, pour leur propre bonheur. Et c'est beau.

Mieux, si les films de Shinkai se sont régulièrement démarqué par un thème final chanté, je trouve que cette fois-ci la musique est encore mieux exploitée. RADWIMPS nous offre des moments de grâce et malgré mes dents qui grincent, je mentirais si j'omettais cette scène qui m'a fait lever les bras au ciel en signe de victoire, quand la musique triomphale se met au diapason de ce que l'on voit à l'écran.

Quand on est fan, il faut analyser aussi bien les échecs que les succès. SHINKAI a visiblement eu du mal à tourner la page, jusqu'à des caméos lourdingues. Mais on ressort d'une œuvre avec sa conclusion. Et si les rebondissements du scénario sont prévisibles (mais ça ce n'est pas vraiment un problème) la pirouette finale elle m'a fait lâcher une moue d'approbation. Comme si après cet orage, il y avait une éclaircie.

Je ne sais pas si SHINKAI verra dans Les Enfants du Temps un dérapage comme MIYAZAKI était parti en sucette avec Ponyo. Dans les deux cas, l'auteur s'est caricaturé lui-même et avec un succès commercial fort et des critiques laudatrices aveugles, l'appel à l'introspection me vaudra certainement les mêmes quolibets qu'à l'époque.

MIYAZAKI a su rebondir et Les Enfants du Temps portent des germes de promesse qui ne demandent qu'à éclore si SHINKAI arrive à les comprendre, se comprendre, pour une nouvelle fois nous mettre une claque. Dans tous les cas, je lui tends l'autre joue.

Verdict :5/10
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A propos de l'auteur

Afloplouf, inscrit depuis le 14/05/2008.
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