"Mon unique espérance est dans mon désespoir" Racine

» Critique de l'anime Puella Magi Madoka Magica par Alice Devil le
26 Octobre 2014
Puella Magi Madoka Magica - Screenshot #1

On ne peut pas faire une critique de Madoka Magica comme on fait une critique d'un anime absolument inconnu ou oublié: avec maintenant trois films racontant d'une nouvelle manière l'histoire pour un plus grand public et 18 récompenses qualifiant cette série de meilleure de l'année 2011 avec le grand prix de l'animation du Japan Media Art festival, autant dire que toute personne novice ou experte a déjà entendu parler de prêt ou de loin de Madoka. Qui plus est, avec 11 critiques sur ce site (bientôt 12), on pourrait facilement croire que tout a été déjà dit, que ce soit sur les avantages ou les inconvénients de cet anime qui ne laisse personne indifférent.

Sauf que voilà, il y a une question dont les réponses apportées jusqu'à maintenant me laissent profondément insatisfaite: pourquoi regarder Madoka Magica?

De prime abord, cette question n'est pas du tout évidente pour tout le monde. Quant on lit uniquement le synopsis, on se retrouve avec ce que l'on appelle un magical girl, soit une série dans laquelle une jeune fille en rencontrant une petite créature extraterrestre/surnaturelle (rayez la mention inutile) se voit conférer d'importants pouvoirs qui l'aideront au choix à réaliser ses rêves ou à sauver le monde. Vous reconnaitrez dans cette catégorie des animes cultes comme le très célèbre Sailor Moon. Ce genre néanmoins ne bénéficie pas d'une très bonne réputation au prêt du grand public: souvent identifié comme le dessin animé pour petite fille rose bonbon, on lui reproche un niveau de guimauve pire qu'un gâteau d'un mariage auquel s'ajoute généralement des personnages principaux cruches à souhait et une intrigue plate à défaut d'être inexistante. Bien évidemment, il ne s'agit là que d'un cliché, mais j'y reviendrai.

Puella Magi Madoka Magica - Screenshot #2En attendant, on se retrouve avec un public qui demande autre chose, qui veut des histoires plus "noirs" et "sombres" à l'heure où l'industrie hollywoodienne s'amuse à reprendre des contes ou des superhéros pour les présenter dans de nouvelles versions plus réalistes et plus "matures". Et sur ce arrive Madoka Magica: une série qui part sur les bases classiques du genre des magical girl mais qui finit par changer radicalement de ton dès les premiers épisodes pour très vite proposer une intrigue plus complexe, avec plus de suspens grâce à de nombreuses révélations et une intensité dramatique supérieure avec des personnages qui souffrent et qui doutent. Tout le monde alors hurla au génie, et déclara sur tous les toits à qui voulait l'entendre qu'enfin, on avait découvert un magical girl dark qui déconstruit les canons du genre pour proposer du neuf, voire du glauque. Et cet argument, d'une manière ou d'une autre, se retrouve partout comme étant LA raison de voir Madoka Magica.

Autant vous dire que ça m'énerve prodigieusement.

Tout d'abord parce que cet argument insulte une immense frange de l'animation qui bien avant 2011 proposait déjà une approche bien différente du magical girl classique avec une intrigue solide pleine de rebondissements et de situations particulièrement prenantes: quelqu'un se souvient d'animes comme Pincesse Tutu ou Magic Knights Rayeath qui proposaient déjà une approche différente des canons? Ensuite, parce que croire que le seul intérêt de la série repose sur ce renversements des valeurs réduit la série a quelque chose qu'elle n'est pas. Loin de là: Gen Urobuchi, le scénariste à l'origine de la série, déclara vouloir respecter profondément les codes du genre, et se contenter juste de les réinvestir, pas de les torturer pour donner une image déformée où le spectateur va se délecter des pauvres souffrances de nos héroïnes malmenées. On ne peut pas bâtir tout un anime juste sur ça: plusieurs ont déjà essayé de se donner cette allure adulte comme Speed Grapher ou School Days mais sans réussite à cause de l'absence de message derrière. Mettre en avant tous les avantage de la série juste sur son apparence trompeuse revient à rester justement dans la superficialité et dans la simplification des thématiques plus complexes abordées.

Puella Magi Madoka Magica - Screenshot #3Car si je critique l'argument que je retrouve partout comme quoi la série est "adulte" et "dark", il est indéniable que Madoka Magica est excellent.

Tout d'abord, au niveau de l'image, les graphismes sont justes sublimes avec un jeu des lumières resplendissant qui arrivent à créer des atmosphères très différentes en accord avec les sentiments et les problématiques des divers épisodes: dans les décors se glissent parfois un ou deux détails symboliques qui transforment ainsi le background en un véritable élément clé au cœur de l'histoire. De plus, la variation des styles d'animation offrent une large palette d'univers qui, j'en suis certaine, plairont à tout le monde. Rajoutez y des musiques épiques de la talentueuse compositrice Yuki Kajiura ainsi qu'une ending et un opening parfait, et vous obtenez les conditions idéales pour développer votre histoire et ses problématiques.

Et ces dernières sont...totalement classiques, mais dans le sens littéraires du terme. Nous sommes devant une réflexion sur la destinée implacable des divinités antiques (ici d'une petite créature toute mignonne) qui s'abat sur les mortels impuissants face à leur sorts. Et nos héros, tels des personnages de tragédies grecques, ont beau tenter de se dresser contre leur fatalité, toutes leurs actions aussi grandioses soient elles ne débouchent que sur une vaine agitation. L'humain y est ici représenté dans toute sa faiblesse et sa grandeur: impuissant face à des forces qui le dépassent, il s'accroche néanmoins à l'espoir de lendemains heureux, à l'espoir de pouvoir changer le cours des événements même s'il sait au fond de lui que ses espérances et ses rêves se heurteront à la dure réalité. Lisez donc du Corneille et du Racine: c'est exactement les même problématiques, la même mise en scène de cette énergie extraordinaire qu'est l'espoir et qui révèle en même temps que notre courage, nos faiblesses et nos doutes. On est en plein cœur d'une tragédie classique à des proportions homériques comme l'on en voit rarement: en se basant sur un concept pourtant simple et en refusant la surenchère des thèmes et des effets de manches, l'anime se focalise sur un concept déjà vu mais exprimé dans sa plus pure expression.

Puella Magi Madoka Magica - Screenshot #4Et c'est pourquoi j'essayais de vous faire comprendre en début de critique que mettre en avant la pseudo originalité de Madoka Magica dessert tellement cette série. Je veux bien croire en vos bonnes intentions, mais si vous misez tout là dessus, vous réalisez un terrible contresens qui après un examen approfondi risque de vous détourner d'un anime pas si originale que cela en fin de compte: ce thème, vous pouvez le retrouver dès 2007 dans une série comme Bokurano. C'est en ce concentrant sur l'essentiel et le noyau dur de l'anime que l'on peut vraiment en apprécier la valeur: avec seulement 12 épisodes, l'intrigue d'une virtuosité sans nom concentre la tragédie et la présente telle qu'elle: imaginez un moment Andromaque de Racine dépourvu de toute fioritures et figures de style ampoulées pour ne conserver que le drame, cette injustice permanente où nos héros malgré toute leur bonne volonté et leur innocence se heurtent aux lois et à la logique d'un monde qu'ils ne comprennent pas ou n'acceptent pas. Et en temps que spectateurs, on se met à espérer avec eux, nous avons envie de croire que leurs efforts seront enfin récompensés...mais le brio de la série c'est que nous savons aussi très bien que cela ne se passera pas comme ça. Nous savons, dès le premier épisode, que quelque chose ne tourne pas rond: du coup, malgré notre connaissance de l'inévitable, nous espérons avoir tord. À sa manière, la série nous fait vivre la même injustice et la même désillusion que ces personnages.

Madoka Magica n'est pas fondamentalement originale, mais il s'agit d'une des trop rares vraies tragédies modernes, qui, tout comme elle reprend le genre des magical girl et le respecte, livre ici un vibrant exemple digne des grands textes antiques: je suis certaine que son intrigue s'inscrirait parfaitement dans la mythologie grecque à côté d'Œdipe et d'Oreste. C'est un petit joyaux brut, non pas alambiqué ou complexe, mais qui au contraire nous apprends à redécouvrir un thème simple tout en demeurant intense et perturbant. Son final, beaucoup critiqué par certain, offre au contraire un message nécessaire qui sans constituer une happy ending, donne au spectateur matière à réflexion pour aller de l'avant: à l'heure du pragmatisme, n'est il pas bon de nous rappeler la force de l'espoir? C'est en revenant à la base même et aux craintes première de l'humain sur sa fragilité face à des forces supérieures dans un monde qu'il ne maitrise plus que Madoka Magica atteints ainsi l'universel, loin de l'effet de mode de reprendre les genres en plus "matures": nul besoin de cette pseudo réactualisation quand on se rappelle la véritable force du message intemporelle derrière nos classiques.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Alice Devil, inscrit depuis le 23/10/2012.
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