Legend of the Galactic Heroes – Space of Thrones

» Critique de l'anime Ginga Eiyû Densetsu par Deluxe Fan le
04 Février 2015
Ginga Eiyû Densetsu - Screenshot #1

« La force d’une nation se fonde sur de grands hommes nés au bon moment »
- Frédéric II de Prusse, dit Le Grand (1712-1786)

Commencer une critique, ou toute autre forme de discours, sur une citation historique relève d’une certaine forme de grandiloquence, voire de cuistrerie. Et si Ginga Eiyu Densetsu (Legend Of The Galactic Heroes ou LOTGH) est probablement l’anime le plus grandiloquent qui soit, à aucun moment vous ne le verrez tomber dans la suffisance ou la vanité. C’est le privilège d’une série exigeante et authentiquement complexe, qui se réserve jalousement à ceux qui se sentent prêts à intégrer le stade final du véritable fan d’animation japonaise ; la tant convoitée élite.

Au XXXVIe siècle, l’humanité a colonisé l’espace et conquis un nombre incalculable de systèmes solaires. Mais en tout temps, en tous lieux, les méfaits de l’Homme persistent. Ainsi, la galaxie est déchirée par une guerre séculaire entre deux factions ; L’Empire et l’Alliance. Le premier prend la forme d’une monarchie dirigée par une aristocratie décadente ; la seconde est une république verrouillée par un parti militariste. Les deux camps vont voir l’émergence simultanée de deux stratèges, Reinhard Lohengramm et Yang Wen-li, dont l’affrontement décidera de l’avenir de la race humaine…

Les animes japonais sont friands des histoires de science-fiction, et encore plus friands des histoires de rivalité virile. Cependant, LOTGH ne joue absolument pas dans la même catégorie que la plupart des séries que vous connaissez. LOTGH ne cherche pas à raconter une histoire, LOTGH a pour ambition de raconter l’Histoire, telle qu’on pourrait la lire dans un manuel et qui serait transposée sous la forme d’un documentaire-fiction. Le fait que la série soit adaptée d’un roman en plusieurs volumes, écrit par un docteur en littérature spécialiste de l’histoire de Chine, place cette œuvre à un niveau intellectuel et culturel que le reste de la production animée ne saurait rêver d’égaler. Contrairement à votre anime habituel, Il ne s’agit pas ici de s’identifier à des personnages adolescents projetés dans un conflit qui les dépasse, et qui subissent l’histoire à coups de répliques simplistes. Dans LOTGH ce sont bien les personnages qui font l’Histoire, des personnages adultes, responsables, remarquablement intelligents mais aussi profondément humains.

Ginga Eiyû Densetsu - Screenshot #2Lors de sa distribution initiale la série fut divisée en quatre saisons, qui relatent quatre étapes d’un parcours riche et tortueux. La première partie (ep. 01-26) fait suite aux longs-métrages My Conquest is the Sea of Stars et Overture to a New War (ce dernier étant en réalité une version allongée et retravaillée des deux premiers épisodes de la série) dont les visionnages sont fortement recommandés. Il s’agira de raconter l’ascension parallèle de Reinhard et de Yang au sein de leurs environnements respectifs, L’Empire et l’Alliance. Le principal sujet de cette première saison est de montrer la décrépitude des systèmes politiques de chaque camp de la galaxie. Du côté de l’Empire, Reinhard est confronté à une aristocratie décadente et imbue d’elle-même ; pour Yang, c’est la découverte d’une démocratie hypocrite et populiste. Dans les deux cas, des conflits internes vont permettre à Reinhard et à Yang de grimper les échelons et de parvenir à une position de force, au prix d’inévitables sacrifices.

La seconde saison (ep. 26-54) relate l’affrontement, d’abord indirect puis face-à-face, de Reinhard Lohengramm et Yang Wen-li. Du côté de l’Empire, Reinhard déjoue toutes les conspirations le visant et devient rapidement une autorité incontestable. En revanche, Yang refuse d’intégrer le jeu politique et se retrouve à la merci de sa hiérarchie. Le thème principal de cette saison est l’ambivalence des idéologies politiques : Reinhard prône un régime autocratique centré autour de sa personne, mais force est de constater que son pays est mené dans la bonne direction. De son côté, Yang est fermement attaché au principe de la démocratie mais constate que dans les faits, le pouvoir souverain du peuple est dévoyé par des bureaucrates irresponsables. La saison s’achève sur le duel tant attendu entre les deux héros, qui se terminera de manière plus ou moins inattendue.

Ginga Eiyû Densetsu - Screenshot #3La troisième saison (ep. 55–86) fait suite à la bataille qui a sapé l’équilibre des forces galactiques. Reinhard et Yang semblent destinés à ne plus jamais se croiser sur le champ de bataille, mais il en ira autrement lorsque diverses puissances tentent de se placer au milieu des ruines laissées par la guerre. Plus portée sur le développement des personnages et sur du background que sur le scénario et les thèmes, cette troisième saison est la plus longue de la série. Elle retranscrit de manière assez juste (voire prémonitoire si on tient compte de l’époque où le bouquin a été écrit) comment la dislocation d’une puissance militaire mène au désordre et au conflit. La seule différence entre la réalité et la fiction tient dans l’omniprésence des figures de Reinhard et Yang, qui seront amenés à s’affronter une dernière fois.

La quatrième et dernière saison (ep. 86-110) fait figure d’épilogue géant à cette fresque militaro-spatiale. Une fois le différend entre Reinhard et Yang définitivement résolu, la race humaine n’a jamais été aussi proche d’un état de paix globale et permanente ; mais avant cela des puissances malveillantes doivent être détruites, des dettes doivent être payées et des morts vengées. Notablement plus faible que ce qui lui précède en termes de récit, la quatrième saison de LOTGH a surtout pour objectif de clore toutes les sous-intrigues que la série avait lancées, et faire un grand "nettoyage" parmi les personnages dont seule une fraction survivra pour voir le dénouement final. Un final touchant qui, fait rare pour une série japonaise, arrive à ne pas se chier dessus pour au contraire apporter la conclusion qu’elle mérite.

Ginga Eiyû Densetsu - Screenshot #4Concernant la critique proprement dite de la série, je dirais que LOTGH constitue la preuve que l’animation japonaise est capable, si elle s’en donne les moyens, de raconter des choses intéressantes. Je pensais jusqu’à lors que les japonais seraient toujours un pas derrière les anglo-saxons s’agissant du storytelling au sein d’un monde fictionnel, mais c’était avant de constater le brio avec lequel Yoshiki Tanaka a su intégrer l’Histoire avec un grand H au sein de son histoire personnelle de space-opera. Là où les récits d’un Leiji Matsumoto se complaisent dans le romantisme au point de vider les personnages de leur réalité et de les transformer en icônes évanescentes, LOTGH s’avère tout à la fois lyrique dans le ton et positiviste dans son approche du monde. Aucune des forces actives de la série ne prend d’importance avant d’avoir été dûment présentée et contextualisée, tous les rebondissements prennent appui sur une étude de leur implication historique. Cette obsession pour l’Histoire se retrouve dans tous les éléments de la série, à commencer par le plus important ; sa construction. J’ai établi plus haut un plan général de la série en fonction de sa parution, mais dans les faits LOTGH ne se construit absolument pas comme une série animée ordinaire. De par sa longueur d’abord, mais aussi de par sa volonté de raconter une histoire jalonnée d’imprévus et d’évènements fortuits. Dans la réalité, l’Histoire ne suit pas un scénario proprement découpé en arcs et en épisodes ; c’est un immense bordel où les nations naissent, prospèrent et meurent dans le chaos généralisé des guerres et des révolutions. LOTGH choisit donc de se construire ainsi, ce qui peut parfois faire hausser le sourcil du spectateur habitué à une écriture très rigide des animes, et qui voit ici les choses éclater dans toutes les directions.

Ginga Eiyû Densetsu - Screenshot #5Concernant les personnages, ils sont bien trop nombreux pour faire chacun l’objet d’une étude détaillée, d’autant que tous ont une utilité et une place intéressante dans le grand ordre des choses. Les deux stars du show sont Reinhard et Yang, en particulier le premier qui occupe la place de protagoniste principal. S’il s’avère tout à fait fonctionnel dans ce rôle, le personnage de Yang m’a bien plus intéressé. Yang est de manière assez évidente le personnage auquel le public est invité à s’identifier, sa démarche nonchalante et son discours humaniste attirant la sympathie. Historien de formation, ses dialogues sont souvent à portée méta-narrative : c’est par sa bouche que l’auteur délivre les idées politiques, sociales et philosophiques qu’il cherche à faire passer dans son récit ; des idées qui ne sont ni bêtement convenues ni outrageusement cyniques. A ce sujet, les dialogues sont une des forces indiscutables de la série : on y ressent toute la virtuosité littéraire qui parcourt les animes adaptés de romans (je parle de vrais romans, pas de light novels) avec des dialogues au ton spirituel, des digressions jamais rébarbatives et un soupçon d’humour noir.

Tous les éléments que je viens de citer expliquent le culte voué à LOTGH par la partie la plus élitiste et éclairée du fandom de l’animation japonaise, traitant cette série comme une des réussites indépassables ce média. Ceux qui prennent cette posture font généralement partie des gens qui placent le récit au centre de tous les débats, et ils sont en partie dans le vrai : on ne saurait admettre une série de plus de cent épisodes qui ne raconterait rien ou qui le raconterait mal. Toutefois, vous me connaissez, je ne considère pas le récit comme le critère central de jugement d’un anime. Et si LOTGH bénéficie encore une fois d’un excellent scénario, il est d’abord et avant tout une transposition du roman écrit par le Dr Tanaka qui a fait l’essentiel du boulot. A côté de ça, le travail des studios d’animation est mieux austère, au pire minimaliste - en particulier pour de l’OAV. La direction artistique est plutôt sympathique, avec notamment des designs de vaisseaux spatiaux très intéressants et un chara-design certes daté mais qui tente de chercher un réalisme rafraîchissant comparé aux animes récents qui se ressemblent tous. En revanche, l’animation en elle-même laisse à désirer – avec entre autres une synchro labiale à la rue - et surtout une mise en scène des plus quelconques, se refusant complètement à accompagner le récit pour se contenter de le narrer. Pour en terminer sur l’image, on se doit de mentionner la remasterisation de la série qui fut opérée à l’occasion de sortie en Blu-Ray à partir de 2009. Les puristes découvrirent avec horreur que de nombreux plans furent redessinés numériquement et intégrés de force dans les premiers épisodes de la série, ce qui aboutit à une inconstance visuelle assez étrange et plutôt gênante si vous êtes justement fan du grain de pellicule et du feeling rétro des bons vieux cellulos.

Ginga Eiyû Densetsu - Screenshot #6La musique n’a quant à elle fait l’objet d’aucune modification, ce qui est un soulagement tant celle-ci constitue un des arguments de choix de la série. L’OST de LOTGH fut composée par plusieurs dizaines de compositeurs différents, dont certains que vous connaissez certainement même sans être spécialiste du milieu de la musique de dessin animé japonais : Mozart, Beethoven, Mahler, Bruckner, Tchaïkovski, Chopin, Brahms… Ça en jette hein ? Bon, il s’agit essentiellement de musiques du répertoire public compilées et réutilisées, mais pas de manière fainéante et arbitraire. Le réalisateur de la série, grand mélomane, connaissait visiblement parfaitement son sujet et a toujours su trouver la note juste pour souligner les moments forts et accompagner les séquences plus douces (le film My Conquest is the Sea of Stars se démarque ainsi par sa sublime séquence finale de bataille spatiale sur fond de Boléro de Ravel). De plus, l’utilisation de musique savante issue du patrimoine public renforce l’aspect encore une fois très grandiloquent et pompeux de la série – en plus de refaire la culture musicale du spectateur à moindres frais.

Cette apparente pauvreté de mise en scène ne doit cependant pas minimiser le travail colossal qui a été réalisé sur cette franchise. 110 épisodes sortis sur près de dix ans - qui en font la plus longue série d’OAV de tous les temps, trois films et plusieurs séries spin-off, quatre studios d’animation, une quarantaine de directeurs d’épisodes, plusieurs centaines de comédiens de doublage (parmi lesquels Norio Wakamoto qui trouve ici le rôle de sa carrière) ; et le tout sous la direction d’un unique réalisateur, Noboru Ishiguro. Décédé en 2012, cette légende de l’animation alignait sur son CV nombre de dessins animés cultes tels que Space Battleship Yamato ou SDF Macross - ainsi que Megazone 23, l’anime qui a pratiquement lancé le format OAV. Avec LOGTH, Ishiguro signe là son ultime chef-d’œuvre, le testament d’une époque où l’animation pouvait encore être une fabrique de rêves.

Ce texte devient dangereusement long et je n’ai pourtant fait que gratter la surface d’une série sur laquelle on peut trouver tant de choses à dire, en bien comme en mal. Mais le seul vrai défaut de LOTGH, si on exclut son animation moisie, c’est qu’il s’agit d’une adaptation ; une adaptation d’un roman visiblement excellent et dont le réalisateur a parfaitement retranscrit l’intérêt à l’écran tout en y apportant suffisamment de soin visuel et sonore pour ne pas gâcher sa substance intellectuelle. Mais le fait qu’il s’agisse d’une adaptation prive cette série du titre de Meilleur Anime de Tous les Temps à laquelle elle aurait légitimement pu prétendre à son époque, ne serait-ce que par l’excellence de ses dialogues et de ses personnages. Cependant, il s’agit également d’un salut pour l’animation japonaise toute entière ; si cette série avait été une création originale, tous les animes sortis depuis n’auraient alors plus aucune excuse pour justifier qu’ils ne soient pas à la hauteur ne serait-ce que d’un dixième de l’ambition de LOTGH.

Des rumeurs ont circulé sur une éventuelle réadaptation de LOTGH pour cette année 2015, même si rien n’a encore été communiqué et que le projet semble avoir disparu aussi vite qu’il a été annoncé (NDLA : le remake a finalement débuté sa diffusion à partir de 2018 sous le titre "Die Neue These") En attendant, en dépit de tout ce que vous avez peut-être lu jusqu’ici, je vous déconseille de regarder Legend of the Galactic Heroes. Cet anime place la barre trop haut, elle ferait passer bon nombre des séries récentes et surhypées que vous regardez pour des conneries sans intérêt. Contentez-vous donc de retenir le titre de cet anime, gardez-le dans un coin de votre tête. Et un jour, lorsque vous penserez avoir tout vu, vous lèverez les yeux vers les étoiles et vous vous souviendrez de ces héros de la galaxie qui vous y attendent.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Deluxe Fan, inscrit depuis le 20/08/2010.
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