Le monde est une vue de l'esprit

» Critique de l'anime Durarara!! (TV 1) par Shizao le
27 Octobre 2016
Durarara!! (TV 1) - Screenshot #1

Durarara!! n'est pas une nouveauté pour moi. Et pour beaucoup de monde d'ailleurs. Mais il faut croire que la série vieillit bien. Je dirais même que je l'apprécie d'autant plus avec le temps. Redécouvrir les personnages et l'univers d'une licence qui tarde à se dévoiler complètement permet parfois de l'aborder avec un autre regard.

Rappelons rapidement que la série est une adaptation d'un Light Novel éponyme écrit par Ryôgo Narita (Baccano) et dessiné par Suzuhito Yasuda (Yozakura Quartet). Quand on parle de Durarara!!, la première chose qui vient en tête est bien souvent le surnaturel. C'est le coeur de la série. Cette dimension de l'histoire fait passer les personnages par des sentiments menant facilement à la folie : peur de l'inconnu, envie et surtout curiosité. C'est sur ce dernier point que certains protagonistes se démarquent. Ils sont avant tout animés par une envie de se tester, de voir jusqu'où l'être humain, eux y compris, peut aller. On se plait alors à regarder les vagues d'émotions et de péripéties submerger les objets de cette curiosité. Le spectateur rejoint des personnages comme Orihara Izaya ou Ryûgamine Mikado dans les rangs des curieux.

Ce qui nous différencie de ces deux là, c'est la narration. Outre la période d'adaptation durant laquelle il faudra se familiariser avec un casting riche, celle-ci distord le temps. Nous montrer la finalité d'une scène n'est qu'un apéritif pour concentrer le suspens sur la suivante ou le cheminement de la précédente. Un schéma que j'apprécie particulièrement pour ma part. Durarara!! joue habilement avec le concret en dosant parfaitement le suggestif. Nous remontons ainsi le fil de l'intrigue pour mieux découvrir une grande variété de personnages dont le développement est tout aussi adroit. Au fur et à mesure, la série se présente comme un puzzle où chacun représente une pièce. Cette façon de les lier peut sembler grotesque au premier abord car elle implique des rencontres plus hasardeuses les unes que les autres et l'impression que le quartier d'Ikebukuro à Tôkyô, soit disant géant, n'est qu'un petit village où tout le monde se connait.

Durarara!! (TV 1) - Screenshot #2Cela est atténué dans un premier temps par les machinations des différents personnages mais aussi par le statut bien particulier d'Ikebukuro. Ce quartier pourrait être à Durarara!! ce que Edo est à Gintama par exemple, à savoir le centre de toutes les aventures des personnages ou presque, un lieu incontournable. Au fond, Ikebukuro est plus qu'un cadre, tout comme Baltimore dans The Wire. Dans cette série, la ville américaine a des allures de personnage à part entière, on vit l'action à travers elle. Les autres protagonistes sont interchangeables et mettent en lumière un lieu qui se construit et se personnifie à travers les faits et gestes de chacun. Pour Ikebukuro, la chose est amenée de façon différente. La narration donne l'impression que le quartier choisit ses élus dont il augmente ou réduit le nombre à sa guise, selon les besoins de l'histoire. Ainsi la foule est incolore, elle est là pour meubler et donner un semblant de vie autour des élus. Eux sont bel et bien colorés et détaillés ce qui nous permet de distinguer leurs traits anguleux, caractéristiques du style de Yasuda. Ikebukuro semble prendre un malin plaisir à provoquer des situations toujours très convenues et favorisant le surnaturel. Ce surnaturel qu'il abrite en son sein avec des personnages comme Celty Sturluson ou Heiwajima Shizuo. L'atténuation devient effacement lorsque l'on comprend que ces interactions programmées ne seraient pas le fruit d'une paresse scénaristique. Elles seraient plutôt une volonté d'accentuer la dimension fantastique d'un univers que ses propres composants recherchent ou subissent, quoiqu'il arrive. Ikebukuro est le paroxysme de l'aspect suggestif de la série, une sorte de surnaturel dans le surnaturel, l'élément fantastique ultime qui met en scène les autres et les contrôlent.

Durarara!! (TV 1) - Screenshot #3Cette perception du quartier fait écho à un thème que symbolise le personnage de Mikado, la recherche de l'exceptionnel. Une quête qui taraude d'autant plus le lycéen lorsque son quotidien évolue positivement, entre retrouvailles et nouvelles rencontres. C'est là que se fait l'entrelacement des personnages. Chacun ayant une quête, partagée ou non, se verra confronté aux autres en un lieu. Ikebukuro bien sûr qui est, comme je le disais, plus qu'un cadre. La personnification du lieu, à mon sens, qui justifie les aléas du scénario permet aussi de faire de cet endroit une frontière entre le surnaturel et le soit disant réel. Les bâtiments, les rues ou les routes n'ont rien d'exceptionnels, mais à un moment précis, pour des raisons précises (ou pas), il se passera quelque chose d'extraordinaire. En attendant, même pour les personnages que nous suivons, ce sera une vie banale entre lycée, travail et relations sociales réelles ou virtuelles. Dans cette frontière, des personnages comme Kida Masaomi ou Simon, au contraire de Mikado, cherchent une vie ordinaire. Ils introduisent un autre niveau de surnaturel également, plus rationnel que ce dont nous parlions jusque là, puisqu'il s'agit de gangs. Un quotidien fait de violence et de luttes de pouvoir qui régale Izaya, le despote du quartier.

Durarara!! (TV 1) - Screenshot #4Celui-ci prend un malin plaisir à jouer avec les états d'âme de chacun et frôle l'omnipotence, sans être Ikebukuro. Le personnage est fascinant en lui-même car si il peut être apparenté au mal, c'est surtout pour sa curiosité malsaine. Il n'est cependant pas seul au rayon déviance. Les amours douteux ne manquent pas dans Durarara!!. Après avoir joué avec le surnaturel à différents niveaux, l'anime pousse le vice jusqu'à l'humaniser à travers Celty par exemple. Tout cela représente la grande force de la série, que même son animation parfois approximative ne saurait perturber : la pluralité. Ikebukuro, son multiculturalisme et ses rôles, le nombre de personnages et les différentes interprétations du surnaturel, mythologiques entre autres, qui font du réel une vue de l'esprit. Les sonorités n'y échappent pas, de la pop au rock en passant par le hip-hop pour les openings et endings et des airs plus jazzy pour les osts. Cette pluralité est moins présente dans la psyché des personnages. Il est bien plus facile de trouver des antagonistes que des héros. Peu d'acteurs se détachent de par leur noblesse d'esprit. Mikado, Masaomi ou Anri ont leurs torts et des vices latents. Leurs actions relèvent plus d'un certain égoïsme paradoxal, qui se veut parfois au service des autres, que d'idéaux altruistes. Pourtant ils sont présentés comme le trio principal de l'intrigue. Le mal est net, le bien est flou. Ce timide manichéisme représente bien l'ambiance de la série, car le bien est un frein à la curiosité.

En fin de compte, Durarara!! est éclectique. C'est avant tout une série fantastique mais il est difficile de lui coller une autre étiquette. Des tranches de vie ? Un peu. De l'action ? Pas toujours. Du mystère ? Pas tout à fait. De la romance ? Assurément. De la psychologie, du drame et de la comédie aussi. Cependant l'anime n'a rien d'impersonnel, bien au contraire. Il joue subtilement avec les thèmes, la temporalité et les références à d'autres oeuvres, principalement japonaises, pour se construire une identité. Pour moi c'est un incontournable de l'animation nippone dont les saisons suivantes n'ont fait que confirmer tout le bien que j'en pense. Cette première saison pose admirablement les bases d'un univers complexe et pluriel.

Verdict :9/10
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A propos de l'auteur

Shizao, inscrit depuis le 28/12/2014.
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