Bakuman : Profession mangaka

Le duo Takeshi Obata / Tsugumi Oba avait dynamité la scène manga internationale avec Death Note, une œuvre devenue depuis une référence en soi. Très attendue, leur nouvelle série Bakuman vient de s’achever au Japon au bout de vingt volumes. Et encore une fois, il s’agit là d’un manga dont on parlera encore certainement dans les années à venir.

Bakuman raconte le parcours de deux jeunes garçons qui vont se battre pour devenir les mangakas numéro 1 au monde et réaliser leurs rêves. Pour cela, ils chercheront à se faire publier par la maison Shueisha, éditeur du plus célèbre label de bandes dessinées japonaises, le Shônen Jump.

Mais parvenir au plus haut niveau ne se fera pas tout seul et nos protagonistes devront affronter la dure réalité du monde du manga. Un monde où règne une compétition sans merci, où les artistes surexploités doivent composer avec les tactiques des éditeurs dont le seul but est de gagner toujours plus de popularité.

Si les mangas traitant de mangakas en herbe existent depuis un moment (je pense à Un Zoo en Hiver de Jirô Taniguchi par exemple), Bakuman choisit une approche particulière puisqu’il se construit comme un shônen sportif – genre que Obata avait déjà expérimenté avec le célèbre Hikaru no Go. Ainsi tout est fait pour familiariser le lecteur avec cet univers particulier et souvent mal connu des occidentaux. Le manga va loin dans le détail et aborde toutes les thématiques possibles : les débuts dans le métier, la surcharge de travail, les réunions éditoriales, les votes de popularité, les adaptations en anime, etc. Bakuman dresse un portrait certes un peu romancé mais tout de même très juste de ce qui n’est, finalement, qu’une gigantesque industrie du divertissement.

En choisissant de situer l’histoire dans le Shônen Jump, Bakuman a accès à tout le catalogue de la maison et s’en sert pour s'appuyer sur des références solides. Ainsi le duo Mashiro /Takagi, qui excelle dans l’écriture de récits matures et relativement courts, ne peut que rappeler le duo Obata/ Oba avec Death Note (la comparaison est presque explicite dans les derniers tomes). De même le rival de nos héros, Niizuma Eiji, est dépeint comme un génie du manga capable d’inventer des univers géants et très grand public. Toute ressemblance avec l’auteur de One Piece ne serait pas du tout fortuite. Les autres auteurs qui travailleront aux côtés de nos héros représentent chacun une facette du travail de mangaka ; de même pour le corps éditorial dont on mesure l’importance et l’influence qu’ils exercent sur la direction que prend le marché.

Le « système Jump », qui paraît si incongru pour nous européens, et ici décortiqué et analysé. Les mangas prépubliés dans l’hebdomadaire Weekly Jump sont soumis au vote du public qui élit ceux qu’il juge meilleurs. Les plus populaires sont alors mis en avant et peuvent même être adaptés en anime ou vers d’autres types de médias, ce qui accroît leur popularité, et ainsi de suite. Un système qui bride la créativité des auteurs et favorise le marketing, mais contre lequel nos héros n’hésiteront pas à se dresser lorsqu’ils le jugeront trop injuste vis-à-vis de leur travail. Encore une fois, Bakuman ne fait pas dans l’auto-promotion et n’est pas complaisant envers les dérives du système, auxquelles les personnages seront confrontés (cf. l’arc Nanamine). Seulement, on en revient toujours au fait que si les mangas du Jump ont autant de succès, c’est parce qu’ils sont le fruit de l’association entre le talent brut des mangakas et la clairvoyance commerciale des éditeurs. Deal with it.

Bakuman se pointe toutefois avec de sévères défauts. Le premier est la qualité du dessin.

Takeshi Obata est un excellent dessinateur qui a prouvé avec Hikaru no Go et Death Note qu’il avait du style, du talent et l’imagination. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé avec Bakuman, mais passé les premiers tomes, la précision du trait et le niveau de détails des illustrations chutent inexorablement. On retrouve quelques fulgurances ponctuelles s’agissant des couvertures de chapitres ou des doubles pages couleurs, mais pour le reste je dois admettre que le dessin de Bakuman ne joue pas en sa faveur, compte tenu des standards auxquels Obata nous a habitués.

La deuxième grosse faiblesse de Bakuman réside en ses personnages.

Les héros du duo principal sont sympathiques et leur obstination à devenir les plus forts les rendent presque attachants. Mais sortis de là, leurs personnalités et leur développement sont à mes goûts trop lisses et trop fleur bleue. Je n’ai pas eu l’impression de suivre des jeunes adultes mais des machines à écrire du manga. Les autres personnages sont très typés et inégaux ; le groupe des éditeurs par exemple est excellent, mais les personnages féminins en général ne servent presque à rien - sauf peut-être dans la toute dernière partie du manga qui aborde le thème de la popularité des idoles, et qui donne une bonne illustration de la stupidité de l’otakusphère japonaise.

En dépit de ces imperfections, Bakuman est d'ores et déjà une référence pour tous ceux qui souhaitent s’informer de manière ludique sur le fonctionnement de l’industrie du manga. Une plongée dans les coulisses du Jump par des auteurs dont on peut être sûrs qu’ils savent de quoi ils parlent. Plus qu’un manga traitant de mangas, Bakuman est un manga qui donne envie de lire et relire des mangas, en y apportant un regard nouveau et plus profond. Drôle, rythmé et exhaustif, Bakuman n’est pas un chef-d’œuvre mais est clairement un indispensable pour tout amateur de BD japonaise.

Les plus

- Une mise en abîme brillante

- Un thème exploré de fond en comble

- Une histoire qui ne traîne pas

- Pas mal de références et d'humour

Les moins

- Personnages peu attachants

- Dessin de qualité insuffisante