To Your Eternity – March Comes In like a Wolf

Si j’ai aimé A Silent Voice, je n’en suis pas non plus complètement tombé amoureux. Au-delà de la qualité technique formelle impeccable, c’est un film bizarre. Avec le recul, il faut quand même porter à son crédit de raconter une histoire humaine, aussi malaisante que maladroite, à l’image de la vie. J’étais donc en partie circonspect et en même temps curieux de voir porté à l’écran l’autre manga de Yoshitoki ÔIMA, To Your Eternity. Sans compter que Brains Base est une sorte d’amour de jeunesse ; on se rappelle encore des belles années du studio mais depuis son cerveau et son cœur se sont ramollis avec des projets bien en deçà des promesses qu’il portait. La bande annonce avait néanmoins ce je-ne-sais-quoi à la frontière du mystère et du fantastique qui nous invitait au voyage. Les premiers épisodes m’ont même emmené au-delà.

Les prémices de cette histoire sont étranges. Dieu (?) a envoyé sur cette terre la Sphère. Une entité immortelle qui peut prendre la forme de ce qui l’entoure pour mieux observer le monde et en premier lieu ses habitants humains. Le pilote de la série, « Le dernier » m’a fait croire à un format (trop) ramassé avec des loners. Une collection d’épisodes indépendants qui demandent une certaine maîtrise dans la narration et de délicatesse dans les thèmes abordés pour ne pas passer pour une pâle copie de l’Odyssée de Kino. Cette amitié silencieuse entre cet enfant qui cherche son peuple dans un désert glacé et la Sphère qui a pris la forme d’un loup ne manque pas d’une certaine mélancolie outre le dépaysement mais flirtait dangereusement avec le mélo.

Intelligemment, la série adopte par la suite un format en mini-arc de quelques épisodes. Si je ne suis pas certain que le scénario gagne foncièrement en subtilité dans ses ressorts tragiques pour faire pleurer dans les chaumières, cette fois-ci j’ai marché à fond les ballons. Là où l’unique humain du prologue n’a même pas de nom en bon personnage fonction, l’arc suivant propose cette fois un cast certes restreint mais nommé et parfaitement caractérisé. L’histoire exploite mieux le potentiel fantastique de son protagoniste mais surtout ose raconter quelque chose en filigrane : la colonisation, la religion, la culpabilité, etc. Si les personnages ont quelque chose d’un peu manichéen, les idées ne sont pas traitées sans nuance. A défaut de vous faire changer votre vision des choses, l’histoire arrive à impliquer ses spectateurs avec une science du rythme et des rebondissements maîtrisés.

Toutes ces qualités sont à porter au crédit de Yoshitoki ÔIMA et de l’expérimenté scénariste Shinzō FUJITA pour adapter le manga à l’écran mais quid alors de la série elle-même me demanderez-vous. C’est non sans plaisir que je peux vous dire qu’avec une histoire qui vaut enfin le coup d’être racontée Brains Base peut enfin redevenir un studio qui vaut le coup d’être suivi. Vous êtes sûrement familier du vilain anglicisme « faire le job ». Outre l’expression elle-même qui est assez moche, ce qu’elle sous-entend est pire. Sous couvert de compliment, il y a un net sous-entendu méprisant. Soyons honnêtes, j’ai moi-même fait de la sorte plus souvent qu’à mon tour. To Your Eternity en est à l’inverse la démonstration la plus positive.

Le réalisateur Masahiko MURATA est un habitué des adaptations de shônen sur le petit (Baby Steps) ou grand (Naruto Shippuden) écran et il fait parler son expérience. Je ne sais pas si tous les spectateurs se rendent bien compte de sa grande compétence sur les storyboards. Je vais me permettre de le mettre en avant en comparant avec Les Rôdeurs de la Nuit qui a récemment eu droit à son film. Ufotable avait fait le choix de se concentrer sur des scènes iconiques qui ont fait le tour du Net. Un choix commercialement pertinent mais qui se traduit aussi par un travail parfois inégal. To Your Eternity adopte une ligne d’horizon plus modeste que cette étroite ligne de crête mais le résultat est incroyablement propre. La photographie de Yorinobu ODA est pour moi une vraie découverte et mérite qu’on s’y intéresse de près à l’avenir. Je ne sais pas si on lui doit ce travail d’échelle trop rarement vu mais c’est aussi à souligner. Il y a un peu plus d’ambition dans l’animation avec une mention spéciale pour l’épisode 5 et une certaine scène par l’animateur clé Yasuhiro KAJINO. Difficile de citer tout le monde mais n’oublions pas les comédiens de doublage. Si Aya UCHIDA a la chance d’hériter du personnage à ce jour le plus riche, son interprétation du « Papa » Palona démontre une grande maturité. Je ne sais pas si cette série castre ses artistes mais on a affaire à de vrais artisans qui ont à cœur de rendre le meilleur ouvrage.

Il serait déplacé de parler de perle méconnue pour To Your Eternity. La série bénéficie d’un vrai bouche à oreille et la perle manque un peu d’éclat pour être aussi précieuse. Les billes de verre de notre enfance n’en avaient pourtant pas moins de valeur à nos yeux.

La série est disponible en simulcast sur Crunchyroll.