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L’Histoire du Japon, les femmes fleurs (2/3)

Publié le 10/03/2009 par SucreDeLune dans Culture - 4 commentaires

Le monde flottant et ses femmes mystérieuses ont fasciné plus d’un homme. Néanmoins, évoquer la prostitution japonaise de façon réaliste ne peut se faire sans évoquer un pan de l’histoire du Japon, méconnu du grand public, et pourtant, toujours d’actualité : il s’agit des femmes de réconfort, prostituées employées par l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale, qui aujourd’hui, déclarent qu’une grande partie d’entre elles n’étaient guère plus que des esclaves.

L’armée shôwa et les femmes

Le 13 décembre 1937, les troupes japonaises (dites troupes shôwa, du nom de la dynastie impériale sur le trône à l’époque) entrèrent dans la ville de Nankin (Chine) après en avoir fait le siège. Pendant six semaines, les soldats massacrèrent entre 100 000 et 300 000 victimes selon les sources, au sabre et à la baïonnette, pendant que les femmes étaient violées et éventrées. Nankin disposait d’une zone internationale, réservée pour les Occidentaux, qui furent présents jusqu’au 15 décembre, avant d’être évacués. Seuls 22 restèrent, dont le directeur de la zone, John Rabe (allemand membre du parti nazi), qui tint un journal des événements. A la date du 17 décembre, il écrivit :

« La nuit dernière près de 1 000 femmes et filles auraient été violées, et environ 100 au collège pour filles Ginling. On n’entend rien d’autre que des viols. Si les époux ou les frères interviennent, ils sont abattus. De tous côtés, ce que l’on entend et voit, c’est la brutalité et la bestialité des soldats japonais ».

Après ce massacre, l’opinion internationale s’indigna ; le quartier-général impérial mit alors en oeuvre des moyens de limiter les tensions causées par les viols, extrêmement nombreux, commis par les soldats. De plus, il s’agissait aussi de maintenir le moral des troupes et de les protéger des maladies vénériennes (port obligatoire du préservatif en maisons closes). Il leur fallait donc en permanence disposer de prostituées en nombre suffisant pour les soldats.

Sur l’ordre de Hajime SUGIYAMA, ministre de l’Armée, et du prince Kotohito Kan’in, chef d’état-major et proche de Hirohito (empereur à ce moment), l’armée japonaise implanta en zones occupées des « centres de délassement » ou « maisons de confort ». Elles étaient dirigées soit par l’armée de terre ou par la marine, soit par les gouvernements locaux ou des particuliers. Les dirigeants touchaient une part sur les bénéfices. Le règlement prévoyait une rénumération pour les femmes employées, ainsi que le pourvoiement à leurs besoins, des jours de repos (deux par mois lors des menstruations), les désinfections des chambres, les visites médicales ou encore des soins pour les femmes atteintes de maladies vénériennes.

Le cri

En 1971, une japonaise écrivant sous le pseudonyme de Suzuko SHIROTA, publie un ouvrage ignoré par le public, racontant son expérience de femme de réconfort, ou plutôt d’esclave sexuelle.

En 1982, un ancien soldat, Seiji YOSHIDA, rapporte dans son ouvrage Watashi no sensô hanzai (Mon crime de guerre) avoir participé à des enlèvements de femmes pour les bordels. En 1996, il se rétracte.

En 1991, le scandale éclate lorsqu’une Coréenne, Hak-Sun KIM, demande l’ouverture d’une procédure judiciaire à l’encontre du Japon. Depuis, de nombreuses femmes ont porté plainte, parfois soutenues par leur pays (comme la Corée du Sud), et leur version s’oppose à celle du Japon.

Manifestation d'anciennes femmes de réconfort

Selon leur témoignage, les femmes recrutées étaient généralement jeunes et célibataires. La majorité d’entre elles provenaient de Corée, de Taiwan et de Chine, mais aussi d’Australie et de Hollande, recrutées parmi les prisonnières occidentales. De faux recrutements de serveuses et d’ouvrières furent d’abord organisés, puis des enlèvements. Des Japonaises furent trompées, pensant trouver des emplois d’ouvrières par l’intermédiaire du Corps des Femmes Volontaires. La police militaire Kempeitai (dont le fonctionnement est aujourd’hui reconnu comme analogue à celui de la Gestapo nazie) assurait le recrutement de jeunes femmes désignées volontaires dans leurs villages en zones occupées. En 1992, Yoshimi YOSHIAKA, historien, établit le lien indéniable entre l’armée shôwa et les femmes de réconfort, en se fondant sur des documents saisis en 1946 par les alliés. En mai 2007, Taichiro KAIJIMURA, journaliste, publie des documents relatifs à des enlèvements de femmes pour les maisons de réconfort à Magelang, Indonésie, en 1944. Peu de temps après, une directive de l’état-major chinois nommée Gun ian-jo jungyô-fu tô boshû ni kansuru ken (L’affaire concernant le recrutement des femmes de réconfort), datant de 1938, est retrouvée. Ce document demandait aux soldats de l’armée impériale en Chine du nord et en Chine centrale de faire attention aux proxénètes qui pratiquaient les enlèvements et déclarait que les armées sur le terrain assureraient le contrôle du recrutement des femmes.

De plus, concernant le règlement à l’intérieur de ces maisons, les femmes qui témoignent expliquent que la priorité revenait aux soldats, non aux femmes. Elles parlent d’esclavage ; jusqu’à 70 clients par jour, qui pouvaient tout leur infliger, en toute impunité : les accusations portent sur des humiliations, des coups, des tortures, des mutilations, voire exécutions (insatisfaction sexuelle du soldat). Les soins pour les malades d’infections vénériennes consistaient souvent à les abandonner ou les tuer. Celles qui essayaient de s’enfuir étaient violemment battues, parfois jusqu’à la mort, si elles étaient rattrapées.
Un ancien chef de village, à qui il avait été ordonné de trouver des femmes, confirme les témoignages d’anciennes prostituées (certaines étaient pré-pubères à l’époque) qui affirment qu’elles ont été forcées de travailler sans salaire, les vêtements et la nourriture étant à charge de leurs familles. A la fin de la guerre, lorsque l’armée se retira des pays occupés, pour tenter de masquer les preuves de ce qu’il s’était passé, les chefs donnèrent l’ordre de massacrer ces femmes.

Un soldat parlant à une femme de réconfort Fosse commune retrouvée après le massacre

Un ancien soldat de l’armée shôwa déclare pour sa part : « les femmes pleuraient mais peu nous importait si elles vivaient ou mouraient. Nous étions les soldats de l’empereur. Que ce soit aux bordels militaires ou dans les villages, nous violions sans aucune réticence ».

Le gouvernement japonais nia ces faits pendant des années ; néanmoins, le 12 janvier 1993, la presse publia les travaux de Yoshimi YOSHIAKA (voir plus haut). Le jour même, le gouvernement reconnut l’implication de l’armée ; cinq jours plus tard, le 17, le premier ministre Kîchi MIYAZAWA présenta des excuses officielles lors d’une visite en Corée du Sud. Le 4 août de la même année, le gouvernement publia une déclaration dans laquelle il reconnaissait entre autres que l’armée shôwa était directement ou indirectement impliquée dans l’implantation et la gestion des maisons de confort, et que les femmes étaient recrutées « dans bien des cas contre leur gré ».

Les femmes de réconfort pouvaient alors espérer enfin la reconnaissance de leurs souffrances.

Le Japon se rétracte, l’opinion internationale intervient

Néanmoins, le 1er mars 2007, lorsqu’un projet d’appui aux victimes fut présenté devant le Congrès américain (rappelons que depuis la fin de la guerre, les Etats-Unis gardent un droit d’ingérence dans les affaires du Japon pour tout ce qui touche aux crimes de guerre japonais), le premier ministre japonais Shinzo ABE nia l’implication de l’armée shôwa dans l’enlèvement physique des femmes en déclarant : « Le fait est qu’il n’y a pas de preuve qu’il y avait eu usage de contrainte ». Le député Nariaki NAKAYAMA a quant à lui fait valoir qu’on « peut comparer ces bordels à des cafétérias dirigées par des compagnies privées qui recrutent leurs propres employés, offrent la nourriture et fixent leurs prix. Mais affirmer que les femmes ont été contraintes par les militaires japonais en service est à côté de la coche. Ce dossier doit être reconsidéré, pour le bien de l’honneur du Japon. »

Le 17 avril 2007, les historiens Hayashi HIROFUMI et Yoshimi YOSHIAKA déclarèrent en réponse avoir trouvé sept documents relatifs à des témoignages de soldats de l’armée shôwa confessant avoir arrêté des civiles indonésiennes sous de faux prétextes ou se référant à des membres de la Kempeitai (police secrète, voir plus haut) ayant enlevé des Chinoises, des Indonésiennes et des Hollandaises pour en faire des esclaves sexuelles.

Une ancienne maison de réconfort

Le 26 juin 2007, le Comité des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-unis adopta une résolution demandant entre autre au Japon de reconnaître formellement, de s’excuser et d’accepter sa responsabilité historique d’une façon claire et sans équivoque pour la contrainte employée par ses militaires afin de forcer des femmes à l’esclavage sexuel pendant la guerre. Le 30 juillet suivant, la Chambre a voté cette résolution. Shinzo Abe, lui, a exprimé ses regrets devant cette décision.

Cela a remis au goût du jour un rapport de Gay McDougal, employée de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, présenté en 1998, qui rendait compte des viols commis en Yougoslavie pendant la guerre. Ce rapport comportait toute une annexe, portant sur les femmes de réconfort. Gay McDougal préconisait que le Japon :

– reconn[aisse] pleinement sa responsabilité dans l’instauration du système de réconfort et reconn[aisse] que ce système violait le droit international ;
– présent[e] des excuses complètes et honnêtes, en assumant sa responsabilité légale et en offrant des garanties pour que ces crimes ne se répètent jamais ;
– indemnis[e], par l’entremise du gouvernement, les victimes et les survivantes et celles qui ont droit à une indemnisation par suite des violations déclarées aux présentes, avec des montants suffisants pour réparer le tort causé et empêcher qu’il se reproduise ;
– mett[e] en place un mécanisme d’enquête rigoureux sur le système d’esclavage sexuel militaire, et rend[e] ce mécanisme accessible à la population et assure la préservation historique de la documentation ;
– envisag[e], en consultation avec les survivantes, l’établissement d’une Commission de la vérité et de la réconciliation qui créera un dossier historique des crimes sexospécifiques commis pendant la guerre, la période de transition et l’occupation ;
– reconn[aisse] les victimes et les survivantes et leur rend[e] hommage par la création de monuments commémoratifs, d’un musée et d’une bibliothèque consacrés à leur mémoire et par la promesse que de tels crimes ne se produiront jamais plus ;
– cré[e] des projets éducatifs, tant formels qu’informels, comme l’inclusion de ce chapitre de l’histoire dans des manuels à tous les niveaux et l’appui aux universitaires et aux écrivains pour leur permettre d’informer la population, en particulier les jeunes et les générations futures, sur les violations commises et les souffrances subies ;
– appui[e] des initiatives de formation en matière de relation entre le système d’esclavage militaire et l’inégalité des sexes, et des préalables nécessaires pour assurer l’égalité des sexes et le respect de l’égalité pour les peuples de la région ;
– rapatri[e] les survivantes qui souhaitent l’être ;
– rend[e] publics tous les documents et autre matériel en sa possession au sujet des postes de réconfort ;
– identifi[e] et jug[e] les principaux responsables de l’établissement et du recrutement des postes de réconfort ;
– retrouv[e] et rend[e] aux familles ou aux personnes proches qui le souhaitent les restes des femmes mortes pendant cette période.

Exposition à la mémoire des femmes de réconfort

Ce rapport n’avait pas, à l’époque, été validé par l’ONU. En 2000, il avait été repris par un « tribunal international des femmes pour la répression des crimes de guerre » (Tokyo, du 8 au 12 décembre 2000), mais qui n’avait aucune reconnaissance officielle. De plus, si les victimes ont pu s’y exprimer, personne ne représentait les accusés.

Ainsi, avec la résolution de la Chambre des représentants des États-unis et les actions du tribunal, le 13 décembre 2007, le Parlement Européen a à son tour promulgué un texte, disponible en PDF sur le portail de l’Union Européenne.

Depuis, les anciennes femmes de réconfort organisent régulièrement des manifestations, notamment en Corée, pour ne pas être oubliées et obliger le Japon à les reconnaître.

Une oeuvre a paru sur leur histoire :
Femmes de réconfort, esclaves sexuelles de l’armée japonaise par Kyung-A JUNG.
A un journaliste qui faisait remarquer que les graphismes n’étaient pas attirants, l’auteur a rétorqué : « Ce n’est pas pour faire joli. »

Femmes de réconfort, esclaves sexuelles de l'armée japonaise

 

>> L’Histoire du Japon, les femmes fleurs (1/3)
>> L’Histoire du Japon, les femmes fleurs (3/3)

4 commentaires

1 le gritche le 10/03/2009
Merci beaucoup: je souhaitais lire depuis peu un document synthétique sur les "femmes de réconfort"...
2 topachook le 13/03/2009
Très documenté et très instructif ... merci beaucoup Sucre ... on comprend pourquoi tu n'écris plus de critique
3 varlock le 24/07/2009
Très réaliste malheureusement, c'est une triste réalité qu'il ne faut surtout pas oublier. Tu raconte cette période du japon en restant totalement neutre, c'est très bien, peut de gens en sont capable.
4 Patrice PONSARD le 09/10/2009
La fondation SASAKAWA, du nom de son fondateur ancien criminel de guerre Japonais devenu " fréquentable" sous le proconsulat de Douglas Mac Arthur, détient des fonds importants destinées à financer diverses actions culturelles ou humanitaires en lien avec le Japon...

Pourquoi ne seraient-elle pas sollicitée pour indemniser généreusement les quelques malheureuses survivantes de cette horreur, sans oublier bien sûr qu'une reconnaissance officielle de ces abus odieux par le gouvernement Japonais ne saurait être exclue.

A suivre...

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