Les animes Gundam se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a dix ans fut diffusée la première saison d’Iron-Blooded Orphans, qui revigora momentanément la franchise en particulier au niveau des ventes de maquettes et aurait pu inciter Bandai/Sunrise à enfin investir dans des animes de mechas ambitieux et populaires. Au lieu de cela, le studio consacra toute une décennie à produire des OAV (The Origin) et des films (Senko no Hathaway, Cucuruz Doan no Shima) certes de bonne qualité mais réservés à un public de niche souvent âgé, aigri et malodorant — il suffit de voir le profil de ceux qui rédigent des critiques de ces animes pour s’en convaincre. Voyant venir l’impasse de transformer Gundam en une franchise recroquevillée sur une fanbase de nerds vieillissants, Sunrise lança deux séries en parallèle; la première fut The Witch from Mercury, toute nouvelle série censée revitaliser la licence mais qui n’eut «mystérieusement» droit qu’à une seule saison de 24 épisodes là où le standard pour les séries Gundam depuis Zeta c’est 52 épisodes. Moins de deux ans plus tard, comme pour se rincer la bouche et oublier le mauvais goût, une autre série originale est diffusée et c’est de cela dont on va parler.
Ce qui interpelle immédiatement avec Gundam GquuuuuuX, outre le titre qui donne l’impression que le mec en charge du script a laissé le chat s’endormir sur le clavier et que personne à la réunion de production n’a remarqué, c’est le staff. L’anime est une collaboration entre Sunrise et le studio Khara (!) avec à la réalisation Kazuya Tsurumaki (!!!). Pour ceux qui ne connaissent pas le monsieur, ou qui ne sont pas allé le saluer à Japan Expo où il était invité le mois dernier, Tsurumaki est un animateur vétéran du studio Gainax où il a travaillé sur de nombreuses séries toutes plus cultes les unes que les autres (dont une certaine série télé méconnue qui a célébré ses trente ans cette année) et a réalisé deux des OAV les plus célèbres du format, FLCL (2004) et Diebuster (2006). Lorsque Gainax fut démantelé, Tsurumaki resta fidèle à Hideaki Anno et travailla avec lui sur les films Rebuild of Evangelion pendant encore quinze ans au studio Khara. Autant dire qu’on a affaire à un profil de haut niveau et qu’une rencontre entre la franchise Gundam, chargée d’histoire, et un réalisateur qui porte lui aussi une partie importante de l’histoire de la japanime a de quoi attirer l’œil de tout fan.
Amate «Machu» Yuzuriha vit avec sa mère sur Side 6, une colonie spatiale qui a été épargnée par la Guerre entre Zeon et la Fédération. Un jour elle rencontre Nyaan, une réfugiée qui trempe dans des affaires de contrebande louches. Les deux jeunes filles vont se retrouver impliquées dans le Clan Battle, une organisation de combats clandestins de Mobile Suit dans laquelle elle vont risquer leur vie. Machu part cependant avec un avantage puisqu’elle va piloter une mystérieuse machine dérobée à Zeon, le GquuuuuuX...
L'action de GquuuuuuuX se place dans une version alternative de l’Universal Century, c’est-à-dire la timeline de la série originale de 1979 avec laquelle les fans de Gundam sont généralement familiers. En effet, dans l’univers de GquuuuuuX c’est Zeon qui a gagné la guerre, alors que dans la série originale c’est la Fédération qui l’emporte (oui je spoile un anime sorti il y a genre 45 ans, vous m'excuserez). Ce choix présente un grand intérêt en particulier pour une série pensée pour 12 épisodes; puisque les fans connaissent déjà le lore de Gundam il n’y a pas besoin de passer du temps à faire de l’exposition, et on peut aller directement à l’essentiel. En contrepartie, les nouveaux arrivants se retrouvent exclus de la fête, et autant dire que malgré son look moderne et alléchant GquuuuuuX n’est clairement pas conçu pour les non-initiés.
Puisque l’on parle de look, c’est aussi un des points intéressants de GquuuuuuX, qui mélange des designs iconiques de la franchise Gundam dont certains datent des années 70-80 (les colonies, les uniformes de Zeon, les Zakus…) et d’autres beaucoup plus modernes; par exemple le mecha-design du GquuuuuuX signé Ikuto Yamashita est plus proche d’Evangelion que du Gundam de 79 (les couleurs de certaines machines devraient aussi vous rappeler quelque chose). Pareillement avec le chara-design des personnages principaux assez simpliste voire cartoonesque avec des reflets fluo dans les cheveux, on est loin du style de Yasuhiko Yoshizaku. Personnellement j’aime beaucoup ce style moderne qui rappelle les travaux précédents de Tsurumaki en particulier Diebuster, mais confronté à l’esthétique vintage de Gundam ça donne quelque chose qui rend parfois assez artificiel, c’est comme quand tu joues à des jeux de combats récents, entre Chun-Li et Manon tu vois tout de suite quel perso date de l'époque des salles d'arcade et lequel a été créé dans les années 2020.
Cela ne doit toutefois pas enlever à la qualité globale de l’anime, qui est d’un très bon niveau. L’animation des mechas n’est pas aussi réussie que celle de The Witch From Mercury qui employait moins de 3D mais les combats sont vraiment cools avec des gimmick sympas, je pense notamment à l’épisode 7 avec le Kikeroga et Psycho Gundam. La mise en scène de ces combats est originale et assez différente de ce que l’on a pu voir dans la franchise, genre les lignes de vitesse façon manga je me souviens pas avoir vu ça dans un anime du genre. Et à côté on a des plans hyper esthétisés qui rappellent immanquablement les animes des années 70-80, quand ce ne sont pas des références directes comme dans l’épisode 2 qui reprend carrément la bande-son d’époque. Autre point important ce sont les décors de science-fiction, avec une direction artistique parmi les meilleures que j’ai vu dans un anime Gundam depuis les premiers OAV de The Origin. En termes de production ça se voit qu’il y a eu de l’effort et une ambition artistique à tous niveaux, les épisodes sont denses avec beaucoup de plans, ils ont pas ramené quelqu’un du calibre de Tsurumaki juste pour faire genre il y a du vrai boulot ici et rien que pour ça l’anime vaut le coup si on aime la japanime de science-fiction bien foutue.
Après ce détour par la forme entrons plus dans le détail du récit. La première moitié de la série est consacrée aux Clan Battle qui vont voir Machu, la gamine un peu paumée, se retrouver à risquer sa peau en pilotant des mecha clandestins. Ce qui est amusant c’est que le récit de The Witch from Mercury se basait aussi sur des duels organisés de Mobile Suit dans une école façon Yu-Gi-Oh GX du robot géant, mais dans GquuuuuuX c’est bien mieux fait. Dans WfM les duels de mechas sont purement formels, ils n’ont pratiquement aucune incidence sur le scénario qui déroule à côté. Tandis que dans GquuuuuuuX les combats de mechas ont des enjeux concrets, que ce soit l’argent, la gloire ou la vengeance. Le simple fait que les combats soient potentiellement mortels rend tout de suite la chose plus intéressante et cohérente dans le contexte d’un univers de SF où la guerre a laissé traîner tout un tas de mechas et autant de gens prêts à s’en servir pour leurs intérêts.
Les choses se compliquent lorsque la série quitte progressivement cette base bien real robot pour aller vers ce que l’on appelle communément la Gundamerie. A travers les combats de Clan Battle, Machu et Nyaan vont se retrouver impliquées dans des complots internes à Zeon qui finiront par déboucher sur un grand retour de divers personnages bien connus des fans dont un qui va finir par prendre beaucoup de place dans l’intrigue. On a pu reprocher à la série son rythme rapide, une série télé Gundam de seulement 12 épisodes c’est du jamais vu dans l’histoire de la franchise. Pour ma part j’ai trouvé le rythme adéquat, il faut rappeler que Tsurumaki est habitué à travailler sur du format court (film ou OAV) et il sait s’y prendre pour raconter ce qu’il faut sans s’étaler.
Le problème vient plutôt de ce que ça raconte; je vais pas trop spoiler mais les histoires de multivers ce n’est pas nécessairement ce que je voulais voir là-dedans, surtout quand ça devient une excuse pour du fan-service grossier. J’ai bien aimé le personnage de Machu, c’est l’archétype de l’ado rebelle qu’on avait l’habitude de voir à une certaine époque et qui a complètement disparu au profit des héroïnes bien lisses et bien nunuches (genre Suletta Mercury). J’ai aussi bien aimé le personnage de Chalia Bull qui est un antagoniste plutôt charismatique avec un très beau flashback dans l’épisode 10. Malheureusement ces personnages originaux vont être absorbés, effacés par le poids du fan-service qui va voir les héros de 0079 revenir pour un énième tour de piste qui aboutira sur un dénouement dont l’absurdité fait passer Gundam du genre real robot à celui de mauvaise parodie de magical-girl dans l’espace et j’exagère à peine plus que la série elle-même.
Vous me direz, les animes Gundam avec des fins pourries c’est plutôt la norme dans la franchise, et en vérité GquuuuuuX n’est pas le pire dans le genre. Cette série a clairement été conçue pour les gros fans de la licence qui voulaient voir leur univers et leurs personnages favoris sous un regard différent. Pour ma part j’ai trouvé la première moitié de la série excellente dans le genre et ça rappelle qu’on peut encore produire de l’anime de mecha de qualité dès lors qu’on y met les moyens et le talent; le problème c’est que tous les moyens et tout le talent sont monopolisés par la licence Gundam qui n’a visiblement plus grand-chose à raconter à moins de tourner en rond autour des mêmes persos et des mêmes enjeux depuis 40 ans. Mais si c’est le prix à payer pour que quelqu’un comme Tsurumaki et son équipe ne finissent pas dans un placard, alors on y retournera.
