Critique de l'anime Shiki

» par Sanetomo69 le
14 Novembre 2013
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Shiki – Allégorie addictive.

Les lecteurs de Kenzaburo Ôe ont pu se familiariser avec ces villages du Shikoku, nichés au creux d’une vallée quasi inaccessible, où même le facteur ne passe qu’une fois par semaine. Dans M/T et l’Histoire des Merveilles de la Forêt, Ôe décrit l’imbrication entre le mythe et le réel. Dans Le Jeu du Siècle, il met en scène deux frères qui, revenus dans leur village natal, adoptent deux attitudes radicalement différentes : l’un embrase le village et l’autre joue l’apaisement.

Dès les premiers épisodes de Shiki, on ne peut se défendre de cette impression que les auteurs ont lu Ôe. La plupart des habitants du village se connaissent et les notables locaux y jouent le rôle de chefs de la communauté. Parmi ces notables, deux amis d’enfance : un moine (Seishin - Waka-Boi), fils du maître du sanctuaire local, et un chirurgien, propriétaire de la clinique de la vallée (Ozaki – Waka-Sensei). Tous les personnages nous sont présentés lors de leur première apparition, y compris les plus secondaires, ce qui contribue à nous inclure dans le cercle des villageois. D’emblée, nous en sommes les habitants, partie prenante des événements qui vont s’y dérouler.

Le village est un de ces endroits paisibles où l’on pourrait aspirer à se retirer. Mais l’animé ne laisse pas le temps à la rêverie. Il embraye dès les premières secondes sur les prémices d’une tragédie : une battue en forêt est organisée suite à la disparition d’une adolescente. Dès lors, le flashback sur les heures qui ont précédé la disparition contribue à renforcer cette sensation de malaise et d’enfermement. L’adolescente est une citadine frustrée qui rêve de s’épanouir dans une grande cité pour y mener une vie conforme à celle des magazines. Elle s’est entichée d’un nouveau venu qui, comme elle, ne songe qu’à partir. Lui a le regard tourné vers l’autoroute, elle vers une monstrueuse demeure à l’européenne où des inconnus ont emménagé de nuit…

Shiki est l’un des animés de vampires les plus efficaces sinon les plus aboutis. Le suspense est servi par un décompte précis des jours écoulés. La pression monte rapidement et se maintient d’épisode en épisode. Au fil des disparitions, l’atmosphère se fait plus oppressante. Mais la sensation d’enfermement n’est pas la seule source d’angoisse. Placés dans une situation anormale, les habitants s’aveuglent et continuent de mener leur vie comme si de rien n’était. Le décalage entre la familiarité apparente des villageois et l’indifférence voire la méconnaissance du sort de l’autre est l’une des premières révélations de cet anime.

Comme Vampire Knight, Shiki est introspectif, mais il se place sur un plan plus moral qu’individuel. A une époque où les victimes sont promptes à se muer en bourreaux, Shiki sonde les ressorts du meurtre et s’interroge sur la réaction à adopter quand on lui est confronté. Seishin médite longuement sur le sens du meurtre d’Abel par Caïn. Comme les deux frères du « Jeu du Siècle », lui et son ami vont être amenés à emprunter des chemins divergents.

La narration de Shiki est assez complexe, avec un usage parfois abrupt du flashback, qui peut brouiller les pistes. Au premier visionnage, certaines questions risquent de rester en suspens.

On pourra, en outre, s’interroger sur les motivations de certains choix des créateurs :

-Pourquoi une telle violence faite spécifiquement aux femmes, parfois poussée jusqu’au sadisme? (Une psychanalyse des auteurs s’impose).

-Quels sont les ressorts psychologiques qui animent le personnage de Natsuno ?

-Et comment expliquer ce goût marqué des loups garous pour les articles les plus hardcore de la collection Jean-Paul Gauthier ?

Le chara-design a fait l’objet de débats houleux. Les chevelures féminines sont parfois très abstraites. On peut admettre l’effet de style, mais le recours à la coupe en forme d’oreille de chats, passable pour un loup-garou, frise le ridicule sur un des enfants du village. Ozaki est un personnage plutôt réussi, avec un faux air de Spike Spiegel de Cowboy Bebop. Mais l’abus d’angles aigus pour le menton ou pour le nez finit par érafler légèrement la cornée.

Certains personnages ont toutefois un physique moins convenu. L’une des infirmières est une femme d’âge mûr, pas franchement jolie, mais qui a une vraie gueule, même si elle pousse le mauvais goût jusqu’à s’habiller en fillette. L’épouse d’Ozaki a une allure irréelle, à la fois fragile et inhumaine. Quant aux vampires, les auteurs leur ont dessiné de grands trous noirs à la place des yeux. Pour le spectateur, il en ressort une sensation de mutilation qui appelle inconsciemment à la compassion. Mais on se doute que, par convention, les villageois ne voient pas cette anomalie.

La bande originale de Takanashi Yasuharu vient en appui et donne de la densité aux émotions qui traversent l’animé. Les chœurs féminins sont discrets, mais lancinants. Ils participent de l’originalité de Shiki. Ils nous rendent charnellement familiers du destin tragique du village.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Sanetomo69, inscrit depuis le 10/11/2013.
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