Critique de l'anime The Garden of Sinners (Film 5)

» par LordFay le
16 Septembre 2011
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Avec son scénario alambiqué, sa construction non linéaire et sa tendance à toujours chercher à embrouiller le spectateur, Mujun Rasen est sans conteste le plus complexe des Kara no Kyoukai. Heureusement, c'est aussi le plus intéressant et le plus sophistiqué, et comprendre peu à peu le film à force de décortiquage est un casse-tête passionnant. Soyons honnêtes : au premier visionnage, un spectateur normalement constitué n'aura compris que le strict minimum - le scénario dans sa généralité. Reste à saisir le véritable enchainement des évènements, et à remarquer les mille et un détails, easter eggs et autres symboles cachés tout au long du film. Et accessoirement, leur utilité... !

Passons rapidement sur l'aspect technique. L'animation est toujours irréprochable ; quant au graphisme, il change un peu pour nous mettre dans des tons souvent chauds. Musicalement, on a le plaisir de retrouver les thèmes principaux là où on les attend, même si l'OST se fait parfois assez discrète. On notera aussi l'apparition d'un thème spécifique au personnage de Cornelius Alba ("Magician") : une piste fourbe, schizophrène, entrainante et... cyclique. Voilà qui préfigure ce que j'ai envie d'appeler le "discours sur la spirale"... Ces quelques remarques permettent déjà de dire que l'ambiance de KnK 5 est un peu différente de celles des précédents. On ne cherche pas ici à reproduire l'atmosphère mystique du premier ou la poésie du quatrième, par exemple, mais plutôt à créer une sensation de folie contenue, une perte de repères, un danger sous-jacent et inquiétant. C'est une façon simple d'expliquer la chronologie embrouillée de l'histoire.

Plutôt que de parler du scénario dans sa globalité, je me contenterai d'évoquer les personnages. Enjou Tomoe est le petit nouveau de cet opus, tout comme nous avions Fujyo Kirie pour le premier ou Asagami Fujino pour le troisième. Eh bien, bonne pioche ici-bas : puisque le scénario a l'intention d'être compliqué à comprendre, pour contraster on nous met dans les pattes un jeune homme plus simple à appréhender que d'habitude. Les problèmes auxquels il fait face sont saisissables par le commun des mortels, il est pris sans le vouloir dans un flot d'évènements qui le dépassent ; nous assistons à ses côtés à cette plongée dans un obscur tourbillon. C'est assurément un choix pertinent et bien traité de surcroit : le personnage est correctement développé, son histoire est tout à fait crédible, son comportement justifié.

Aux côtés de Tomoe pour ce KnK 5, on retrouve Shiki forte qui trace son chemin, Touko au sommet de sa forme, et Kokuto plutôt réservé mais toujours très juste dans sa vision des choses. Eh oui : puisque Kokuto est une sorte "d'idéal de la compréhension", avec sa faculté à trouver la logique d'un monde qui le dépasse, on l'écarte au profit de personnages plus mystérieux. Quant aux autres nouvelles têtes, il s'agit de Cornelius que son thème présente très élégamment, et d'Araya, un paradoxe ambulant : froid et indifférent, mais en même temps profondément philantrope. Un monstre gentil. Ajoutez à ça une capacité du genre "quand je suis chez moi je suis partout et nulle part à la fois", et vous avez une sorte de personnage de Schrödinger somme toute bien plus fascinant qu'il peut sembler au premier abord. Au final, le casting du film est probablement le plus jouissif et le plus intéressant de toute la série. On en apprend beaucoup sur Touko, on développe Shiki par sa relation avec Tomoe, on en découvre un peu sur l'univers avec les manigances d'Araya... Ces quelques olibrius qui discutent et s'entretuent tressent le coeur de l'intrigue, de l'intérêt du film, et ont été créés et définis avec une justesse remarquable.

Il me reste à aborder le plus important : la vision de KnK 5 comme une spirale, un entremêlement qui révèle son sens profond. Comme le titre vous l'a si gentillement indiqué, le film tout entier est symbolique d'une spirale ; plus précisément, une spirale où deux lignes différentes viendraient à se rencontrer, s'entortiller, puis se défaire. Un schéma que l'on retrouve absolument partout : autant sur des détails sans importance (les volutes de fumée de cigarette) que sur d'autre bien plus lourds de sens (l'architecture du complexe d'Araya) voir sur la représentation de certaines scènes ou le design de certains personnages. Même le scénario - surtout le scénario - y passe : il tourne autour d'un bien étrange complexe en forme de spirale, dans laquelle les existences se répètent et s'entremêlent. Enfin, la conclusion de Mujun Rasen est aussi une figure de la "spirale qui se déroule". Je n'en dis pas plus de peur de spoiler, mais plusieurs scènes sont conçues dans cette optique de "dénouement" (en voilà un mot bien pratique !).

Tant qu'on y est : qu'est-ce qui est noir et blanc, et qui ressemble vaguement à une spirale patatoïdale ? Ben oui, le Yin et le Yang ! Le taiji ! Un autre symbole qu'on retrouve partout, et pas seulement sur le porte-clé de Touko. Jugez plutôt : le Yin (noir) est associé au féminin, mais aussi au froid, à l'obscur, et au bleu. A l'inverse, le Yang (blanc) est masculin, chaud, lumineux, rouge. C'est ainsi que le building rouge et chaud dans lequel se déroule l'action, lui-même construit en spirale, est à opposer à un monde extérieur froid et bleu. De même, Shiki représente cette dualité par sa double personnalité, ses habits - un blouson rouge masculin sur un kimono bleu féminin - et son comportement : c'est une femme qui parle comme un homme.

Et la grande question est... quel est le but recherché par toute cette symbolique ? Est-ce juste un fouillis désorganisé, à but pseudo-philosophique noyé par une ambition démesurée ? Ca vous étonne si je dis que non ? Ce n'est pas dans Kara no Kyoukai que l'on s'instruira des plus grands trésors de la philosophie ; mais ce n'est pas non plus ce que le film essaye de faire. Le "discours sur la spirale" (ça sonne bien, franchement, hein ?) se cantonne à une interprétation du Yin et du Yang, et à une discussion sur l'Akasha, l'objectif ultime du magicien, le savoir absolu. Ainsi peut-on y voir une thèse sur la complexité, la difficulté à comprendre ce monde qui est le nôtre, et qui pourtant se base sur des concepts simples. J'extrapole sûrement un peu trop, mais je pense que le monde des magus, où l'on reproduit une spirale la plus ésotérique possible, est en quelque sorte la cristallisation, la forme "ultime" de la complexité. Le paradoxe, ou la contradiction, vient alors du fait que le but recherché est l'Akasha, l'Origine, bref : le début de tout, les fondations du monde - ce qui devrait être primordial, primitif. Quoi qu'il en soit, KnK 5 parle avant tout de Yin et de Yang, symbole qu'il reprend, réécrit, s'approprie complètement, réinterprète comme celui de la complexité.

Au final, on a donc affaire à un anime de très grande qualité. Oui c'est difficile à saisir, mais ce n'est pas vide ; cette "spirale" pleine de sens se présente au contraire comme une énigme fascinante, une enquête mystérieuse. Je retiendrai donc de Mujun Rasen une expérience unique, qui s'enrichit à chaque visionnage. Deux heures hypnotisantes, denses et magnifiques ; deux histoires imbriquées l'une dans l'autre ; un univers distordu, complètement déformé pour mettre en évidence ses multiples dualités. Que ce soit sur le plan de la réalisation, du développement des personnages, du scénario ou de la réflexion proposée, rien ne faillit. Kara no Kyoukai 5 : Mujun Rasen est exceptionnel, tout simplement !

Verdict :10/10
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A propos de l'auteur

LordFay, inscrit depuis le 09/09/2010.
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