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L’Histoire du Japon, les femmes fleurs (1/3)

Publié le 10/03/2009 par SucreDeLune dans Culture - 5 commentaires

Chaque histoire de samourai (侍) comporte une maison de plaisir où les guerriers viennent se délasser. Ainsi, ces histoires peuvent mettre en scène des femmes sublimes, à la beauté lancinante, lascive, parée d’atours fabuleux et de coiffures dont l’élégance mettent en valeur l’érotisme de la nuque… Mais ces femmes ne sont pas que fictives ; néanmoins, elles sont peu connues. Entrez dans l’alcôve…

Oiran by Stralight-Usagi

OI OI OIRAN par ~Starlight-Usagi sur DeviantArt

La légende des Femmes Fleurs

Depuis cette dernière décennie, la culture traditionnelle japonaise s’ouvrant de plus en plus aux néophytes, l’idée généralement répandue qu’une geisha (芸者) était une prostituée a régressé, notamment grâce aux films et littérature sur le sujet. Cette idée était dûe aux ressemblances entre les tenues et coiffures magnifiques que ces femmes portaient.

Néanmoins, souvenez-vous de la tragique Yumi Komagata, compagne du terrifiant Shishio dans le manga Kenshin le Vagabond. Selon son histoire, c’est une ancienne tayu (太夫) qui a accédé aux plus hautes distinctions dans son quartier. En une planche sur l’histoire d’un personnage, Nobuhiro Watsuki (l’auteur) soulève un pan de la culture nippone occulté jusque-là par les geishas : les prostituées en tant que profession à part entière, et avec des codifications aussi rigoureuses que celle de geisha.

La prostitution au Japon, comme dans toutes les civilisations, a ses racines institutionnelles. Ainsi, la philosophie bouddhique propose l’histoire d’Ubaï, qui vivait à l’époque du premier Bouddha en Inde (entre 560 et 480 avant JC). La beauté de cette femme était telle que tous les hommes la désiraient ; elle décida donc de s’offrir à tous en échange de cadeaux, qu’elle offrait à Bouddha. Celui-ci lui enseigna le bouddhisme, et elle finit par devenir moniale (en atteignant le titre de bhiksumi, la plus sainte de toutes les religieuses). Texte de Geishas et prostituées, Hideko Fukumoto.

Des fleurs dans la peinture…

Les prostituées japonaises furent une très grande source d’inspiration pour la peinture ; ainsi, l’ère Edo (1603-1868) voit se développer les nouveaux riches, ou bourgeois japonais ; avec ce milieu social arrive une nouvelle technique de peinture, l’ukiyo-e (浮世絵 « image du monde flottant »), composée pour la plus grande partie d’estampes gravées sur bois. Les génies de l’ukiyo-e sont les peintres Monorubu (1618-1694) et Harunobu (1725-1770), qui simplifient considérablement la peinture grâce à cette technique, la rendant bien moins chère, donc accessible à un plus large public.

Utamaro - Trois beautés inconnuesLes prostituées sont ainsi représentées à travers moults bijin-ga (美人画 peintures de belles personnes) ; la plupart des modèles comptent parmi les plus grandes oiran (花魁 courtisanes), et sont célébrées pour leur beauté. C’est le genre qui a sans doute marqué le plus l’ukiyo-e, la plupart des peintres en ayant peint.

Il existe un autre courant d’ukiyo-e, incarné par les shunga (春画 image de printemps ; terme dérivé du chinois chungongchua, en japonais shunkyûga, qui signifie image du palais du printemps en allusion à la vie débauchée du prince héritier) qui sont complètement érotiques, à la différence des bijin-ga. Ils atteignent le sommet de leur popularité pendant l’ère Edo, mais gardent une existence clandestine ; en effet, la censure prohibe ce genre de peinture (celles contenant tout simplement une prostituée, vêtue ou non, sont interdites en 1842 par la réforme Tenpo ; néanmoins, quelques années plus tard, la courtisane redevient un thème légal, même si les images à caractère sexuel restent prohibées). Néanmoins, il ne faut pas se leurrer, elles bénéficient quand même d’un caractère officieux, puisque sur ses deux siècles et demi d’existence, le gouvernement Edo ne les fait saisir qu’une seule fois (1841). Les plus grands peintres se sont essayés aux shunga : Harunobu (cité plus haut comme un des précuseurs en matière d’ukiyo-e), Eishi, le très célèbre Hokusai, jusqu’à Hiroshige. Le shunga disparaît finalement progressivement à la fin de l’ère Edo et au début de l’ère Meiji (1868-1912) avec l’arrivée de la photographie érotique.

Il faut remarquer à propos des shunga qu’ils ont été importés de Chine (comme l’étymologie indiquée plus haut semble l’indiquer). Ils trouveraient leur origine par les illustrations de manuels médicaux de l’ère Muromachi (1336-1573), où les peintres érotiques chinois avaient l’habitude d’exagérer la taille des organes intimes, caractéristique reprise par les shunga, et, plus récemment, les hentai (変態 – qui certes utilisent ce fait pour contourner la censure, mais le fait reste indéniable). La tradition exigeait que des shunga soient offerts aux jeunes mariés. Il existait aussi des manuels destinés à l’éducation des enfants de familles riches, comportant des conseils et des règles d’hygiène.

Un autre auteur de shunga remarquable est Utamaro, qui publie en 1804 Seirô ehon nenjû gyôji (Almanach illustré des maisons vertes, c’est à dire, des maisons closes). Il est publié en France dans le courant du XIXe siècle où il remporte un large succès, et, autant là qu’au Japon, son oeuvre acquiert une réputation d’autorité sur l’étude sociale de la vie dans les maisons closes ; depuis, elle a été accusée d’avoir idéalisé ce monde pour cacher la condition d’esclaves sexuelles des femmes représentées. Malheureusement, c’est un des rares témoignages de la vie des courtisanes.

Des shunga aux hentai...

La culture de ces fleurs

Leurs quartiers

Tout comme les geishas, les prostituées japonaises avaient leurs quartiers réservés, ou « demi-mondes », séparés du reste de la ville par le kuruwa (郭 enceinte), créés au début des années 1600 par un décret de Tokugawa Hidetada, du shogunat Tokugawa. Les plus connus étaient Yoshiwara (ancienne Edo, actuelle Tôkyô), Shimabara (Kyôtô) et Shimmachi (Osaka). A l’intérieur de ces quartiers, la hiérachie sociale n’avait plus cours : seul l’argent régnait. Les samurai y étaient admis, à condition de déposer leurs armes à l’entrée (Peace Maker, une embuscade est tendue dans un quartier réservé). Des surnoms servaient à désigner les clients selon leur attitude : les « habitués » étaient des tsu, les blancs-becs étaient les shirôto, les rustres étaient les yabô. Ces différents types de clients étaient décrits avec ironie dans les sharebon (洒落本), romans humoristiques décrivant les clients des quartiers de plaisir, et se moquant de leurs travers. Au XVIIe siècle, près de 1 750 femmes vivaient au Yoshiwara (en 1893, ce chiffre atteignait les 9000, avec des proportions effarantes de malades souffrant de la syphilis). Ces femmes étaient souvent vendues aux bordels par leurs parents alors qu’elles n’avaient qu’entre sept et douze ans. Si la jeune fille avait de la chance, elle pouvait espérer devenir l’apprentie d’une courtisane de haut rang.

Tout comme les geishas, les prostituées ne pouvaient pas sortir de ces quartiers, et s’échapper des seirô (青楼 « maisons vertes ») était toujours impitoyablement puni si elles étaient rattrapées. En effet, on admire la magnificence de leurs tenues ; mais cette surcharge esthétique, on l’oublie souvent, a été pensée aux origines pour ralentir celle qui la portait, la gêner dans sa démarche et donc l’empêcher de s’en aller… Comme chez les geishas, l’habit indique le rang ; car, encore comme chez les geishas, il existe une étiquette précise. D’après ce que l’on sait, il y avait huit échelons dans la progression d’une prostituée ; néanmoins, on peut en distinguer trois majoritaires.

Le protocole de la hiérarchie : la yujo

La yujo (友情) était la prostituée la plus basse ; chaque soir, dès 18h, toutes les yujo ainsi que les rangs à peine plus élevés étaient « exposées » derrière les barreaux des rez-de-chaussée de maisons (rappelez-vous, dans Samurai Champloo, quand Fuu se retrouve elle-même derrière ces barreaux). C’était l’équivalent des vitrines hollandaises actuelles, et cela dura jusqu’en 1916, date à laquelle ce fut déclaré contraire aux Droits de l’Homme. Le client en choisissait une et l’affaire était conclue.

L’habit de la yujo sert de base à tous les autres ; tout comme la geisha devait endurer des kimonos (着物) très lourds, la yujo devait plutôt viser la commodité, et ne portait que trois kilos de kimonos au lieu des vingt imposés à la geisha. En tout, il y avait cinq kimonos, quatre en satin et un en soie, et sa ceinture, la obi (帯), se nouait devant (toujours par souci de commodité). Ce qui permettait de faire la différence à coup sûr entre une geisha et une yujo se situait dans le port ou l’absence de tabi (足袋 chaussettes) avec ses getas (下駄 chaussures). La geisha mourrait plutôt que de sortir les orteils nus, la yujo les exhibe fièrement. Ses getas (chaussures, vous savez, les sortes de sandales japonaises) mesuraient de 16 à 24 cm en moyenne (à peu près un centimètre et demi par rang supplémentaire), et pesaient à peu près quatre kilos chacune (donc vous imaginez essayer de courir avec ça). Evidemment, marcher avec ça normalement était impossible ; la démarche très particulière des prostituées était nommée le Soto Hachi Monji (外八文字), ou « pas en huit ». La coiffure encore la distinguait d’une geisha : elle se faisait quatre chignons dits « potiches », qui tenaient avec huit épingles à chignons.

Yoshiwara

Le protocole de la hiérarchie : la tayu et l’oiran

Le second et le troisième rang remarquables, tayu (太夫) et oiran (花魁), ont tendance à se confondre, à se demander si ce n’était pas simplement deux mots différents selon les époques et/ou les villes. Une autre interprétation est que la tayu maîtrisait le chant et la danse, alors que l’oiran était une magnifique oeuvre d’art vivante. A noter aussi que si le terme d’oiran était bien spécifique au début des plus hautes courtisanes, il devint générique dès le XIXe siècle.
Leur costume était encore plus magnificent que celui de la yujo, avec encore plus de couleurs vives et de parures, et leurs getas étaient hautes de trente centimètres, dénotant leur position au sommet de la hierarchie. Ainsi, la tayu et l’oiran représentaient le summum du raffinement sexuel. Elles n’étaient pas exposées comme de vulgaires objets ; le client devait connaître une personne de son entourage familière de l’établissement auquel elles appartenaient pour pouvoir obtenir trois rendez-vous. Il pouvait ensuite espérer participer au rite de « l’envolée des oies sauvages » et avoir une relation intime avec la prostituée. Au premier rendez-vous, le client apercevait la jeune fille devant la grille de la maison. Au deuxième rendez-vous, le client s’asseyait près d’elle mais l’entrevue durait peu de temps. Le troisième rendez-vous, s’il arrivait, était l’aboutissement attendu par le client. En effet, celui-ci devait payer un prix exorbitant les deux premiers, et comme cela, les propriétaires de la jeune femme pouvaient vérifier s’il avait les moyens des « frais de fleur » (frais de couche avec une prostituée). Le client qui avait bu, mangé, et passé la nuit avec une prostituée sans payer était puni immédiatement, enfermé dans un tonneau en bois jusqu’à ce qu’un proche ou un membre de sa famille paie sa dette envers la maison.

L’art de la tayu et de l’oiran était loin de ne concerner que l’alcôve ; en effet, en tant que véritables objets d’art, elles se devaient de faire montre d’une culture parfaite en n’importe quelles circonstances ; leur éducation était donc aussi poussée que celle d’une geisha. Certes, elles devaient maîtriser le shamisen (三味線) ; mais elles se devaient de connaître l’art de composer des poèmes et savoir placer dans la conversation des citations littéraires ou des mots d’esprit d’une grande finesse.
Lorsqu’elles étaient appelées à l’extérieur, elles se déplaçaient certes sous escorte, mais c’était une véritable parade, la tayu ou oiran dochu (花魁 道中). Ceux qui l’apercevait savait immédiatement qui était la jeune femme. Une ombrelle avec les armoiries de la maison d’appartenance portée par un jeune domestique la précédait et annonçait sa venue à la maison de thé où attendait le client. Le porteur d’ombrelle, et les deux jeunes servantes de 7 et 13 ans de la prostituée formaient le oiran dochu (en effet, chaque prostituée de haut rang avait en sa compagnie deux jeunes servantes, les kamuro (禿), qu’elle habillait de façon identique ; cela est visible par exemple dans le manga Peace Maker, quand nous apercevons la jeune Saya sur son lieu de travail). Cette parade magnifique a été assez bien rendue dans le film Sakuran, adapté du manga de Anno, qui représente le parcours d’une prostituée :

©2007-2008 SAKURAN Film Committee – Kodansha – Kaze
(admirez le pas en huit au passage)

Ce défilé servait aussi à fixer les modes par les choix vestimentaires que les oiran faisaient.
En bref, la seule et unique chose de la parure (à part les tabis évidemment) qui différenciait l’oiran/tayu d’une princesse se situait dans les couleurs du kimono : l’or et l’argent était réservés à l’aristocratie.

De nos jours, il n’existe plus de prostitution officielle au Japon (abolie en 1958), mais le terme ne s’applique pas à un « accord privé » conclu entre un homme et une femme dans un bar à hôtesses ; néanmoins, la tradition perdure, notamment avec le musée des tayus à Shimbara.

La fiction

La fiction s’est passionnée pour ces femmes hors du commun, qui, à leur époque, avaient presque le statut d’idoles. Ainsi, le film Yoto monogatari : Hana no Yoshiwara hyaku-nin giri (Meurtre à Yoshikawa, titre français) est réalisé par Tomu UCHIDA en 1960, et relate l’histoire d’un homme, extrêmement laid mais ayant des revenus confortables, qui est ruiné par une prostituée du Yoshiwara. La suite raconte sa vengeance.
Vingt ans plus tard, le 15 septembre 1980, le premier épisode d’une mini-série américano-japonaise intitulée Shogun est diffusé sur la NBC aux Etats-Unis, inspirée par le roman éponyme de James CLAVELL. Shogun met en scène les aventures d’un navigateur anglais qui découvre le Japon, et connut un tel succès qu’il y en eut plusieurs déclinaisons, dont une série plus courte qui fut censurée, la version originale étant cantonnée aux vidéos stores et à certains cinémas, à cause de ses scènes de nudité, de sexe et de violence. Shogun brisa plusieurs tabous, notamment avec une scène de seppuku (切腹 suicide rituel japonais).
Plus récemment, le film Sakuran (2007, voir extrait ci-dessus), avec la chanteuse Anna Tsuchiya, raconte l’ascension d’une courtisane.
Dans les autres types de production, les personnages d’oiran se retrouvent aussi ; ainsi, Setsuka est une combattante au kimono échancré dans le jeu vidéo Soul Calibur III ; Yumi est une oiran déchue, compagne du sombre Shishio dans le manga Rurouni Kenshin ; Hone Onna est une oiran défunte, assistante de l’héroïne dans le manga La fille des Enfers ; Kotoha est une oiran faisant partie des héroïnes de l’anime Bakumatsu Kikansetsu Irohanihoheto ; Akesato est la oiran favorite d’un des commandants du Choshu dans le manga Peace Maker.

oirans de fiction

 

>> L’Histoire du Japon, les femmes fleurs (2/3)
>> L’Histoire du Japon, les femmes fleurs (3/3)

5 commentaires

Et je vois que tu as mis la belle image avec les deux amoureux =}

Tu as fait là un très bon dossier Sucre, instructif et vraiment plaisant à lire.
2 Micka8405 le 20/03/2009
C'est un très bon dossier, il enlève les fausses idées que ce font une partie des gens sur ces femmes. De plus tes exemples, bien que je connaissais certains d'entre eux, me donnent envie de voir les films ou lire les mangas/romans cités.

@Citation
Tu as fait là un très bon dossier Sucre, instructif et vraiment plaisant à lire.

Je ne peux que plussoyer cette remarque car il n'y a rien d'autres à ajouter.
Très très intéressant !
Je vois aussi que nous avons les mêmes hentaïs pour la double image avec la peinture et le manga. :D
(Tayu Tayu ? *-))
Mais bref, trêve de bavardages inutiles, c'est un chouette article que tu commences et je suis pressé de lire le reste.
Super article !
Il m'aide beaucoup pour l'histoire de mon personnage : Akesato sur mon forum et mes fanfics !
merci beaucoup =D !!!

ps : Akesato dans PMK est la favorite de Yamanami Keisuke vice capitaine du Shinsengumi aussi ♥ vu qu'ils sont, si on peut dire, amoureux.
5 hegora le 11/01/2011
Merci pour ce merveilleux article! C'est très enrichissant. Je désire approfondir mes connaissances sur les oirans, j'ai d'ailleurs adoré le film Sakuran. Cependant, l'extrait vidéo ci-haut ne semble pas tiré de Sakuran, j'aimerais bien savoir de quel film il s'agit ^-^

Merci!!

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