Pour goûter aux amours masculines

» Liste manga créée par Minuit le 22-05-2019

Le shounen-ai et le yaoi sont deux genres qui font peur. Et on ne pourra pas reprocher à qui en serait effrayé : les fujoshis, ces amatrices compulsives de romance (ou plutôt de pornographie) masculine, ont par leur comportement de quoi éloigner définitivement tous les curieux.

Mais le shounen-ai a une histoire ; et cette histoire est passionnante.

Si l'on veut aller vite, on pourrait presque dire que sans le shounen-ai, le manga moderne ne serait pas né. Rien que ça. Certes, c'est un raccourci, mais les apports du genre au manga en général sont nombreux et importants. Aussi, pour tout amateur de manga qui se respecte, une petite plongée dans les profondeurs du shounen-ai est un passage obligé.

Quelques précisions d'abord.

Non, le shounen-ai et le yaoi ne sont pas, à l'origine, des mangas pornographiques qui mettent en scène des hommes efféminés en train de gémir.

On distingue traditionnellement le shounen-ai du yaoi par la présence de scènes sexuelles. Je ne suis pas d'accord avec cette distinction. La différence entre le shounen-ai et le yaoi me semble davantage la suivante : le yaoi revendique un intérêt pornographique, tandis que le shounen-ai s'intéresse à l'histoire d'amour ; d'où la présence du mot "ai", qui signifie "amour" en japonais, soit littéralement des "amours masculines". Nous sommes bien dans le thème.

Mais d'où vient le shounen-ai, en fait ? Car le shounen-ai n'est arrivé que tardivement.

Le shounen-ai est né grossièrement lors de la révolution sexuelle de 1968 au Japon. Les origines sont multiples, mais on en retient d'abord une : car elle est française et la plus importante. C'est donc le roman Les Amitiés particulières de Roger Peyrefitte, prix Renaudot de 1944, ou plus exactement son adaptation cinématographique par Jean Delannois, qui inspire quelques jeunes filles à écrire des amours masculines.

A cela, on trouvait beaucoup d'avantages, et notamment celui de révolutionner le manga pour jeunes filles, le shoujo, complètement entravé par le carcan social de l'époque. En somme, la naissance du shounen-ai est avant tout un moment féministe, d'émancipation.

Bien évidemment, le genre a beaucoup évolué depuis ; une manière polie de dire qu'il a selon moi perdu beaucoup de son intérêt. Mais il reste tout de même ici et là quelques pépites indispensables.

Alors si vous êtes prêts à sortir de votre zone de confort, la suite de la visite est ci-dessous en dix titres spécifiquement sélectionnés !

PS : Pour le côté animation, c'est par ici !

  • 1974 - 1 volume

    Le Coeur de Thomas est LE classique du shounen-ai. Il est considéré par beaucoup de critiques comme le premier vrai manga shounen-ai à avoir rencontré du succès. Il se distingue surtout par ses fortes influences européennes : son autrice, la grande Moto Hagio, était à l'époque une de ces jeunes filles qui furent très impressionnées par les Amitiés particulières.

  • 1976 - 17 volumes

    Kaze to Ki no Uta est d'une certaine manière le miroir du Coeur de Thomas. Des autrices différentes, mais qui partent du même matériau de départ : les Amitiés particulières, la culture européenne classique et chrétienne, et l'expressionnisme allemand. C'est aussi le premier manga shounen-ai à être si long : 17 tomes, ce n'est pas rien !

  • 1982 - 1 volume

    Surtout remarquable par sa suite, Sleeping Beauty Boy fait figure d'exception dans le paysage du shounen-ai de l'époque. Son réalisme revendiqué, très froid et dur (nous sommes en pleine crise du sida) contraste avec l'expressionnisme flamboyant développé dans les années 1970. Cependant, si l'essai est passionnant historiquement, il montre très vite ses limites.

  • 1985 - 5 volumes

    Moto Hagio mêle pour la première fois ses deux spécialités : la science-fiction et les amours masculines. Très fortement inspiré de la culture grecque antique, et du système de pederastia, ce manga est un véritable manifeste féministe, qui réfléchit avec profondeur sur ce que signifie la maternité, et la place de la femme que cela implique au sein de la société.

  • 1986 - 19 volumes

    Banana Fish est un thriller d'action, dans lequel les amours masculines ne constituent que la toile de fond. Dans la lignée du drame réaliste, et donc loin de l'expressionnisme, Banana Fish réussit à convaincre par son art de l'intrigue et son dessin sans apprêts. Et même si l'homosexualité est discrète, le manga parvient à peindre avec justesse ses personnages.

  • 1989 - 5 volumes

    Le shounen-ai prend une tournure encore plus mélodramatique, et qui devient de plus en plus ouvertement un produit de consommation érotique pour les jeunes filles. Surtout, le manga est important car il impose dans le genre la présence de l'industrie musicale, et cette influence court encore sur la génération actuelle de shounen-ai. Bref, mélodrame jusqu'à la nausée.

  • 1992 - 19 volumes

    Comme Tokyo Babylon, X est profondément nourri de l'esthétique du shounen-ai ; à la fois graphiquement, et en matière de narration. CLAMP sont véritablement les héritiers du cercle de l'an 24, et de son expressionnisme. On retrouve tout, surtout le sous-texte christique, mélangé à toutes les influences du shoujo depuis les années 1970. Bordélique, mais hypnotique.

  • 1993 - 17 volumes

    Chef d'oeuvre incontestable du genre, A Cruel God Reigns est l'aboutissement dramatique de l'oeuvre de Moto Hagio. Le drame, sinon la tragédie, atteignent des sommets jamais égalés. Ici, l'histoire est sans concession pour le lecteur, et encore moins pour la lectrice. Le sexe n'est pas érotique, c'est une souffrance. Édifiant, puissant, et profondément bouleversant.

  • 2002 - 2 volumes

    De l'étrange, beaucoup d'étrange, et du conceptuel horrifique. Le shounen-ai rencontre l'eroguro, cette forme érotique typiquement japonaise, quoiqu'elle reste d'inspiration européenne, qui mélange sexe et gore. Une forme de shounen-ai philosophique, qui n'a pas peur de couper les cheveux en quatre, mais toujours avec élégance et brutalité.

  • 2007 - 1 volume

    De l'étrange, nous virons à l'horrible. La froideur théâtrale se mêle à l'épouvante et la saleté, avec du jargon philosophique jeté par brouettées entières à chaque coin de page. Un manga profondément étouffant, trop plein de tout, mais furieusement génial, si génial qu'on a du mal à distinguer la parodie du sérieux. On sent juste que c'est sale, sale et brillant.

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