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Critique du manga Nausicaä de la Vallée du Vent

» par Ariane le
22 Janvier 2010
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Nausicaä de la Vallée du Vent est le seul manga jamais publié par Hayao Myazaki. Il a aussi servit de base au film éponyme, premier film réalisé entièrement par son auteur, après qu'il ait quitté les Studios Toei.

A mon avis, c'est une série un peu inclassable, qui sort des chemins battus, aussi bien du point de vue graphique que narratif.

Le découpage des pages ressemble en effet plus à la planche bien ordonnée des bandes dessinées européennes qu'à l'organisation éclatée des scènes de mangas qui donnent parfois l'impression que les protagonistes se sentent à l'étroit sur leurs pages de papier. Le dessin, en noir et blanc, est aussi particulier, ressemblant presque à une gravure, du fait de l'usage des stries pour les effets d'ombre, de déplacement et les contrastes. Contrairement à nombre de mangas où le dessin se caractérise par un mouvement et un dynamisme constant qui fait que l'on ne s'attarde jamais longtemps sur les images individuelles, Miyazaki multiplie les détails dans nombre de scènes, qui appellent donc à une plus grande attention aux éléments représentés. En cela aussi il se rapproche des caractéristiques des bandes dessinées européennes. Cette technique lui permet de souligner l'aspect dramatique de certaines scènes particulièrement efficacement. Les personnages parlent beaucoup, et les phylactères (les bulles!) prennent donc beaucoup plus de place que dans un manga traditionnel, où, d'une certaine manière, ce sont les dessins qui parlent. Mais, il peut aussi y avoir des pages entières sans texte, totalement consacrées à l'action. Le rythme du récit est donc lui aussi assez particulier, alternant entre de longs dialogues et des scènes d'actions sans commentaires plus ou moins longues. Finalement, il semblerait que Miyazaki ait été fortement influencé par les récits et dessins de Moëbius, notamment son Arzach, qui date de 1975.

L'histoire de Nausicaä de la Vallée du Vent est complexe, non seulement parce qu'elle propose, un peu à l'instar de Tolkien, un monde cohérent avec son histoire, ses populations, divers modes de vie, caractérisés par différentes valeurs, spiritualités et systèmes politiques, mais aussi parce qu'elle porte sur plusieurs personnages hauts en couleurs (même s'ils sont en noir et blanc ;D) et propose une vision très nuancée de la relation humanité-nature. En effet, la question de l'écologie traverse toute l'œuvre de Miyazaki. Mais, il me semble que c'est dans ce manga qu'il nous fait part de sa réflexion la plus intéressante, car il a aussi la place de la développer. Cette place lui manque effectivement cruellement dans ses films, et tout particulièrement dans l'adaptation animée de ce manga, laquelle réduit tout le propos original à une simple dualité classique de l'homme contre la nature.

Le récit se déroule 1000 ans après une apocalypse ayant rayé de la carte la plus grande partie de l'humanité et presque entièrement détruit les civilisations industrialisées, ne laissant derrière que de petites populations artisanales, dispersées sur les quelques territoires qui n'ont pas été engloutis par la "mer de la décomposition". Si certaines, comme celle de la Vallée du Vent, dont est issu Nausicaä et qui ne comporte que quelques centaines d'âmes, arrivent à s'accommoder de cette situation et se sont adaptés à la proximité de ces énormes forêts de fungi géants et extrêmement toxiques pour les humains, d'autres ne l'entendent pas ainsi. Un royaume et un empire vont ainsi s'engager dans une guerre au potentiel tout aussi apocalyptique que celle des "Sept Jours de feu", entraînant dans leur sillage les petits royaumes de la périphérie, dont celui de la Vallée du Vent. On apprend ainsi que les technologies de l'ancien monde n'ont pas totalement disparue, mais "dormaient" en quelques-sortes, sous terre. Les dirigeants du royaume tolmèque et de l'empire Dork vont donc les ressusciter et tenter de s'en servir afin de vaincre leurs ennemis, et surtout, de reprendre la terre à la mer de la décomposition. Au milieu de ce chaos rampant, émerge la figure de la princesse Nausicaä, fille de Gilles de la Vallée du Vent, dotée d'une sensibilité au monde de la nature très particulier, qui lui permet de communiquer avec les animaux et les insectes géants qui peuplent la mer de la décomposition. C'est aussi un "maître du vent", c'est-à-dire qu'elle est un pilote d'aile volante et d'avions émérites, capable de "lire" le vent. Dotée de ces deux capacités hors du commun, elle va donc tenter de mettre fin à cette folie humaine. Mais contrairement aux héros standards de manga, qui gardent une sorte de pureté originelle tout au long de leurs épreuves et de leurs périples, Nausicaä est obligée de prendre part à des jeux de pouvoir assez nauséabonds, bref, comme dirait Sartre, à plonger les deux bras dans la merde jusqu'au coude. A aucun moment, bien qu'elle le désire ardemment, elle ne peut rester neutre. Elle se retrouve donc, elle aussi, ballotée par les évènements, obligées de s'adapter au mieux pour limiter au maximum la casse. Elle est aussi forcée de faire de grosses entorses à ses principes moraux de base, et de se départir de la vision du monde avec laquelle elle s'est engagée dans son périple.

Au cours de sa quête, elle fait un nombre de découvertes effrayantes, sur les origines de la mer de la décomposition et des insectes géants, sur les technologies déterrées par les Dorks et les Tolmèques, ainsi que sur les hommes eux-mêmes qui ont réussi à s'adapter à ce nouvel environnement. C'est la partie du récit que je trouve la plus intéressante, car elle reflète une approche très nuancée de la nature humaine et de son interaction avec son environnement organique. Au lieu de tomber dans cette dichotomie tellement ressassée de l'homme et de la nature comme deux entités opposées, Miyazaki propose de considérer l'homme comme une simple partie d'un tout qui le dépasse largement. A tel point que quel que soit les ravages que l'homme peut infliger à son environnement, il ne saurait réellement freiner la vie elle-même, qui trouve alors d'autres chemins pour se perpétuer. Les adeptes de la pureté originelle en prennent alors pour leur grade, lorsque Nausicaä s'entend dire que le rêve de retrouver un monde totalement dé-pollué représenterait un vrai cauchemar pour les humains, qui, s'ils devaient respirer un air aussi pur, se mettrait "à cracher le sang de leurs poumons". On a alors droit à une vision shintoïste intéressante, dans laquelle tous les organismes vivants, y compris ceux qui "polluent" (mais du point de vue de qui? autre question posée en creux par ce manga), ont le droit d'exister.

A mon sens, Nausicaä de la Vallée du Vent est un vrai chef-d'œuvre du 9ème art, avec une réflexion politique et éthique que je verrais assez bien utilisé comme cas à explorer en cours de philosophie. Donc, 10/10! ;-)

Verdict :10/10
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A propos de l'auteur

Ariane, inscrit depuis le 20/01/2010.
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