Critique de l'anime Cowboy Bebop

» par watanuki le
11 Décembre 2006
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L'apparition de Cowboy Bebop dans le monde de l'animation japonaise est à marquer d'une pierre blanche, car ce dessin animé est probablement à l'origine d'une démocratisation de la bonne qualité dans ce milieu hautement mercantile.

Seul Gainax avait tenté auparavant de faire bouger les choses avec Gunbuster et Otaku no Video.

Ici, chaque intervenant produit un travail de très haute qualité, que ce soit en animation (pour l'époque), en scénario ou en musique. Parce qu'avant même d'être visuel, Cowboy Bebop est une oeuvre sonore, qui a tout bonnement fait éclater le talent de Kanno au grand jour. Watanabe lui-même a souvent expliqué qu'à plusieurs reprises, il avait dû modifier le montage pour respecter la musique et aller dans son sens. Bref, l'ambiance musicale est parfaite, et l'opening à lui-seul mérite de figurer au panthéon de l'animation, pour son ambiance années 40, type "les Incorruptibles", mâtinés de Citizen Kane : les personnages courent sur des feuilles de papier journal en train d'être imprimées, Jet fume un cigare, les gestes de croupiers et de pilotes d'avions se succèdent.

Dès le générique donc, le pastiche et la référence sont au rendez-vous. La grande force de Cowboy Bebop, et son innovation majeure, c'est la façon dont Watanabe, mine de rien, sous des dehors banalisés (26 épisodes, jaquettes et artbook fan service, Egawa au charadesign), fait brutalement basculer un simple dessin animé dans notre monde réel, en employant cette fois-ci des codes externes à l'animation japonaises : ici, le fan service est évacué au profit de la suggestion érotique, car Faye est avant tout un personnage féminin, avant d'être un bonnet D. Les scènes d'action prennent leur modèle dans le cinéma américain, et les courses-poursuites au volant d'engins rétro-futuristes achèvent de donner au dessin animé son ambiance spécifique. Les références pullulent littéralement, Watanabe fait flèche de tout bois et cite une mutlitude d'artistes a priori incompatibles : Pierrot le Fou, Clint Eastwood, Peckinpah, Charlie Parker, Asimov, Lupin the III (pour le charadesign au moins), les Beatles, Queen, la blacksploitation, Miles Davis, etc. Prédilection pour le jazz, le rock et le cinéma donc.

Cela peut paraître gratuit, mais mine de rien, l'animation japonaise quitte ainsi définitivement le carcan d'un marché destiné aux otakus, en s'offrant le luxe d'être apprécié par les jeunes spectateurs, et les vieux (ceux qui ont aimé dès le début Peckinpah ou Miles Davis par exemple).

Plus qu'un simple truc de réalisateur ou qu'un collage, Cowboy Bebop parvient à l'homogénéité, et l'assemblage de ces références se déploie avec une constance d'où se dégage, en fin de compte, un véritable hommage à un pan entier de la culture populaire en général, et pas seulement japonaise.

Pour cela, Cowboy Bebop est l'oeuvre d'un auteur, qui parvient à tirer d'un matériau hétéroclite un monde cohérent où les cowboys sont aussi des astronautes. D'où cette profonde impression de mélancolie, d'hommage à un temps pas si éloigné, tout le long de la série, où les moments drôles même finissent par mettre en relief quelque chose de nostalgique, pas triste, mais mélancolique : c'est le moment où le spectateur doit se séparer de ses compagnons de voyage. Rarement le sevrage aura été aussi violent pour le spectateur. Watanabe ne peut s'empêcher d'ailleurs d'ironiser à la fin du dernier épisode, remplaçant le célèbre "see you space cowboy" par le "you're gonna carry that weight" des Beatles.

Ce poids que le spectateur devra porter, c'est peut-être celui d'avoir enfin éprouver qu'un dessin animé peut dépasser le simple divertissement pour avoir les mêmes prétentions qu'une oeuvre cinématographique ou musicale. Enfin des personnages auront vraiment atteint les gens au coeur.

Le scénario n'est pas nécessairement génial, dans le sens où il est organisé avant tout pour favoriser l'exploration d'un genre spécifique : road movie dans l'épisode 1, féérie dans "Pierrot le fou", milieu des poids-lourds et du hard rock dans "Heavy Metal Queen", tous les épisodes, sauf la poignée formant la trame essentielle, sont autant de remise en forme d'un genre ou de codes spécifiques, comme si le réalisateur cherchait à prouver la crédibilité de l'emploi de ces éléments dans un dessin animé, eux qui n'ont rien à voir avec la "japanimation". Ce qui est génial en revanche, c'est la façon parfaite dont ce mélange improbable fonctionne, et dont chaque épisode s'enchaîne à l'autre, alors même que les ambiances changent du tout au tout (du comique à la SF, au policier, au drame, etc). Cela contredirait ce que j'ai dit à propos de l'homogénéité de l'oeuvre.

En fait, il faut surtout compter avec les 3 personnages principaux, car ce sont eux qui garantissent la cohérence parfaite et cette mélancolie dont je parle tant, et que la trame principale approfondit à la perfection... chacun d'entre eux a déjà toute une vie derrière lui, et ils se rencontrent fortuitement le temps de 26 épisodes, croisant leurs itinéraires sans autre raison que le besoin d'argent. Cependant, petit à petit, des relations très implicites se tissent, et l'on perçoit au bout du compte que l'un des sujets principaux de Cowboy Bebop est la solitude, la façon de vivre avec, de la supporter ou d'en crever (Vicious, et une multitude d'autres personnages secondaires). Solitude, sociabilité sont au coeur de la série, ainsi que cette question de savoir si l'on est capable de survivre à une tragédie.

Cowboy Bebop, c'est en fait cela : que deviennent les héros de tragédie après la catastrophe finale. La série débute en quelque sorte là où tout aurait dû finir. C'est ce qui en fait un chef d'oeuvre : nos 3 héros sont déjà morts dès le début, Spike le dira lui-même, et ils errent ensemble en attendant que le tragique les rattrape. Ce n'est qu'aux épisodes 25-26 que le tragique viendra enfin rattraper ceux qu'il avait oubliés 26 épisodes auparavant. Entre Spike refusant d'oublier le passé, Faye essayant de ne pas en tenir compte, et Jet condamné à n'être qu'un observateur, l'histoire de Cowboy Bebop n'en finit plus d'offrir de belles nuances, allant du désespoir à la gaieté simple et enfantine (manger, attraper des méchants, faire la course) : il faut noter à quel point les héros de Cowboy Bebop s'amusent, à quels point leur attitude est légère face à ce passé qui les a "tué" sans les faire mourir (Spike), mis sur la touche (Jet) ou qui a effacé leur mémoire (Faye). Mais cette légèreté n'a de valeur que si le spectateur perçoit la profondeur de ces personnages, et la profonde mélancolie qui toujours vient relativiser ce bonheur que ces personnages n'attendaient plus.

D'ailleurs, les épisodes de la trame principale sont les plus audacieux dans la mise en scène, il faut voir par exemple à quel point Watanabe exploite les codes sans s'y soumettre, par exemple lorsque Spike tient Julia dans ses bras pour la dernière fois : il lève la tête vers le ciel, mais au lieu de faire entendre un cri de désespoir, le réalisateur fait un brusque gros plan sur la pupille de Spike, qui se dilate d'un coup, remplaçant ainsi le cri attendu par du visuel : Spike ne crie pas, ne pleure pas, la violence extrême de la scène s'est seulement jouée dans la dilatation d'une pupille. Cette séquence très pudique finalement est bien plus efficace qu'une mise en scène théâtrale où le héros aurait crié et levé les mains au ciel.

En fin de compte, Cowboy Bebop est une série très humaniste, très proche des derniers films de Clint Eastwood, en ce qu'elle refuse de transmettre un message, pour simplement montrer au spectateur que mélancolie, joie et peine sont indissolublement liées.

Rarement un dessin animé aura été aussi juste.

Verdict :10/10
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A propos de l'auteur

watanuki, inscrit depuis le 21/10/2006.
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