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Qui nous gardera de notre Gardienne ? (1/3)

Publié le 08/11/2008 par watanuki dans Dossiers - 9 commentaires

La Mélancolie de Haruhi Suzumiya, de Tatsuya Ishihara.

Attention, cet article dévoile énormément de détails de l’intrigue. Le dossier ne tient pas compte de la série de romans.

Haruhi Suzumiya est le centre d’un univers qui gravite autour d’elle et qui obéit à tout ce qu’elle demande, c’est peut-être même elle qui est à l’origine de notre monde. Elle est ainsi capable de créer tout ce qu’elle désire et d’infléchir la réalité comme bon lui semble. Elle a ainsi créé des esper (Koizumi), des entités extraterrestres (Yuki), des voyageurs spatio-temporels (Mikuru), et elle peut déclencher à tout moment des cataclysmes ou des phénomènes bizarres sans savoir que tout vient d’elle : c’est en substance ce qu’explique Koizumi à Kyon lors de leur entrevue dans un taxi. Mais cette omnipotence n’est pas connue de Haruhi, et elle ne doit surtout pas l’être, car étant donné la nature de son caractère, elle serait capable d’user de ce pouvoir sans restriction. Ainsi, la Divinité de qui tout est né est une déesse qui s’ignore, mais le véritable problème est ailleurs : cette déesse est jeune, elle est à peine lycéenne, et son tempérament explosif en fait quelqu’un d’extrêmement dangereux pour l’équilibre de l’univers qu’elle ignore avoir créé. Le ressort principal de la série repose dès lors sur les épaules d’un dieu enfant, capable de tout mais ignorant les conséquences de ses actes parce qu’il n’a pas encore atteint l’âge de raison. Le problème apparaît ainsi très clairement : tout l’enjeu pour les personnages au courant de cela est d’empêcher Haruhi d’entraîner la fin du monde en essayant le plus possible de lui complaire, si bien que le spectateur est happé par une intrigue qui met au service d’un dieu privé de conscience des sujets qui déploient des trésors d’intelligence pour le maintenir dans un état émotionnel stable : Mikuru, Koizumi et Yuki ne sont ni plus ni moins en fin de compte que des gardiens d’enfant que Haruhi s’est créée pour veiller sur elle, si ce n’est que cette enfant est une bombe à retardement pouvant avoir des réactions irrationnelles susceptibles de produire l’apocalypse.

La tâche est ardue pour ces gardiens, car ce dieu enfant est extrêmement remuant, d’une instabilité à toute épreuve. Surtout, Haruhi est d’un égoïsme sans bornes, ce qui la rend particulièrement effrayante pour ses sujets, parce qu’elle n’a que faire d’eux : elle règne en despote sur son club et impose ses quatre volontés à des camarades de classe qui lui doivent une obéissance absolue, que ce soit pour tourner un film ou pour passer toute une ville au peigne fin. Elle n’hésite pas à martyriser Mikuru, à l’obliger de prendre des poses érotiques dans des tenues suggestives, à faire de Kyon son domestique, tout comme elle n’hésite pas à employer en permanence le chantage et à engager des paris qu’elle mène jusqu’au bout, peu importe les conséquences pour ses pauvres adversaires : lors du pari avec le chef du club informatique, elle propose même de lui donner Mikuru ou Yuki si elle échoue, preuve que pour elle ceux qui l’entourent ne sont que des objets dont on peut disposer à volonté. Un seul d’entre eux est indispensable : Kyon, parce qu’elle a toujours besoin de ce serviteur un peu râleur mais suffisamment indifférent pour la suivre malgré tout. En effet, sans lui, elle serait obligée d’accomplir toutes les tâches ingrates par elle-même, ce qu’elle refuse catégoriquement de faire en tant que reine absolue. Cet égoïsme arrive à de telles extrémités qu’il en devient déplaisant par moments, notamment lorsqu’elle n’hésite pas à prostituer Mikuru en exposant des photos d’elles sur la page d’accueil de son site Internet. Pour insister sur cette forme de monstruosité intérieure, les producteurs de la série ont joué le jeu au maximum en conférant à leur héroïne un statut surplombant : elle est même créditée dans le générique en tant que réalisateur de sa propre histoire, preuve qu’à ses yeux il n’y a que ce qu’elle fait qui compte ; elle dépasse ainsi le cadre de la fiction pour envahir notre réalité. Dans cette optique, l’usage appuyé du fan service n’est pas qu’un argument de vente. Haruhi a bien compris que pour parvenir à ses fins il faut être capable de tout, si bien qu’elle fait preuve d’un redoutable pragmatisme afin d’attirer un maximum de monde dans ses filets, en leur donnant ce qu’ils cherchent absolument à voir sans se l’avouer : Mikuru photographiée sous toutes les coutures et dans toutes les tenues. Elle n’hésite pas non plus à payer de sa personne pour arriver à ses fins, en enfilant à l’occasion son costume de Bunny. Le fan service est là pour symboliser cette capacité de Haruhi à contourner la morale s’il le faut, tout comme il est là pour inciter le spectateur à regarder la série. Ce faisant, il est tellement présent qu’il nous laisse une impression à la fois délicieuse et inquiétante de vacuité, de superficiel, de manque de profondeur. Ou plutôt, il est tellement visible qu’il devient très vite impossible de le prendre au premier degré : changements de tenue invraisemblables, coiffure qui change chaque jour de la semaine, concert improvisé en tenue de cosplay, tout devient prétexte à la valse des garde-robes et au tourbillon des couleurs, preuve que Haruhi ne parvient pas à se satisfaire d’un monde qui, malgré toutes ses convenances et ses ressources, ne parvient à aucun moment à la captiver. Le vertige des couleurs et des activités masque mal les penchants morbides de cette déesse menaçant en permanence de s’auto-détruire.

Cette incapacité à rester stable, à être bien dans sa peau (le changement de vêtement devenant ici une tentative de changer de peau, de devenir quelqu’un d’autre), s’inscrit dans le corps même des épisodes, et modifie considérablement leur tempo selon la situation : autant l’action peut être hystérique, autant elle peut parfois s’étirer à n’en plus finir. De façon symptomatique, ce sont les moments où Haruhi n’est pas là qui sont majoritairement lents ; il suffit de voir cette scène très longue où Yuki est seule en train de lire dans la salle du club, alors qu’on entend dans la pièce d’à côté des lycéens en train de faire des exercices de prononciation, où celle du festival, lorsque Kyon assiste dans le gymnase à une multitude de concerts tous plus navrants les uns que les autres : chaque moment de cette séquence est isolé par un fondu au noir qui casse le rythme et vient insister sur l’ennui de Kyon. Ce n’est que lorsque Haruhi et son groupe monte sur scène que tout à coup l’épisode retrouve un tempo rapide, d’autant plus agréable qu’il apparaît après un moment de descente particulièrement long. La chanson arrive à point nommé pour récompenser le spectateur de sa peine : la mise en scène est excellente, parce qu’elle parvient à créer l’attente, sans décevoir. C’est aussi ça, le bon usage du fan service !

Au-delà d’un ballet de références destinées à séduire l’otaku, cette série ne cache pas les aspects monstrueux de son héroïne, elle les met en avant, les dissèque, et au travers du masque souriant, derrière le sourire forcé et le rythme hystérique, se profile une mélancolie menaçant à tout moment d’engloutir le monde. Haruhi Suzumiya est en fin de compte une série à placer aux côtés d’Evangelion quant aux questions qu’elle soulève sur le statut… des otakus.

Obéir sans aimer (2/3)
‘Elle rit pour cacher sa terreur d’elle-même’ (3/3)
‘Elle se débat dans sa cage mais ne veut pas la quitter’ (4/3), par Kabu

La saison 1 de Haruhi Suzumiya est disponible chez Kaze (dans une très belle édition!)

9 commentaires

Un premier article intéressant, avec une analyse plutôt fine mon cher Wata =]

Cela dit, ton interprétation du fan-service omniprésent comme manifestation de la cupidité d'Haruhi, je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Selon moi, même si c'était un argument direct des concepteurs, cela reviendrait avant tout à séduire l'otaku, et pas à exprimer le côté sans pitié de leur héroïne.

Au-delà de ça, c'est un très bon texte informatif ;)
je pense en effet que le fan service est avant tout là pour vendre, mais ce que je veux dire, c'est que le scénario le justifie quand même de façon étonnante, et séduisante même :)
3 AngelMJ le 08/11/2008
D'accord pour dire que les auteurs utilisent le fan service de façon "intelligente" dans cette série.

Pour le reste, une bonne analyse de la situation qui peut paraître étrange de prime abord mais finalement pleine de bonnes idées.

Merci Wata :)
4 El Nounourso le 08/11/2008
Une très bonne analyse, accessible et parfois même palpitante =)

A noter aussi le bon choix d'illustrations dont la taille correspond très bien à celle des paragraphes (!). Je tenais à le souligner !
5 PanzerFaust le 09/11/2008
Très bon article, mais je vais attendre les 2 autres parties pour m'exprimer sur ta comparaison Evangelion/SHNY par rapport aux otakus...
ouais, c'est pour la suite ça :)
les images c'est surtout le logiciel qui me les a calibrées :p
7 emilie le 10/11/2008
Article entraînant c'est sûr.
Le fan service il est tellement bien utilisé que je ne l'avais même pas vu comme du vrai fan service.
Pour moi c'est juste un autre caprice d'Haruhi qui tente d'attirer des gens dans son club et qui est prête à tout pour ça. Et je pense qu'elle n'a recruté Mikuru que pour ça, s'en servir comme un outil de propagande.
le fan service se montre sous un jour un peu cruel, ce qu'il est en fin de compte : il propose toujours un idéal de "sexy attitude" qui s'ignore déprimant pour les gens normaux...
9 Manu974 le 30/11/2008
Trés bonne analyse wata. Cependant il n'y a pas que le fan service qui fait vendre dans cette série. Le fait que l'on puisse regarder les épisodes dans n'importe quel ordre y participe également. On a l'impression qu'on peut 'zapper' ce qui nous importe peu.
Je pense également que de raconter cette histoire a la 1ere personne (ou presque), nous fait s'identifier a Kyon, et au final le fan-service n'est pas montré parceque que Haruhi le veut, mais parceque Kyon (donc le spectateur) le veut. Enfin ca n'est que mon avis.

Faudrait aussi lier les 3 articles entre eux par des liens en bas de ma page a terme.

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