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8 ½ femmes

Publié le 08/12/2008 par watanuki dans Dossiers - 8 commentaires

Kurenai de Kou Matsuo

Concernant les références et les symboles dans la série, nous vous renvoyons à l‘article de Starrynight. Cet article dévoile certains aspects essentiels de l’histoire.

 

   Ce n’est pas parce que Kurenai est une série mettant en scène la vie quotidienne d’une enfant et de son protecteur que l’on peut dire qu’elle est réaliste. Elle se base au contraire sur un postulat qui n’a rien à envier à La Dispute de Marivaux : supposons qu’une enfant ait été élevée jusqu’à sa septième année dans un univers totalement clos, sans avoir jamais eu aucun contact avec le monde extérieur. Supposons qu’elle soit alors brutalement « libérée » et découvre ce monde : que se passera-t-il alors ?

     L’une des forces de Kurenai est de partir de ces idées invraisemblables pour bâtir un univers où l’impossible et le banal cohabitent : Murasaki provient d’une famille respectant une loi très ancienne selon laquelle toute fille née sous le nom Kuhoin devra être enfermée à vie et sera promise à son propre frère. Inceste et enfermement sont là pour montrer à quel point cette famille n’évolue pas dans le monde moderne. Le héros lui-même, Kurenai, détient une puissance qu’il a acquise en acceptant de faire modifier son corps par une ancienne famille d’assassin ayant choisi de ne plus consacrer leur art à tuer des gens. Si la série ne fait pas un usage très intéressant de cette arme curieuse, et qu’elle devient parfois un peu encombrante ou inutile, elle permet d’établir une symétrie entre la situation des héros, qui ont chacun un pied dans le monde moderne et un pied dans le monde d’autrefois : une demeure ancienne, un temple interdit, un dojo où se pratique un art martial unique, passé et modernité se confondent au sein d’un univers très soigneusement représenté, la précision du trait étant primordiale. L’animation n’est effectivement pas le point fort de Kurenai, série qui se focalise avant tout sur les paysages urbains, cherchant plus à créer une ambiance qu’à susciter l’impression du mouvement. La réussite est complète de ce point de vue, l’univers qui en résulte est d’une grande cohérence visuelle, sans compter que les couleurs sont choisies avec audace et bon goût : elles sont la plupart du temps très vives, que ce soit le marron des yeux de Kurenai, les lueurs rouges et violettes provenant de la demeure des Kuhoin ou des Love Hotels près desquels le héros vit. Entre couleurs de l’enfance et tons vénéneux évoquant diverses activités nocturnes interlopes, l’univers visuel de Kurenai est tout à fait comparable à celui de Red Garden, précédente série de Matsuo, à qui l’on doit probablement cette ressemblance.

Cependant, cet habillage n’est pas là que pour sa beauté, il s’agit d’un canevas, voué à mettre en valeur ce qui fait le plus grand intérêt de la série : les femmes. Kou Matsuo poursuit son étude, qu’il avait entamé sur Red Garden, une autre histoire de femmes, adolescentes quant à elles. L’univers de Kurenai est lui aussi féminin avant tout ; elles peuvent aussi bien être étudiante, gothique marginale, garde du corps, domestique, lycéenne ou informateur. L’homme n’a pas de place, tout du moins il n’a pas de rôle à jouer, Kurenai est sans cesse en lutte pour préserver son espace de liberté. Il s’agit du retournement le plus passionnant de cette série : Murasaki, élevée dans un monde tenu par les hommes, où la femme n’a pas le droit d’exister, où elle est enfermée dès son plus jeune âge, bascule du jour au lendemain dans un monde où les femmes vivent librement et où le seul « homme » présent, Kurenai, est sans cesse exploité ou gentiment moqué par ses voisines. A la société phallocrate des Kuhoin, basée sur le patriarcat, l’inceste et l’enfermement des femmes, se substitue du jour au lendemain une société matriarcale, où la femme peut vivre seule et librement. Le fait que les personnages féminins de la série soient tous célibataires renforcent cet antagonisme entre deux façons de vivre en société.

    Bien sûr, il renforce aussi l’importance du duo principal : Kurenai et Murasaki. Le premier n’est pas vraiment encore un homme, c’est un adolescent allant au lycée le jour, et pratiquant des activités d’adulte la nuit en réglant des conflits, par la force si besoin est. Entouré de femmes, il ne cherche pas à séduire, et ne semble pas bien percevoir l’intérêt que lui portent deux de ses camarades de classe. Ses voisines s’amusent gentiment de lui en cherchant à la dévoyer, tandis que Benika lui sert de mère spirituelle et de maître à penser ; enfin, concernant la protection de Murasaki, il est en concurrence avec Yayoi, une autre disciple de Benika. Il est même plutôt handicapé par rapport à elle, celle-ci ayant plus d’expérience que lui ; de même, il ne parvient pas à se battre contre Lin, la garde du corps quelque peu psychotique des Kuhoin, et il ne remporte jamais aucun des duels oraux qu’il doit sans cesse mener avec ses envahissantes voisines. Quant à l’arme qu’on lui a greffé, elle l’affaiblit plus qu’elle ne le rend puissant, celle-ci sortant de façon incontrôlable, élément que l’analyse freudienne ne manquerait pas de remarquer. Murasaki, quant à elle, n’est pas vraiment encore une femme, c’est une enfant de sept ans qui n’a jamais vu le monde extérieur, qui maîtrise à la perfection l’étiquette de son clan et qui possède au plus haut degré le sens de la hiérarchie sociale, le monde se divisant pour elle en deux parties : les maîtres et les serviteurs. Contrairement à Kurenai, elle est entouré d’hommes, qui lui ont dicté leur loi dès son plus jeune âge : de très haute noblesse mais néanmoins asservi au sexe masculin, Murasaki va se heurter brutalement à un nouveau mode de vie, qui va profondément bousculer ses idées. Prenant pour argent comptant toutes les blagues des voisines de Kurenai, apprenant des dialogues entiers d’émissions télévisées, elle va apprendre tout et n’importe quoi, de façon boulimique et désordonnée, l’expérience lui montrant régulièrement que ses idées ne font pas nécessairement l’unanimité dans la réalité. Il s’agit du cœur de la série, c’est sur ces diverses expériences qu’elle s’attarde le plus ; à vrai dire, elle ne s’y attarde pas assez, il aurait probablement fallu 26 épisodes pour que Kurenai ait le temps de développer au mieux les portraits qu’il nous propose et l’apprentissage de la jeune héroïne.

    Toujours est-il que Murasaki et Kurenai se trouvent entre deux mondes : tous deux doivent cohabiter, le premier en tenant lieu de père, de grand-frère et de garde du corps, la seconde en tenant lieu de petite sœur et d’amante. En refusant absolument le fan service, la série parvient à un degré d’humour beaucoup plus subtil que la moyenne : elle se base uniquement sur les quiproquos et sur les enchaînements dans les dialogues, virtuosité renforcée par un montage qui n’hésite jamais à montrer deux situations en parallèles, le résultat étant pour tous le même à chaque fois. Refuser l’écueil du fan service rend plus savoureux encore le portrait de cette jeune fille qui voudrait être femme et qui considère son gardien comme son fiancé, tandis que ce dernier passe son temps à se lamenter de ce que lui apprennent ses amies pendant son absence. Par ce scénario peut-être trop peu développé mais néanmoins très riche, les producteurs parviennent à inverser la donne : ces deux héros viennent d’un monde extraordinaire (société d’assassin/sanctuaire où l’on enferme les femmes), mais en fin de compte ces univers ne sont que banalité pour eux. C’est leur rencontre et leur vie dans un appartement tout ce qu’il y a de plus banal qui devient tout à fait extraordinaire, et voici qu’au bout du chemin, l’art d’ouvrir une boîte de conserve ou d’aérer les futons devient le scénario le plus excitant qui soit. En ce sens, voir Murasaki tenter de faire le ménage est une aventure bien plus passionnante que celle de Kurenai en train de résoudre un conflit lors de l’une de ses multiples missions.

     Tout est centré autour de ce couple sur qui repose la lourde mission d’éclairer le mystère féminin : les visages défilent, et avec eux ce sont à chaque fois des types, voire des stéréotypes qui s’offrent à l’analyse ; mais en fin de compte, c’est à Murasaki de faire son choix. A la toute fin, elle choisit non seulement d’affirmer sa personnalité, mais elle choisit aussi, du haut de ses sept ans, de vivre en tant que femme, et en tant que femme libre. C’est une page entière qui se tourne, le passage d’un monde patriarcal à un monde moderne. C’est l’aspect le plus plaisant de Kurenai, mais peut-être aussi malheureusement le plus idéaliste, de nous montrer une petite fille capable à elle seule de renverser l’ordre établi pour rendre à la femme son statut d’être humain, et pour la mettre à égalité face aux hommes.

    Le générique laissait attendre une comédie légère basée sur la rencontre de caractères extravagants, une sorte de buddy movie du quotidien, mais il n’en est rien ; Kurenai porte en lui la même ingéniosité que Baccano !, la précédente série du studio Brain’s Base, mais aussi la même folie, et la même capacité à insuffler un nouvelle élan à l’animation japonaise.

8 commentaires

Bon, à force, je suis spoilé à mort sur cette série. Mais je vais peut être lui donner sa chance finalement vu que tu lui trouves des similitudes avec Baccano!. J'ai eu le tort de ne me fier qu'au synopsis et à l'opening que je trouve franchement peu engageant.
2 Afloplouf le 08/12/2008
Très bonne analyse même si pour ma part je n'ai pas du tout aimé la série. Tu mets d'ailleurs en évidence les points que je reproche à la série :
- l'inutilité de la touche fantastique de la "technique" (pour ne pas spoiler) de Shinkuro,
- la jeunesse de Murasaki : je ne peux m'empêcher de penser que j'aurai percuté s'il avait eu ne serait-ce que quelques années de plus.

Après la qualité des épisodes tranche de vie, le travail sur les couleurs, les femmes enfin au centre de l'action et les hommes potiches pour une fois... je ne peux qu'adhérer.

Il va vraiment falloir que je regarde Baccano pour voir si je suis allergique à la Brain Base mania...
tu t'es retenu là, je croyais que tu allais me descendre :)
Quant à spoiler sur Kurenai... Bah, le scénario étant assez lâche, et simple finalement, tu n'as pas dû trop en souffrir Diyo.
4 Afloplouf le 08/12/2008
Kurenai n'a que peu de défauts et a beaucoup de qualités. Le seul problème c'est que ces quelques défauts sont majeurs pour moi.

Du reste, c'était ton article que je critiquais wata, pas la série : il ne faut pas se tromper de cible.
@Citation de Afloplouf
Du reste, c'était ton article que je critiquais wata, pas la série : il ne faut pas se tromper de cible.

Tu t'es trompé de cible!
Très bel article, qui explique bien certains thèmes de ce chef d'œuvre qu'est Kure-nai. Si on ajoute à ça l'article de Starrynight, on a presque toutes les clefs pour comprendre la profondeur de cette série extrêmement élitiste et bien plus complexe et symbolique qu'on peut le croire au premier abord (bah oui c'est vrai, à part 2 ou 3 incorrigibles amateurs de classiques exotiques comme moi, qui lit le Genji à notre époque en France?). En plus, ça me fait plaisir qu'on parle de cet anime injustement méconnu, et qui figure facilement dans mon top 3 de l'année avec Kaiba et Nodame Paris-Hen ;)
Hmmm ça fait plaisir ce genre de commentaire. Tu devrais apprécier les choses à venir alors Jacut, parce qu'on n'a pas l'intention de ne traiter que du Naruto...

Heu... Afloplouf... Que... signifie... cette... phrase (tm)
8 Afloplouf le 09/12/2008
Oui, mais bon, je ne pouvais pas non plus écrire un commentaire sur un article qui traite de Kurenai sans descendre un peu la série. =]

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